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lunes, 26 de febrero de 2024

Lexique roman; Fabla, Faula

F.


Fabla, Faula, s. f., lat. fabula, fable.

Las fablas dels gramazis. Trad. de Bède, fol. 83.

(chap. Les fábules dels gramatics : escribens. La fabla a la que diuen llengua aragonesa tamé es una fábula ben gran, pero com traurán perres de subvensions, tot val. Aragón ye nazión.)

Les fables des écrivains.

Aquesta faula es al mon

Semblan et a tug silh que i son.

P. Cardinal: Una cieutat.

Cette fable est semblable au monde et à tous ceux qui y sont.

Eschiva vanas e non profeitablas fablas. Trad. de Bède, fol. 81. 

(chap. Esquiva, evita, fábules vanes y no profitoses – com moltes dels catalanistes.)

Évite fables vaines et non profitables. 

D' aysso parla Yzops, .I. savi, en las faulas d'un braquet e d'un aze.

V. et Vert., fol. 61. 

(chap. D'aixó parle Esopo, un sabi o sabut, a les fábules de un braquet (braco menut) y de un burro – ase - ruc.)

De ceci parle Ésope, un savant, en les fables d'un brachet et d'un âne.

Loc. Coforto si en la paraula, 

E no la tengo ges a faula.

Trad. de l'Évangile de Nicodème. 

S'assurent en la parole, et ne la tiennent pas à fable.

ANC. ESP.

Olvidose la fabla del buen consejador...

Por ende cada uno esta fabla decuere.

Arcipreste de Hita, cop. 968 et 1174.

ANC. IT. Isopo è un libello... dove sono certe faute moralizzate.

Buli, Coment. di dante, Inf. 23.

CAT. Fabula (fàbula), faula. ESP. MOD. (fábula) PORT. Fabula. IT. MOD. Fabula, favola. (chap. fábula, fábules; fabulós, fabulosos, fabulosa, fabuloses.)

2. Fablel, s. m., fabliau.

Messagier, porta mon fablel

En la Marca, tot a 'N Sordel, 

Qe m fassa jujament noel.

Aimeri de Peguilain: Can q'eu.

Messager, porte mon fabliau en la Marche, tout au seigneur Sordel, qu'il me fasse jugement nouveau.

ANC. FR. Par cest flabel poez savoir

Molt sont femes de grant savoir. 

Fables et cont. anc., t. IV, p. 187.

3. Fablozamens, adv., selon la fable.

Los .XII. signes...

D' aquels sai ieu los bes e 'ls significamens 

Que son d' omes, de bestias, dire fablozamens.

Pierre de Corbiac: El nom de.

Les douze signes... de ceux-là je sais dire, selon la fable, les biens et les significations qui sont d'hommes, de bêtes.

ESP. PORT. Fabulosamente. IT. Fabulosamente, favolosamente.

(chap. fabulosamen.)

4. Falveta, s. f., talent de faire des contes, art d'enjôler.

Pro 'n sabetz de la falveta, 

Si ja de Guillem Rentin 

Trahetz caval ni ronsin. 

T. de Taurel et de Falconet: Falconet. 

Assez vous en savez de l'art d'enjôler, si jamais de Guillaume Rentin vous arrachez cheval ni roussin.

5. Faular, v., lat. fabulari, fabler, conter des fables.

Part. prés.

Mon cor dira: Bertran, tu vas faulan. 

(chap. Mon cor dirá: Bertrán, tú vas fabulán : contán fábules

Conec pocs Bertrans, pero mols fabuladós y fabuladores.)

B. Carbonel: Joan Fabre.

Mon coeur dira: Bertrand, tu vas contant des fables.

ANC. FR. De kanke tu li dis, li fables e li mens.

Roman de Rou, v. 4988. 

ANC. ESP. Fablar (MOD. Fabular). PORT. Fabular. IT. Favolare.

6. Favelar, v., parler, improviser, composer.

(N. E. Fabla, de fablar, le llaman a la lengua aragonesa los modorros nacionalistas baturros que quieren sacar dinero de subvenciones. En castellano aparece fablar : hablar; portugués falar; fala de Xálima.) 

A Fala de Xálima, fala, fabla, habla, chapurriau

Ab son novelh,

Dic e favelh.

Rambaud d'Orange: Era m'es belh.

Avec air nouveau, je dis et improvise.

Quan respon ni favela,

Siei dig an sabor de mel.

P. Vidal: Era m' es. 

Quand il répond et parle, ses paroles ont saveur de miel.

ANC. FR.

Tant dist Bernart al rei e tant li favela, 

Tant los Normendie, e Huon tant blasma.

Roman de Rou, v. 3451. 

ANC. CAT. Favelar. ANC. ESP. Fabular (fablar). ESP. MOD. Hablar. 

IT. Favellare.

jueves, 14 de diciembre de 2023

Lexique roman. Tome second. 1836. Introduction.

Tome second.

1836.


Introduction.

Dans ce travail préliminaire je recherche et j' expose les nombreuses affinités; les rapports souvent identiques; des six langues néolatines:

La langue des troubadours,

La langue catalane,

La langue espagnole,

La langue portugaise,

La langue italienne,

La langue française.

J' entreprends, pour la lexicographie de ces idiômes, ce que j'ai tâché d' exécuter pour la comparaison de leurs formes grammaticales.

(1: Voyez le tome VI du Choix des Poésies originales des Troubadours; des exemplaires de ce volume avaient été tirés à part, sous le titre de Grammaire comparée des Langues de l' Europe latine dans leurs rapports avec la Langue des Troubadours. Paris, Firmin Didot, 1821 y in-8.)

J' ose espérer que le résultat de mes investigations démontrera  évidemment l' origine commune des diverses langues de l' Europe latine, et ne laissera plus aucun doute sur l' existence ancienne d' un type primitif, c'est-à-dire d' une langue intermédiaire, idiôme encore grossier sans doute, mais qui pourtant était dirigé par des principes rationnels, notamment quand il s' appropriait, sous des formes nouvelles, plusieurs des mots de la langue latine.

A l' époque où l' irruption des hordes du Nord eut conquis, ou pour mieux dire dévasté les provinces méridionales de l' empire romain, les hommes de l' invasion d' abord campés sur les débris de cet empire, et les anciens habitants qui avaient échappé aux périls et aux malheurs de la destruction, éprouvèrent également le besoin d' exprimer les uns aux autres les idées, les sentiments qui, à chaque jour, à chaque heure, à chaque instant, exigeaient une rapide et intime communication: mais les anciennes populations n' entendaient presque plus la langue latine, et les étrangers l' entendaient moins encore.

Cette crise morale et politique, ces nécessités réciproques, favorisèrent la création d' une nouvelle langue dérivée du latin, ce fut la romane rustique. (1: Voyez les Éléments de la Langue romane avant l' an 1000; tome Ier du Choix des Poésies originales des Troubadours. Paris, Firmin Didot, 1816.)

Me demandera-t-on à quelle époque précise la langue latine, ainsi modifiée et remaniée, devint un nouvel idiôme à l' usage des populations qui occupaient le midi de l' Europe?

Je répondrai, sans hésiter, que la transmutation était, sinon entièrement achevée, du moins très avancée, lors des serments de 842; j' aurais pu même dire long-temps avant ces serments, puisque leur existence suppose un langage déjà convenu dans une nation, entendu et compris par les princes, les grands et le peuple, qui figurèrent tour à tour dans ces actes solennellement politiques.

Ces serments ont conservé et transmis des exemples, des fragments, sans doute trop peu considérables de cette rustique romane, annoncée comme populaire dans les conciles de 813; toutefois ces débris suffisent à constater l' existence d' un idiôme fortement esquissé, qui déjà se suffisait à lui-même, parce qu' il possédait les habiles moyens de former, d' après un système à la fois facile et arrêté, les mots nécessaires aux communications de la famille et de la société, et à la marche de la civilisation; aussi j' ose dire que les serments de 842 n' appartiennent pas seulement à une époque de création, mais encore à une époque de progrès.

Cet idiôme rustique roman était évidemment celui des habitants de l' empire français, sujets de Charles-le-Chauve, auxquels s' adressait le serment de Louis-le-Germanique, comme parties intéressées à son exécution, et qui eux-mêmes, se rendant garants des promesses de Charles-le-Chauve leur prince, répondirent dans le même langage.

Je l' ai déjà dit, et je le répète: le style de ces serments est encore grossier et informe; il paraît barbare aux personnes qui n' ayant pas fait une étude approfondie des langues néolatines, n' ont pas étudié leur origine, et, pour ainsi dire, assisté à leur formation, aussi simple qu'  ingénieuse; mais j' espère fournir les moyens de juger moins sévèrement cette romane rustique.

Mettrai-je sur le compte des copistes quelques fautes de transcription qui leur sont évidemment échappées? Non, sans doute. Ne suffit-il pas que les textes des deux serments offrent, dans leur ensemble et dans leurs détails, plusieurs accidents lexicographiques et grammaticaux, singulièrement remarquables et incontestablement décisifs, soit par leur existence en 842, soit par leur influence sur les langues de l' Europe latine?

Voici le texte de ces serments:

Serment de Louis le Germanique.

Pro Deo amur et pro xristian poblo et nostro commun salvament d' ist di en avant, in quant Deus savir et podir me dunat, si salvarai eo cist meon fradre Karlo et in ajudha et in cadhuna cosa; si cum om per dreit son fradra salvar dist, in o quid il mi altresi fazet; et ab Ludher nul plaid nunquam prindrai qui, meon vol, cist meon fradre Karle in damno sit. 

(1: 

1.° Les lettres capitales indiquent les mots qui sont restés dans une ou plusieurs des langues néolatines;

2°. Les lettres italiques, les mots qui, avec une très légère modification, telle que le changement ou la suppression d' une voyelle, d' une consonne, appartiendraient à une ou plusieurs de ces langues;

3°. Les caractères romains désignent les mots purement latins;

4°. Les gothiques, les mots qui n' entrent dans aucune de ces trois classifications.)

Serment du peuple français.

Si Loduuigs sagrament que son fradre Karlo jurat, conservat, et Karlus, meos sendra, de suo part non lo stanit; si io returnar non l' int pois; ne io, ne neuls cui eo returnar int pois, in nulla ajudha contra Loduwig nun li iver.

Observations sur les serments.

Dans le serment de Louis-le-Germanique se trouve le mot salvament; il n' était pas fourni par la langue latine, qui n' a que salvatio.

Qu'on ne soit pas surpris de cette transmutation; la romane rustique possédait déjà l' artifice lexicographique de s' approprier la racine des mots latins, et d' y adapter des désinences différentes et spéciales. 

(2: Le mot salvamentum, comme latin de basse latinité, paraît, en 857, employé dans une allocution de Charles-le-Chauve, qui pourrait bien n' être que la traduction d' un texte roman, et qui conserve beaucoup des tournures des serments de 842.)

C'est une circonstance très remarquable que ce remaniement du mot salvatio par la romane rustique, mais ce qui est plus étonnant c'est que le substantif Salvament se retrouve dans les six langues néolatines:

Troubadours. Salvament. Cat. Salvament. Esp. Salvamiento.

Port. Salvamento. It. Salvamento. Fr. Saulvement.

M' accusera-t-on de me faire illusion quand je trouve, dans un fait aussi frappant, la preuve d' une antique et incontestable affinité entre les langues néolatines, c'est-à-dire l' évidence d' un type commun, d' après lequel chacune s' est ensuite développée, en s' abandonnant au caractère particulier qui l' a distinguée?

Objectera-t-on que c'est là un phénomène qu' une série de circonstances heureuses a produit? Je répondrai en citant un autre mot qui, dans le même serment, offre une pareille transformation. C'est le mot roman Ajudha au lieu d' Adjutorium latin; la rustique romane avait changé ce dernier substantif neutre en un substantif féminin roman, Ajudha, employé dans le serment de Louis-le-Germanique et dans celui du peuple français. (1)

Ce même mot, dont la transmutation était jusqu'à présent restée inaperçue, comme celle de salvatio en salvament, se retrouve aussi dans les six langues néo-latines.

Troub. Ajuda. Cat. Ajuda. Esp. Ayuda.

Port. Ajuda. It. Ajuto. Fr. Ajude.

Dans le même serment de Louis-le-Germanique, il est un substantif qui n' appartient pas à la langue latine, le mot Plaid, traité, accord, plaid. 

(2: Vossius, de Vit. Serm., lib. IV, p. 722-3.)

Ce mot est resté dans les six langues néolatines:

Troub. Play, plait. Cat. Plet. Esp. Pleyto (N. E. pleito; chap. pleite)

Port. Pleito. It. Piato. Fr. Plet, plaid.

Qu' il me soit permis d' appeler une attention plus spéciale sur le substantif indéterminé OM roman; d' homo latin, employé dans le serment de Louis-le-Germanique.

Non seulement OM y remplit la fonction de substantif indéterminé; comme il la remplit toujours dans la langue française; mais encore il paraît, par les plus anciens monuments des langues néolatines, que toutes l' avaient conservé avec la même acception.

Troub. Om, hom. Cat. Hom. Esp. Omne, ome.

Port. Ome. It. Uom. Fr. Hom, on.

Cette forme hardie, qui, par un seul substantif, exprime une pluralité indéterminée, est très ancienne dans les langues néolatines.

Le poëme de Boèce, écrit avant l' an 1000, en offre l' emploi.

No comprari' om ab mil libras d' argent. (v. 198.)

On n' achèterait pas avec mille livres d' argent.

Les lois de Guillaume-le-Conquérant; qui datent de la seconde moitié du XIe siècle; nous montrent plusieurs exemples de ce substantif indéterminé.

Et de tant os cum home trarad de la plaie.

Lois de Guillaume-le-Conquérant, art. XII.

Et d' autant d' os comme on tirera de la plaie.

Si femme est jugée à mort u à defaçum des membres, ki seit enceinte, ne faced l' um justice dès qu' ele seit delivrée.

Lois de Guillaume-le-Conquérant, art. XXXV.

Si femme, qui soit enceinte, est jugée à mort ou à destruction de membres, qu' on ne fasse justice jusqu'à ce qu' elle soit délivrée.

La langue latine n' avait pas indiqué aux peuples qui bégayaient la romane rustique cet art d' individualiser une généralisation et de faire connaître par un substantif spécial que plusieurs personnes pensent, parlent agissent, soit ensemble, soit de la même manière.

Que cette forme ait été inventée par la romane rustique, ou qu' elle ait été empruntée d' un idiôme alors existant, la création ou l' imitation, adoptée par toutes les langues néolatines; peut-elle laisser quelque doute sur l' existence d' un type commun et primitif?

La romane rustique présente deux fois, dans le serment de Louis-le-Germanique, l' adjectif relatif Cist, formé du latin hiC ISTe.

Une telle transmutation n' indique-t-elle pas une langue qui a l' art heureux de composer avec les éléments latins les mots qu' elle veut adapter aux besoins de l' expression?

Cadhun fut un mot singulièrement composé, puisque le radical Cada, auquel Un fut adapté, ne se trouve pas dans la langue latine.

Est-ce lors de ses premiers essais, et de ses tâtonnements encore indécis, qu' une langue nouvelle peut ainsi composer des mots hybrides? Non, sans doute; ce n' est que de progrès en progrès qu' elle parvient à s' approprier de telles ressources.

O, d' HOC latin neutre;

LO, régime, substantif relatif, le, s' appliquant aux choses;

L', élision de LO, régime, substantif relatif, personnel, le;

IL, substantif relatif, personnel, sujet, il;

LI, substantif relatif, personnel, régime indirect, à lui,

sont des créations ou transmutations qui démontrent un système grammatical et lexicographique déjà très avancé; une habileté très exercée dans l' art de dériver du latin les expressions nécessaires à la nouvelle langue.

Le que, adjectif relatif, qui est devenu à la fois sujet et régime dans toutes les langues néolatines, emprunté à l' accusatif latin quem, est un fait qu' il importe de signaler particulièrement. Ce que est devenu un mot essentiel et très usuel dans ces langues.

Troub. Que. Cat. Que. Esp. Que.

Port. Que. It. Che. Fr. Que.

Dans le même serment de Louis-le-Germanique, on lit l' adverbe altresi, composé d' alterum sic. Cette sorte de création lexicographique prouve évidemment l' existence non seulement actuelle, mais même très ancienne, de l' idiôme qui se donnait ainsi des adverbes composés. Ce fait seul serait très remarquable, très décisif; mais il y a plus, cet adverbe de la romane rustique s' est conservé dans les six langues néolatines.

Troub. Atresi. Cat. Altresi. Esp. Otrosi.

Port. Outrosi. It. Altresi. Anc. Fr. Altresi.

Cette décomposition de la langue latine et la recomposition romane ne démontrent-elles pas; jusqu'à la dernière évidence, que cette langue rustique, dont il nous reste ces deux fragments de l' an 842, possédait à un haut degré l' art de créer, avec les éléments latins, les mots qui lui convenaient pour exprimer ou plus clairement ou plus rapidement les sentiments et les idées?

De l' adverbe latin quomodo, la rustique romane, enlevant la désinence odo, produisit l' adverbe ou conjonction Quom, Cum, que les langues néolatines adoptèrent.

Joint à si; de sic latin, Com forma une conjonction composée qu' on trouve dans le serment de Louis-le-Germanique.

Le poëme de Boèce employa Cum et Sicum.

Lainz contava del temporal, cum es,

De sol et luna, cel et terra, mar, cum es.

Poëme sur Boèce, v. 97 et 98.

Là il contait du temporel, comme est;

De soleil et lune, ciel et terre, mer, comme est.

Si cum la nibles cobr' el jorn, lo be ma.

Poëme sur Boèce, v. 133.

Ainsi comme le brouillard couvre le jour, le bien matin.

Troub. Com. Cat. anc. Esp. anc. Port. anc. It. anc. Fr. Com.

It. mod. Come. Fr. mod. Comme.

Troub. Si com. Cat. Axi com. Esp. Así como.

Port. Assim como. It. Si come. Anc. Fr. Si com.

La préposition AB, employée dans le sens d' avec, comme le constate le serment de Louis-le-Germanique, n' est restée que dans la langue des troubadours et dans la langue catalane. (N. E. como si fueran distintas.)

Mais quoique AB n' ait pas été expressément conservé ou adopté par les autres langues néolatines, je dois dire que la préposition A, contraction évidente d' AB, quand elle offre le sens d' avec se retrouve dans ces langues. (1: (1) Voyez ci-après le Lexique roman, p. 3.)

N' était-ce pas aussi un habile remaniement de la langue latine que de former le verbe Retornar, employé deux fois dans le serment du peuple Français, dans le sens de ramener, détourner, en ajoutant l' augment RE au primitif latin tornare? (2: Voyez l' introduction contenant les preuves historiques de l' ancienneté de la langue romane, t. Ier du Choix des Poésies originales des Troubadours, p. IX.)

Ce verbe de la romane rustique retornar, a aussi été adopté par les six langues néolatines:

Troub. Retornar. Cat. Retornar. Esp. Retornar.

Port. Retornar. It. Ritornare. Fr. Retourner.

J' ai annoncé l' existence d' accidents grammaticaux qui prouvent que la langue romane rustique avait créé ou adopté des formes spéciales, des principes caractéristiques. J' indiquerai notamment quatre de ces accidents dont l' existence est constatée par les serments de 842.

1°. Il en est un qui paraîtra de peu d' importance; toutefois, uni aux autres preuves, il sert à les corroborer.

Dans mes travaux précédents (1) j' avais eu occasion d' énoncer que les prépositions DE et A, qui dans l' organisation de ces langues suppléent, par leur action, au défaut des désinences indicatives des cas, étaient souvent supprimées devant les noms propres, et on sait que cette

forme est long-temps restée dans la langue française, qui, aujourd'hui même, en conserve encore des vestiges dans les mots Fête-Dieu, Hôtel-Dieu, etc., etc., où DE est supprimé.

(1: Grammaire romane, articles. - Grammaire comparée, etc., pages 20-22.)

Cette forme spéciale se trouve dans les serments de 842.

Pro () Deo amur; DE supprimé;

() Cist meon fradre in damno sit; A supprimé;

Que () son fradre Karlo jurat; A supprimé.


2.° La rustique romane, en acceptant les mots latins, retranchait ordinairement la désinence: de l' infinitif en ARE, elle fit AR, signe caractéristique du présent des infinitifs de la première conjugaison: 
aussi on lit dans les serments, Salvar, Returnar.

3° Un des artifices grammaticaux de la nouvelle langue, fut de composer son futur de l' indicatif, en adaptant, à ce présent de l' infinitif, le présent ou la désinence du présent du verbe haver; avoir.

Salvar suivi d' AI, première personne du présent de l' indicatif du verbe Aver, produisit la première personne du futur dans Salvarai. (1)

Prindrai fut formé de la même manière de l' infinitif Prindre, et d' AI première personne du présent de l' indicatif d' aver. (2)

Je ferai remarquer que l' existence de ces deux futurs, dans les serments de 842, démontre que la conjugaison du verbe aver employait AI à la première personne du singulier, et il est sans doute permis d' en conclure qu' à cette époque ce verbe possédait sa conjugaison régulière, telle qu' elle s' est trouvée établie par les preuves que des citations d' ouvrages très anciens ont fournies.

En effet, dans des actes de 960 (3) on trouve:

La seconde personne du singulier en AS, daras;

La troisième personne en A, devedara;

La première personne du pluriel en EM, darem;

La seconde en EZ, commonirez;

La troisième en AN, absolveran.

(1) J' ai eu occasion de dire et de prouver que le conditionnel roman fut formé de la même manière, en joignant au présent de l' infinitif l' imparfait ou la désinence de l' imparfait du verbe aver.

(2) Et ainsi des autres personnes:

Sing. 2e. Salvaras.

3e. Salvara.

Plur. Ire. Salvaravem.

2e. Salvaravetz.

3e. Salvaran.

De même de prindre, prendrai, prendras, prendra, etc.

(3) Choix des Poésies originales des Troubadours, t. II, p. 40 et suiv.


L' ancien français offre des exemples frappants de la forme primitive de ce futur, quand, au lieu d' aurai, aura, il dit averai, averad.

Celui qui l' averad troved.

Lois de Guillaume-le-Conquérant, art. VII.

Ou vuelle ou non, je l' averai.

Roman du Renart, Chabaille. Var., p. 182.

La langue des troubadours avait une sorte de futur composé an a far; 

l' espagnole dit encore ho a far, etc.

La langue portugaise, outre le futur ordinaire, avero, averas, etc. a conservé un futur composé:

Ho de aver, j'ai à avoir.

Has de aver, tu as à avoir.

Ha de aver, il a à avoir.

Si l' on m' oppósait que des langues néolatines terminent la première personne du futur au singulier, non par AI mais par È ou O, etc., je répondrais que cette circonstance même confirme le principe; car les langues n' ont pas HAI à la première personne du verbe aver (N. E. Lo chapurriau sí, hai o hay + partissipi), mais HÉ, HO, etc., etc.; ensuite elles prennent à la seconde et à la troisième, AS, A; en se conformant toujours à leur propre conjugaison du verbe aver.

L' existence des deux futurs contenus dans les serments de 842, permet donc d' admettre qu'à cette époque les règles des conjugaisons des verbes, et surtout celles du verbe aver, étaient établies, connues et observées.

4°. Mais la circonstance qui, dans les serments de 842, achève de constater l' existence parfaite de la langue romane rustique, c'est d' y trouver son caractère le plus essentiel, sa forme la plus spéciale, le signe qui dès lors distinguait le sujet du régime par la présence ou l' absence d' un S final.

On y remarque:

Sujets. Régimes.

Deus, Deo.

Loduuigs, Loduwig.

Karlus, Karlo, Karle.

Meos, Mon, meon.

Neuls, Nul.

Aucun S final n' accompagne les autres mots employés comme régimes, amur, salvament, xristian, fradre, dreit, Ludher, plaid, vol, sagrament, etc.

Ai-je besoin d' insister sur les conséquences qu' on peut tirer de l' existence de cette règle avant 842? Qui ne serait convaincu de l' ancienneté de la langue rustique primitive, quand on reconnaît que, dès cette époque, elle employait un mécanisme aussi simple et aussi ingénieux, et surtout aussi utile à la clarté du discours?

Tels sont les signes principaux qui révèlent dans les serments de 842 l' existence d' une langue déjà formée, soumise à des principes constants et à des règles fixes.

Ces serments contiennent cent quatorze mots.

Quatre-vingt-cinq (1) appartiennent à la romane rustique primitive, puisqu' ils se retrouvent dans une ou plusieurs des langues néolatines.

(1) En voici les preuves:

Deus, Deo.

Les troubadours avaient Deus, sujet; et Deu, régime.

Anc. Port. Qual dona Deus fez mellor pareçer?

Canc. do coll. dos Nobres de Lisboa, p. 58.

Anc. It. Deo, voce che s' incontra frequente negli antichi, sebbene non

sia per lo più in uso presso i moderni:

Sol per servire alla magion de Deo.

Guitt. d' (Arrezzo) Arezzo, Not. 371, p. 274.

Amur.

Anc. Fr. Ai-jo vers Deu greignur amur.

Marie de France, t. II, p. 412.

Et, Et, Et, Et, Et, Et, Et (1: Je crois devoir répéter les mots aussi souvent qu'ils se rencontrent dans les serments), a été employé dans toutes les langues néolatines; quelques unes, celle des troubadours, l' ancien français, l' italien, ont parfois supprimé le T, surtout devant une consonne; l' ancien catalan et l' ancien espagnol disaient E, et; ensuite ces langues ont adopté en place la conjonction Y (N. E. o I).

Xristian, de christianus, latin. Voilà une opération de la langue romane rustique sur la langue latine. Ce mot a été formé par le retranchement de la désinence latine, caractéristique du cas.

Les troubadours ont toujours employé christian.

Le catalan employa cristiá, l' A accentué équivalant à AN; l' espagnol,

le portugais, l' italien, ont seulement ajouté l' O final euphonique, qui

a produit christiano (N. E. cristiano).

L' ancien français conserva long-temps, surtout dans le style de la

chancellerie, le type primitif de la romane rustique. On lit encore

dans les ordonnances de Louis XI:

Nostre dit Saint Père, comme bon père, et pasteur du peuple chrestian.

Ord. des Rois de France, 1478, t. XVIII, p. 425.

Poblo. L' ancien espagnol employait ce mot, qu' il a depuis modifié en pueblo.

Voyez le Fuero juzgo, passim, et le Glosario de Voces antiguadas (anticuadas), etc., qui est à la suite.

Nostro.

Anc. Esp. It. Nostro.

Commun, de communis, latin. La langue rustique l' avait modifié en

commun par le retranchement de la désinence latine.


Troub. Comun. Cat. Esp. Commun (comú; común). Port. Commum. 

It. Commune. Fr. Commun.

Salvament. J' ai déjà fait observer que ce mot était le produit d' une

opération systématique de la langue romane primitive.

La langue des troubadours, le catalan et le français conservèrent * cette désinence; le français, dans ce mot, ainsi que dans beaucoup d' autres, changea l' A intérieur en E, l' espagnol, le portugais, l' italien, joignirent à MENT la finale euphonique O.

D', DE. DE, latin, fut adopté par la langue des troubadours, par le français, le catalan, l' espagnol, le portugais, et même par l' italien, qui aujourd'hui emploie di; mais jadis il avait employé DE.

Quoique les dictionnaires de la langue italienne n' indiquent pas cette particularité, elle est constatée par des exemples tirés des auteurs anciens.

Lo cor fu paventato

De la sua annunciata.

od. VI.

Ma de la temperanza e pietate

La misericordia sì e nata.

Jacopone da Todi, cant. II.


IST, CIST, CIST.

Ist, d' iste, latin; cist, d' hiciste, latin.

La langue des troubadours adopta ist, est.

Cette même langue, et celle des trouvères, conservèrent cist, et employèrent cest.

Les anciens écrivains italiens, entre autres Dante et Pétrarque, se sont servis d' ESTO, d' ESTA, mais on a prétendu, et le Tasse lui-même a partagé cette erreur (1: Dans ses annotations sur Dante.), qu' ESTE était la sincope de questo.

Il est évident qu' ESTO, italien, venait d' ist des serments de 842.

Le Vocabolista bolognese, p. 146 (2: Gio. Antonio Brunaldi, Vocabolista bolognese. Bologna, 1660, in-12.), cite d' anciens vers où on trouve:

Perch' egli è re del popol d' esto regno.

Ainsi, il faut admettre que l' italien avait conservé cet esto comme la langue des troubadours et les autres langues de l' Europe latine.

Troub. Ist, est, cist, cest. cat. Est. Esp. Port. Este, isto.

It. Esto, questo. Fr. Cist, cest.

Di, de Dies, latin, resté dans la langue italienne, se trouve dans l' ancien français; les troubadours ont employé DIA. Il ne paraît pas invraisemblable que le passage du serment DI EN eût subi en DI l' élision de l' A, Dia en; mais je renonce à ce qui n' est que conjectures, quelque fondées qu' elles paraissent.

En, de IN, latin.

Ici la langue rustique romane a elle-même changé l' I en E.

Toutes les langues néolatines adoptèrent cet EN.

Troub. Cat. Esp. En. Port. Em. Anc. It. Fr. En.

Les grammairiens et les lexicographes italiens ont reconnu que l' ancien italien usait d' EN au lieu d' IN; ce qui n'est pas surprenant, puisque EN et IN sont également employés dans les serments. Mais il est á remarquer, au sujet d' ist di EN avant, qu' EN est mêlé dans une phrase formant un adverbe composé; ce qui permet de croire que cet EN était très ancien dans la romane rustique.

Vedi da che sei indulto

En ogni opra que vuoi fare.

Jacopone da Todi, lib. II, cant. 30.

En questa gloria di mala ventura.

Jacopone da Todi, lib. V, cant. 23.


Avant.

Troub. Cat. Avant. Anc. Esp. avante. Anc. Port. Aván. Fr. avant.


In, in, in, in, in, in.

On trouve dans le poëme sur Boèce:

Tot a in jutjamen. (v. 17.)

Tout a en jugement.

IN est resté dans la langue italienne.


Quant.

Troub. Cat. Quant. Esp. Port. It. Quanto (cuanto). Fr. Quant.


Mi, Mi.

Troub. Cat. Esp. Me, mi. Port. Me, mim. It. anc. Fr. Me, mi.

Fr. mod. Me, moi.


Si, si, adverbes d' affirmation, de SIC.

Troub. Cat. Esp. Port. It. anc. Fr. Si. 

(N. E. No olvidar el oc, òc, och, hoc afirmación)

Si, si, conjonction conditionnelle, du latin SI.

Troub. Cat. Esp. Si. Port. It. anc. Fr. Se. Fr. mod. Si.


Salvarai, salvar. Deux formes grammaticales essentielles de la langue rustique romane, dont il a été parlé page XI.


Eo, Eo, d' Ego,

L' ancien italien a employé EO, comme la langue des troubadours,

et le portugais EU.

In questa gente ch' EO descrivo adesso...

Barberini, Docum. d' amore, p. 35 et 107.

Ce serait ici le lieu de comparer quelques uns de ces quatre-vingt-cinq mots de la langue romane rustique avec les analogues des anciennes langues germaniques et des divers idiômes du Nord; j' ose croire qu' il en résulterait sans doute des rapports curieux, et peut-être d' utiles éclaircissements sur les origines de plusieurs des langues européennes.

Je me borne à constater un fait grammatical qui me semble de haute importance. 

J' ai prouvé que la romane rustique et toutes les autres langues néolatines ont admis le substantif indéterminé, HOM, om, on, d' homo, latin, pour exprimer une généralité de personnes.

Cette forme grammaticale a existé aussi très anciennement dans les langues germaniques et dans celles du Nord.

Le dictionnaire d' Alberti dit expressément d' eo, “che si trova frequentemente negli antichi poeti.”

Fradre, fradre, fradre, du latin fratrem.

Troub. Fraire. Cat. Frare. (N. E. chapurriau flare.)

Anc. Esp. Los fradres de la casa, omes bien acordados.

V. de S. Millán, cop. 351.

It. Frate. Fr. Frère.


Karlo, Karlo, Karle, de Karolus, latin.

Troub. Cat. Carle (Karles). Esp. Port. It. Carlo. (Carlos) Fr. Carle.


Ajudha, ajudha. Voyez page IV.


Cadhuna, j' ai déjà dit que c'est un mot hybride de la romane rustique, Voyez page VII.

Troub. Cada us. Cat. Cada hú. Esp. Cada uno. Port. Cada hum.


Cosa, du latin causa. Il est resté en italien.


Cum, de quomodo. Voyez page VIII.


Om, d' homo. Voyez p. VI.


Per, du latin per. Cette préposition a été adoptée par les troubadours, par la langue catalane et par la langue italienne.

On la retrouve dans l' ancien espagnol:

Fablar curso rimado per la quaderna via...

Cuemo se partet mundo per treb particion.

Poema de Alexandro, cop. 2 et 254.

Voyez le Glosario de Voc. antig., placé après le Fuero juzgo.

Anc. Port. Per flechas que eron lançadas.

Coronica del re D. Joanno, part. II, p. II.

Port. mod. Pera.

Au reste, on lit dans Paul Orose (Paulo Orosio), lib. VII:

Ante biennium romanae irruptionis, excitatae PER Stiliconem gentes

Alanorum. (N. E. alanos)

Et dans la Chronique d' Idace:

Superatis per Aetium in certamine Francis...

De Africa per Placidiam evocatus.

Rec. des Hist. de Fr., t. 1, p. 597 et 617.


Dreit, du lat. directum.

Troub. Dreit. Cat. Dret. Esp. Derecho. Port. Diricto. It. Dritto. Fr. Droit.
(N. E. aragonés dreito, dreyto; ver drecho)


Son, son, de suum.

Troub. Cat. Son. Anc. Esp. So. (moderno su)

Mandato de so señor todo lo han a far. Poema del Cid, v. 434.

L' italien a aussi employé so.


O, d' hoc, latin; cela, le.

La langue des troubadours a conservé cet o.

On le retrouve dans l' ancien portugais:

Que assi o provaria.

Doc. de 1315. Elucidario, t. I, p. 451.


Il, lo, l', li, substantifs relatifs.

Il, d' ille, est resté dans le français comme sujet, et a été employé parfois en italien comme régime.

Lo, l', s' est retrouvé dans toutes les langues néolatines.

Troub. Cat. Esp. Port. It. anc. Fr. Lo.

D' une part, ce conseil lo trait...

Que c' il tainent lo chapelain,

Il lo metront en mal pelain.

Nouv. rec. des fabl. et cont. anc., t. 1, p. 116 et 117.


Li, du latin illi.

Troub. Li. anc. Esp. Lli. It. Fr. Li.


Altresi. Voyez page VIII.


Ab. Voyez page IX.


Ludher, régime venant du latin Lotharius. (N. E. Alemán Luther, Lutero)


Nul, nulla, du latin nullus.

Troub. Cat. Nul. It. Nullo. Fr. Nul.

En cette acception, nul manque à l' espagnol et au portugais.


Plaid. Voyez pages V et VI.


Prindrai. Voyez page XI.


Qui, que, cui, du latin qui, quem, cui.

Qui, cui ont été conservés du latin.

Troub. Qui, cui, que. Anc. Cat. Que. Esp. Qui, que.

Port. Que. It. Che, cui, que. Fr. Cui, qui, que.


Vol, de l' indicatif du verbe volo.

Ce substantif, conservé par les troubadours, a été aussi adopté par

l' ancien français.

Troub. Don ieu dic que escurols

Non es plus lieus que sos vols.

R. de Tors de Marseille: Ar es dretz.

D' où je dis qu' écureuil n' est pas plus léger que sa volonté.   

Anc. Fr. Incontinent à son vueil obéirent.

Salel, trad. de l' Iliade, p. 127.


Loduuigs, Loduwig. Voyez page XIII. (Ludwig, Luis, Louis; Ludovico)


Sagrament, de sacramentum, conservé par les troubadours, le catalan et le français, avec la finale ment; et par les autres langues, en ajoutant à ment l' o euphonique.


Part, de l' accusatif latin partem.

Troub. Cat. Part. Esp. Port. It. Parte. Fr. Part.


Non, non, négation adoptée par toutes les langues néolatines.

Troub. Non, no. Cat. No. Esp. Non, no. Port. Não. It. Non, no. 

Fr. Non.


Jo, jo. Jo a été français et italien, yo espagnol (N. E. y catalán antes de Pompeyo Fabra). L' O, changé en EU, a produit chez les troubadours ieu, eu, et chez les Portugais eu; et depuis, changé en E, je dans la langue française.

Returnar. Voyez pages IX et X.


Ne, ne, de Nec, ni, latins, a été adopté par l' ancien provençal, par le français et par l' italien.

L' ancien espagnol l' avait employé:

En sacos ne en guilmas non podian caber.

Poema de Alexandro, cop. 1400.


Contra, du latin contra.

Adopté par toutes les langues de l' Europe latine, le français ayant seul changé l' A en E.


Le mot MAN, homme, a eu dans ces idiômes l' acception générale, et de plus l' acception particulière de substantif indéterminé.

Cette double acception se trouve dans l' anglo-saxon, dans le gothique d' Ulphilas.

Wachter, Gloss. germ., pense que cette forme a été fournie aux langues du Nord par la langue gothique. On trouve dans la traduction des Évangiles, par Otfrid:

Za nuzze grebit man ouh tar.

Ad utilitatem fodit homo quoque ibi,

Otfrid, Evang., lib. I, cap. 1, v. 137.

Voyez Ihre, Gloss. suio-gothic.

En danois, en suédois, en hollandais, en allemand (Mann; English man), MAN, substantif masculin, a conservé l' acception générale d' homme et l' acception particulière donnée à ON, roman. (N. E. alemán, man sucht, se busca, man macht, se hace, man weißt es nicht, no se sabe, etc.)

Je crois avoir prouvé que quatre-vingt-cinq mots des serments appartiennent à la romane rustique primitive.

Quant aux mots restants, 1°. il s' en trouve cinq purement latins. (1: Pro, pro, quid, damno, sit.)

2°. Cinq autres n' entrent dans aucune des classifications que j'ai indiquées; ils ne sont ni romans, ni latins. (2: Dist, doit; fazet, fera; stanit, tient; sendra, seigneur; iver, j' irai.)

3°. Dix-neuf mots peuvent, avec la plus légère modification, être comptés parmi ceux de la langue romane. (3:

Dunat, changé en dona par le changement de l' U en O et par la

suppression du T final.

Conservat, conserva,

Jurat, jura.)


Cette suppression en fait des troisièmes personnes du singulier au présent de l' indicatif roman.

Troub. Cat. Esp. Port. It. Dona, conserva, jura.

Le français a changé l' A final roman en E muet: donne, conserve,

jure.

Nunquam: il suffit de retrancher l' m.

Mica nonqua la te. Poëme sur Boèce, v. 14.

Mie jamais la tient.

Troub. Nonca. Cat. anc. Esp. Port. Nunca. Anc. Fr. Nonques.

Karlus, roman Carles (N.E. como Karles Puigdemont.).

Savir, podir; par une légère transmutation, saber, poder.

Troub. Cat. Esp. Port. Saber, poder. It. Sabere, potere. Anc. Fr. Saver, poer.


Meon, meon, meon.

Troub. Fr. Mon. (N. E. en chapurriau tamé: mon pare, mon germá, etc.)


Meos.

Troub. Meus. (N. E. en chapurriau tamé; estos llibres son meus.)


Fradra. Voyez page XVII, fradre.

Suo.

Troub. Sua.


Int, d' inde, latin.

Troub. Ent.

Ella 's ta bella reluz ent lo palaz. Poëme sur Boèce, v. 162.

Elle est si belle que le palais en reluit.

Anc. Esp. El non quiso ende parte nin óvo della cura. 

(óvo, ovo: hubo, tuvo)

Poema de Alexandro, cop. 1294.

Estaban maravilladas ende todas las gentes.

V. de Santa Oria, cop. 7.


Pois, pois, du latin possum.


Neuls, du latin nullus.

On a vu précédemment nul, nulla.

Nun, de non, latin.

Le véritable mot roman NON se trouve dans le serment du peuple français.


On ne saurait trop regretter qu' un document beaucoup plus considérable que les serments de 842 ne nous ait été transmis que dans une traduction latine, qui du moins constate son existence en romane rustique; je veux parler des allocutions que firent, en cette langue, Charles-le-Chauve et Louis de Germanie son frère, lors du traité de paix qu' ils conclurent en 860 à Coblentz (Koblenz, Coblenza), où ils avaient réuni des princes de leur famille, des évêques, des grands et leurs fidèles. On jugera aisément que les expressions de ce précieux document auraient confirmé ce que je dis sur l' existence et l' état de la langue romane au IXe siècle, et auraient fourni à mes assertions de nouvelles preuves et de nombreux développements.

Le roi Louis parla d' abord en langue théotisque; (1: Cette allocution fut longue, elle est traduite dans les capitulaires.

Baluzio, Capit. Reg. Fr., t. II, col. 141, 142, 143, 144.) 

Charles répéta la même allocution en langue romane. (2: Haec eadem domnus Karolus romana lingua adnuntiavit. Baluzio, Capit. Reg, Fr., t. II, col. 144.)

Louis de Germanie dit ensuite à son frère en langue romane: 

“Maintenant, si vous le voulez bien, je désire avoir votre parole au sujet de ces hommes qui me firent hommage de fidélité.” (3: Post haec domnus Hludouvicus ad domnum Karolum fratrem suum lingua romana dixit: “Nunc, si vobis placet, vestrum verbum habere volo de illis hominibus qui ad meam fidem venerunt.” Baluzio, Capit. Reg. Fr., t. II, col. 144.)

Et le seigneur Charles dit à haute voix en langue romane:

“Quant à ces hommes qui se conduisirent envers moi comme vous le savez, et vinrent auprès de mon frère, tous les méfaits dont ils se rendirent coupables envers moi je les pardonne à cause de Dieu et pour

son amour, et afin d' obtenir sa grâce: je leur accorde les alleux qu' ils ont eus par héritage ou par acquêt et par donation de notre Seigneur,  exceptant ce que j' avais donné moi-même, s' ils me fournissent l' assurance qu' ils seront en paix dans mon royaume, et qu' ils y vivront comme des chrétiens doivent vivre dans un royaume chrétien, et cela si mon frère accorde également à mes fidèles qui ne commirent aucun méfait envers lui, et qui m' aidèrent, quand il en fut besoin, les alleux qu' ils possèdent dans son royaume. Quant à ces alleux, et même quant aux fiefs que les autres obtinrent de moi, j' agirai envers ceux qui reviendront à moi, sans prendre d' engagement à cet égard, d' après ma volonté, comme je le déterminerai mieux avec mon frère.” (1)

Enfin Charles parla encore en langue romane, exhorta à la paix, et exprima le voeu, qu' avec la grâce de Dieu, tous les assistants retournassent chez eux sains et saufs; il mit ainsi fin aux allocutions. (2)

(1) Et domnus Karolus, excelsiori voce, lingua romana dixit:

“Illis hominibus qui contra me sic fecerunt sicut scitis, et ad meum fratrem venerunt, propter Deum et illius amorem et pro illius gratia, totum perdono quod contra me misfecerunt, et illorum alodes de hereditate et de *conquisitu, et quod de donatione nostri Senioris habuerunt, excepto illo quod de mea donatione venit, illis concedo, si mihi firmitatem fecerint quod in regno meo pacifici sint, et sic ibi vivant sicut christiani in christiano regno vivere debent. In hoc si frater meus meis fidelibus, qui contra illum nihil misfecerunt, et me, quando mihi opus fuit, adjuvaverunt, similiter illorum alodes, quos in regno illius habent, concesserit. Sed et de illis alodibus quos de mea donatione habuerunt, et etiam de honoribus, sicut cum illo melius considerabo, illis qui ad me se retornabunt, voluntarie faciam.”

Baluzio, Capit. Reg. Fr., t. II, col. 144.

(2) Et tunc domnus Karolus iterum lingua romana de pace commonuit, et ut, cum Dei gratia, sani et salvi irent, et ut eos sanos reviderent, oravit, et adnuntiationibus finem imposuit.

Baluzio, Cap. Reg. Fr., t. II. Col. 144.

La traduction de ces diverses allocutions romanes a fourni plus de six cent cinquante mots latins, et il faut observer que tous les discours romans n' ont pas été traduits.

Voilà donc sept à huit cents mots romans dont l' existence au IXe siècle est constatée, et qui auraient sans doute fourni le moyen de compléter la démonstration qu'à cette époque cette langue avait déjà reçu la plupart

des développements et des genres de perfection qu' on a remarqués dans les langues néolatines.

Mais si ces preuves utiles, quoique surabondantes, manquent, il me sera permis de recueillir et de rapprocher celles que fournissent divers fragments de cette langue romane rustique à l' époque de 960. (1)

Dans le peu de mots qu' ils ont conservés, ces fragments offrent une correspondance intime avec le style des serments de 842, et il n' est pas possible de méconnaître l' identité des formes grammaticales et lexicographiques. (2: Choix des Poésies originales des Troubadours, t. II, p. 49 et s.)

Serments de 842. Actes de 960.

Substantif, Sagrament. Sacrament, p. 50.

Subst. et adj, Li. Li tolra, li devedara, p. 40, 42.

Relatifs. Lo, l'. Lo tornara, p. 40.

O. Non o farai, si o tenra, p. 46, 42.

Que. Que combatre, p. 41.

Que no las, per so que, p. 42, 43.

Adj. indét. Nul. Nul, p. 45.

Verbes. Salvar, returnar. Trobar, p. 46.

Salvarai, prindrai. Tolrai, vedarai, prendrai, p. 41.

Négation. Ne, non. Ne las, ne no, p. 45.

Préposition. Ab. Ab ti, ab te, ab els, p. 44, 43, 46.

Per. Per bataillia, p. 41.

Ajouterai-je qu' il a existé, conformément aux conciles de 813, des homélies, des discours, qu' adressaient au peuple les ministres de la religion, expressément chargés dé prêcher en romane rustique

(1: Homelias quisque aperte transferre audeat in rusticam romanam linguam. Labbe, Concil. de 813, t. VII, col. 1263.)

Mais à défaut de ces documents qui expliqueraient et démontreraient toujours plus évidemment les principes ingénieux, les regles simples et habiles qui présidèrent à la formation et au développement de la romane rustique, on peut établir et indiquer avec succès la comparaison et les rapports des diverses langues néolatines; oui, l' homogénéité de leurs imitations de la langue latine, l' unité méthodique des modifications qu' elles ont ou faites ou acceptées comme de concert, fourniraient à elles seules la preuve incontestable de leur unité, et de l' existence d' un type primitif intermédiaire, d' après lequel chaque langue paraît avoir développé, ou plus tôt ou plus tard, les moyens communs à toutes, en marquant son individualité par des formes spéciales, des particularités caractéristiques.

Tableaux

lunes, 13 de noviembre de 2023

Tome sixième, Grammaire comparée. Chapitre VIII. Locutions particulières, idiotismes, etc.

Raynouard, choix, poésies, troubadours, kindle

Chapitre VIII.

Locutions particulières, idiotismes, etc.

Je ne crois pas nécessaire de rassembler beaucoup d' exemples (1) soit des locutions particulières, soit des idiotismes de la langue romane, qui se retrouvent dans les autres langues de l' Europe latine, ou seulement dans quelques-unes.

Ces rapports d' identité se présenteront naturellement dans un dictionnaire comparé des mots de la langue romane et de ces diverses langues. Je me borne donc aux exemples suivants:

(1) Un autre motif qui me porte à ne donner pas trop d' étendue à ce chapitre, c' est que M. le comte Perticarri, dans le savant ouvrage intitulé: Proposta di alcune correzzioni ed aggiunte al vocabolario de la Crusca, vol. II, part. II, cap. 15, s' est attaché à prouver que les idiotismes que j' avais rapportés dans la grammaire romane, se retrouvent dans la langue italienne, et il en a donné des preuves multipliées. Qu' il me soit permis de citer les passages suivants:

“Ci viene ora il dover toccare alcun poco di que' modi, che si dicono fiorentini e partengono al dir comune non solo di tutti i nostri, ma di tutti quegli stranieri, che vissero sotto l' impero del romano rustico. E perche non si estimi che noi andiamo per molti codici appostando le rade assomiglianze dell' un dialecto coll' altro, onde cavarne questa dottrina dell' antico volgar commune, noi prenderemmo qui ad esame il bel capitolo del chiarissimo Renuardo intorno gl' Idiotismi della lingua romana (*: Grammaire romane, chap. 8, p. 337.), i quali scuopriremmo essere a punto que' che si dicono Fiori del parlare toscano, cioè quelle particolari forme, da cui lingue prendono leggiadria e splendore, e fra loro si disgiungono e si fanno più singolari dall' altre.”

Après avoir prouvé, par des exemples, que ces idiotismes romans se retrouvent dans la langue italienne, il termine ainsi:

“Questi sono idiotismi che il CL. Renuardo ha scoperti in quel romano de' Trovatori: E queste sono pure maniere italiche comuni, belle, proprie ed ancor vive nel parlare e nelle scritture de' nostri.”


De part.

J 'ai annoncé précédemment que j' aurais occasion de prouver que la locution française de par le roi signifiait de la part du roi.

Roman:

“El borges anet e fetz contrafar l' anel del rei, e fetz lettras de part lo rei an Guilelm del Baus.” Vie de Guillaume de Baux.

De part Dieu vos coman lo redemptor…

De part Gerard lo duc ton bon parent.

Roman de Gerard de Rossillon.

De part Boeci lor manda tal raizo. Poeme sur Boece.

“Chansos, vai dir de part me.” Hug. de Saint-Cyr: Servit aurai.

Per qu' ie 'ls encrim

De part honor.

Guill. de Montagnagout: Belh m' es.


Français:

“Ki de Juda est venuz de part Deu.”

Trad. du IVe liv. des Rois, fol. 151.

“Est faiz a nos justise de part Deu lo pere.” 

Sermons de S. Bernard, fol. 38.

“De part Hisboseth le fils Saul.” Trad. du II° liv. des Rois, fol. 42.

De part Deu à vus parlerunt. Marie de France, t. II, p. 436.

De part dame nature. Charles d' Orléans, p. 2.

Les autres langues ont seulement retranché l' article, tantôt après la première préposition DE, tantôt après la seconde, et quelquefois l' ont conservé après l' une et l' autre.

Espagnol:

“Sea maldicho é excomulgado de parte del poderoso Dios.” 

Fuero de Molina. (1: Llorente, Not. de las Prov. vase. t. IV, p. 148.)


Portugais:

Convocados da parte de Tonante. Camões, Lus. I, 20.

Da parte do emperador. Palmeirim de Inglaterra, t. III, p. 10.


Italien:

Della parte del loro signore. Cento novelle ant. n° 1.


Emploi du verbe AVER dans le sens d' ESSER.


Roman:

Qui m disses, non A dos ans. Giraud Riquier: Qui M disses.

Pretz y A et honors. Arnaud de Marueil: Rasos es.


Français:

Nonques ne fu, ne n' ert jamès,

Qu' en amor AIT repos ne pais.

Partonopex de Bloys. (1: Not. des ms. de la Bibl. du Roi, t. IX, part. II, p. 63.)


Briefment, en fame A tant de vice

Que nus ne puet ses meurs pervers

Conter par rime ne par vers.

Roman de la Rose, v. 26536.

En la vile AVOIT un boçu. Fabl. et Cont. anc. t. 3, p. 246.


Espagnol:

Avia un sacristano en essa abadia. Mil. de N. Sra, cob. 287.

Avie en una villa dos ciegos mui lazdrados…

Avie dos omes bonos en la villa de Prado.

Vid. de S. Millán, cob. 323 et 342.


Portugais:

Avia muytas centenas de annos que era fundada.

J. Barros dec. III, liv. IV, c. I.


Italien:

“Non ha gran tempo."Boccac. Decameron, III, I.


Laissar estar.


Roman:

Be m lauzera que m laissassetz estar.

Bertrand de Born: Eu m' escondisc.


Français:

Mais lessiés ester vostre plor. Roman de la Rose, v. 16513.

Ce leis ester, si tornerai

A ce que je preposé ai.

Bible Guiot, v. 556.

Lessiez ester

cel

Pastorel.

J. Errars. (1: La Borde, Essai sur la musique, t. II, p. 191.)


Espagnol:

Sabet no lo dexaron en su tienda estar. Poema de Alexandro, cob. 1553.


Portugais:

On se sert en portugais, dans le même sens, de cette locution deixar star. (2: Bluteau, Dicc. v° Deixar.)


Italien:

Subitamente lasciano star l' esca. Dante, Purgatorio, II.

Lascia star mia credenza. Ariosto, Orlando, XLIII, 6.


De ben en mielhs.

Roman:

E dieus don li bona via tener,

De ben en mielhs e de pretz en poder.

Hugues Brunet : Par lo dous.


Français:

"Ont tousjours de bien en mieulx prospéré."

Ordon. des Rois de Fr., 1461, t. XV, p. 104.

Plaisirs croissans de bien en mieux,

Charles d' Orléans, p. 52.


Portugais:

"Que sua fama crecese de ben em milhor."

Chron. D' El Rey D. Joam I , part. I, p. 52.

Italien:

"Che 'l suo avviso andasse di bene in meglio."

Boccaccio, Decameron III, 3, p. 152.

"Lo trasmuterò di bene in meglio."Boccaccio, Decameron, X, 8, p. 536.


Far la figa, dar la fica.

Cette locution qui exprime un signe de mépris se retrouve dans chacune des langues.

Roman:

El li fes la figa denant,

Tenetz, dis el, en vostra gola.

Roman de Jaufre, v. 2298.


Français:

Cil prime nous ont fait la figue. Bible Guiot, v. 208.


En espagnol et en portugais, on dit: dar la figa (1: Dicc. de la lengua castellana; et Bluteau, v° figa.).


Italien:

Mas el ti fa la fica. Brunetto Latini, Tesoretto, XVI.

"Quel donzello gli fece la fica quasi insino al occhio dicendo li villania."

Cento novelle ant. n° LV.


Aver nom.

Cette locution fut en usage dans la langue latine.

Est via sublimis cœlo manifesta sereno;

Lactea nomen habet; candore notabilis ipso.

Ovidio, Met. lib. I.


Roman:

Qu' ieu AI NOM maistre Certa. Le Comte de Poitiers: Ben vuelh.

Al comte que A NOM N Ugos. Bertrand de Born: Gent part.


Français:

"Uns hom astoit en la terre Us, ki OUT NOM Job.”

Trad. des Mor. de S. Grégoire. (2: Hist. Litt. de la France, t. XIII, p. 7.)

Me numerai par remembrance;

Marie AI NUM, si sui de France.

Marie de France, t. II, p. 401.

Il AVOIT NOM Marcomeris…

J' AI NON, fet-il, Gaudins li blois…

Anglaire OT NON, preux fu e sage.

Partonopex de Bloys. (1: Not. des ms. de la Bibl. du Roi, t. IX, p. 11, 68 et 79.)


Un garçon qui OT NOM Rodains...

Ains demande de quan qu' il voit

Coment A NOM...

Chrestien de Troyes. (2: Hist. Litt. de la France, t. XV, p: 228 et 247.)

Chevalier fud, Owens OUT NOM.

Marie de France , t. II, p. 431.


Comment vous nommez-vous? - J' AI NOM Eliacin.

Racine, Athalie.


Espagnol:

Tersites AVIA NOMBRE el que aya mal fado.

Poema de Alexandro, cob. 399.

Una manceba era, que AVIE NOMNE Oria. Vid. de S. Domin., cob. 316.

Bárbara AVIE NOMNE esta muger guarida. Vida de S. Millán, cob. 137.

Estevan AVIE NOMNE el secundo ermano. Mil. de N. Sra, cob. 238.

AVIE el ome bueno NOMNE Nepociano. Vida de S. Millán, cob. 172.

Era un rey de Moros, Alcarás NOMBRE AVIA.

Arcipreste de Hita, cob. 119.


Portugais:

"Que AVIA NOME Dom Gonçalo Pereira."

Cron. D' El Rey D. Joam I, part. I, p. 58.

"A quarta AVERA NOME Sancta Cruz."

J. Barros, dec. III, liv. I, c. 1.


Italien:

"Io HO NOME Don Diego." Cento nov. ant., n° 17.

"Monna Isabetta AVEA NOME." Boccaccio, Decameron, III, 4.


Mal mon grat, mal grat mieu.

Cette locution mal mon grat, etc., est très-particulière, et elle se retrouve cependant dans toutes les langues de l' Europe latine.

Roman:

Que mal grat vostre us am e us amerai

E mal grat mieu, mas amors vos m' atrai.

Gaucelm Faidit: Mais ai poinhat.

E mal lur grat meto 'ls en las postatz.

Bern. de Rovenhac: Bel m' es quan.

De Jacobina qu' en volion menar

En Serdanha mal son grat maridar.

Rambaud de Vaqueiras: Honrat marques.


Français:

Esrache mau gré sien sa dent...

Autressi mau gré lor donnaient.

Fabl. et Cont. anc., t. 1, p. 162.

Qui, quant il s' en vuet retorner,

Mau gré sien l' estuet sejorner.

Roman de la Rose, v. 14186.


Espagnol:

Mal su grado tornaron se al castiello.

Poema de Alexandro, cob. 589.

"Que fagan ende penitencia mal su grado."

Fuero juzgo III, VI, 5, not. 25.

Issió de la celada á todo mal so grado.

Vida de S. Millán, cob. 194.

Fuyéron á los Griegos á todo mal su grado.

Poema de Alexandro, cob. 1030.

No contrastes a las gentes

Mal su grado.

Marqués de Santillana. (1: Coll. de poes. cast. ant. al sec. XV, t. I, p. XXXIV.)


Portugais:

"A mal seu grado de quantos dentro eram."

Cron. d' El Rei D. Joam I, p. I, 347.


Italien:

Il cor che mal suo grado attorno mandó. Petrarca, son. Quando più.

Che mal mio grado a morte mi trasporta. Petrarca, son. Sì traviato.

S' a mal mio grado, il lamentar che vale?

Petrarca, son. S' amor non è.

Furor, mal grado suo, tralucar vidi.

Alfieri: Filippo, att. 5.


Le Tasse, dans ses Lettere poetiche, n° 28, condamne les écrivains qui ne placent pas le pronom entre MAL et GRADO, et le mettent au-devant de MAL ou après GRADO, comme l' a fait Alfieri. (1: "Che non si possa dire: Malgrado mio, o mio malgrado, è certissimo, e così sempre appresso tutti i buoni.")


Conclusion.

Tels sont les principaux rapports que j' ai observés entre les langues de l' Europe latine, telles sont les preuves principales que j' avais à fournir de leur origine commune.

Qu' il me soit permis, en terminant ce travail, de rappeler les caractères les plus essentiels, les formes les plus spéciales de la langue romane, et d' indiquer jusques à quel point on les retrouve dans chacune des autres

langues.


Ier caractère.

Articles.

Un des caractères spéciaux de la langue romane, fut que, née de la corruption du latin qui n' avait pas d' articles, elle en employa, et qu' elle les créa pour son propre usage.

Ces articles ont été adoptés par les diverses langues.

Et ce qui mérite d' être remarqué dans cette identité, c' est que tous les articles romans disséminés et épars dans ces langues qui les ont employés, se retrouvent les uns sans changements, les autres avec des modifications qu' il est aisé de reconnaître.

Plus on remonte dans les littératures de l' Europe latine, plus on trouve de monuments qui déposent de cette identité primitive des articles.


IIe caractère.

Désinences en consonnes.

La langue romane employa ordinairement des mots terminés en consonnes, soit substantifs et adjectifs, surtout quand ils n' étaient pas féminins, soit verbes, adverbes, prépositions et conjonctions.

Cette forme caractéristique a existé principalement dans l' ancienne langue francaise, et aujourd'hui même notre langue conserve un très grand nombre de ces désinences, sur-tout dans les substantifs et les adjectifs masculins.

Elle se retrouve encore dans la langue espagnole, qui autrefois l' a employée plus souvent.

Le portugais l' a peu adoptée; du moins faut-il le juger ainsi, d' après les plus anciens monuments qui nous restent de cette langue.

L' italien en a conservé des vestiges nombreux, et l 'a reproduite souvent dans les mots terminés en L, M, N, R.

Mais les patois de la haute Italie ont employé dans les temps les plus anciens, et ils conservent encore, avec une sorte d' universalité, ce caractère de la langue romane, et ils rejettent ordinairement la voyelle finale euphonique.



IIIe caractère.

Désinences en voyelles.


Dans les désinences en voyelles qu' offrent les substantifs et les adjectifs féminins de la langue romane, et qui ont presque toutes été adoptées dans les autres langues, il s' en trouve plusieurs qui sont particulières a la langue commune, et qu' on ne peut regarder comme empruntées au latin, ainsi que j' en ai fait la remarque.


IVe caractère.

Présence ou absence de l' S final désignant les sujets ou les régimes au singulier ou au pluriel.


Ce caractère individuel de la langue romane est un des accidents grammaticaux les plus remarquables et les plus utiles. Je n' ai pas besoin de prouver quel avantage il procurait, en permettant tous les genres d' inversion, sans nuire jamais à la clarté.

La seule langue française avait conservé ce caractère; elle le perdit durant le quatorzième siecle; et, quoiqu'on en trouve des vestiges dans le quinzième, il est certain que, lors de la transcription des anciens manuscrits, les copistes avaient soin de faire disparaître ce signe grammatical dont ils ne reconnaissaient plus la valeur, et qui leur paraissait une faute des temps anciens.

Dans le seizième siècle, Marot, donnant une édition du roman de La Rose, crut devoir corriger les deux premiers vers: et pour les accommoder à la grammaire du temps, il fit un sujet pluriel du mot songes, qui était un régime indirect pluriel; et des mots fables, mençonges, sujets singuliers, il fit deux sujets pluriels. 

(1: Maintes gens dient que en songes

N' a se fables non et mençonges.

Marot corrigea:

Maintes gens vont disant que songes

Ne sont que fables et mensonges.)


Il ne paraît pas que les autres langues de l' Europe latine aient employé cette forme romane; aussi ont-elles quelquefois des constructions amphibologiques; l' espagnol et le portugais ont recours à la préposition A, qui est employée pour désigner le régime direct, principalement quand c' est un nom propre.


Ve caractère.


Autres manières de distinguer les sujets et les régimes dans les noms propres et dans les noms qualificatifs.

Ces formes dont j' ai indiqué les règles (2: Voyez p. 85 à 95.), ne furent communes qu' à la langue romane et à la langue française qui même les rejeta, quand vers le seizième siècle, les écrivains eurent perdu la tradition des règles primitives de la langue romane.


VIe caractère.

Caractères spéciaux dans les adjectifs romans.

On aura remarqué la formation des adjectifs romans dont les uns sont invariables, parce qu' ils dérivent d' un adjectif latin qui appartenait aux deux genres; et les autres, dérivés d' un adjectif latin qui recevait dans sa déclinaison les genres divers, ont été soumis à prendre le genre du substantif auquel ils se rapportent.

Ce qui est remarquable dans cette double classe d' adjectifs romans, c' est qu' elle a été adoptée par chaque langue.

Ce n' est que très-tard que les adjectifs, auparavant invariables, de la langue française, ont été soumis à la règle générale qui a exigé que l' adjectif s' accordât en genre avec le substantif.

Et encore est-il resté, dans divers emplois de l' adjectif GRAND, des vestiges incontestables de la règle primitive.


VIIe caractère.

Termes de comparaison.

Les comparatifs et superlatifs composés furent un des caractères de la langue romane.

Le QUE placé après les comparatifs, soit simples, soit composés, fut remplacé souvent par la préposition DE.

Cette dernière forme exista également dans toutes les langues de l' Europe latine.

La langue française ne l' a tout-à-fait rejetée que dans le seizième siècle. 

VIIIe caractère.

Affixes.

Ce caractère de la langue romane est spécial.

Les affixes formés des pronoms personnels se retrouvent dans l' ancienne langue espagnole; j' ai prouvé que l' ancien français en a fait usage.

Il est très-remarquable sans doute que les anciens monuments portugais n' offrent aucune trace de cet accident de la langue romane.

Mais les affixes se retrouvent et dans les patois de la haute Italie et sur-tout dans le catalan qui les a conservés intégralement.



IXe caractère.

Le pronom ALTRE joint a des pronoms personnels.

Ce caractère fut particulier à la langue romane, et toutes les langues de l' Europe latine l' ont adopté et conservé.


Xe caractère.

Pronoms relatifs QUI, QUE, LO QUAL.

La langue romane employa QUI, QUE, LO QUAL, soit comme sujets, soit comme régimes directs ou indirects.

La seule langue française a conservé QUI, qu' elle emploie comme sujet et comme régime indirect.

Les autres langues qui ont d' abord adopté QUI roman, l' ont ensuite rejeté (1: L' italien a conservé QUI dans quelques acceptions.); et se servant de QUE ou CHE, comme sujet et comme régime, elles sont exposées à des amphibologies ou à des obscurités qui n' existent pas dans la langue française.

QUAL employé avec l' article, et faisant les fonctions de relatif, est une forme romane qui existe encore dans chaque langue, et sert beaucoup à la clarté du style.


XIe caractère.

Pronom indéterminé OM.

Quand on ne considérerait que l' usage du pronom indéterminé OM dans chaque langue, ce caractère particulier serait digne d' observation.

La langue française a conservé essentiellement cette forme romane qu' on retrouve dans les autres langues de l' Europe latine à des époques plus ou moins reculées.



XIIe caractère.

Emploi des auxiliaires.

Toutes les langues de l' Europe latine ont également employé les auxiliaires romans, et ont ainsi abandonné une partie des formes que le latin avait créées ou imitées.

Ce caractère universel des langues nées après la décadence de la langue latine mérite l' attention des linguistes.


XIIIe caractère.

Verbes.

Dans les accidents nombreux qui caractérisent les verbes romans, il faut distinguer comme spéciaux la formation des futurs par l' adjonction des inflexions du présent du verbe AVER au présent des infinitifs de chaque verbe, et la formation du conditionnel en joignant les inflexions de l' imparfait de ce verbe au même présent des infinitifs.

Toutes les langues de l' Europe latine conservent cette forme au futur. 

Toutes l' ont employée pour le conditionnel.

(1: C' est un accident très-remarquable dans la langue italienne que, dans les anciens auteurs, ceux qui ont employé haggio, etc., pour le présent du verbe HAVER, aient employé au futur haveraggio, etc.)


XIVe caractère.

Futurs divisés.

Le futur divisé est encore une de ces formes particulières qui servent à caractériser une langue.

Il n' a été adopté que par l' espagnol et par le portugais.




XVe caractère.

Participes passés de la seconde conjugaison, en UT.

Les détails et les preuves que j' ai eu occasion de présenter permettent de regarder cette inflexion UT des participes passés, comme une particularité de la langue romane; ce caractère a existé, et s' est plus ou moins conservé, dans les diverses langues de l' Europe latine.


XVIe caractère.

Doubles participes.

Ces doubles participes, l' un régulier d' après l' analogie, l' autre irrégulier, emprunté de la langue antérieure, sont une des innovations de la langue romane, qui mérite quelque attention, puisque l' effet s' en est retrouvé dans les autres langues, quoique moins rarement dans la langue française.


XVIIe caractère.

Formes passives.

L' emploi du verbe auxiliaire ESSER, avec le participe passé, appartient à la langue romane; il a fourni une sorte de passif aux langues de l' Europe latine, qui aujourd'hui s' en servent constamment pour remplacer le

passif latin.


XVIIIe caractère.

Verbes pronominaux passifs.

L' usage du verbe pronominal passif est de même une forme spéciale romane.




XIXe caractère.

Infinitif avec la négation, employé dans le sens de l' impératif.

Cette forme permettait une heureuse variété; elle a été en usage dans la langue romane, dans la langue française et dans l' italienne.

Je n' en ai trouvé de traces ni dans l' espagnol, ni dans le portugais.


XXe caractère.

QUE conjonctif exprimé ou sous-entendu.

Une forme particulière de la langue romane fut de faire du QUE conjonctif les différents emplois que j' ai désignés, et sur-tout de le sous-entendre, sans que le verbe suivant changeât son inflexion.

On a vu que chaque langue avait primitivement conservé cette forme, et que toutes ne la rejettent pas aujourd'hui.


XXIe caractère.

Adverbes composés.

La manière heureuse dont la langue romane forma des adverbes composés par l' addition de MENT à l' adjectif féminin, est une de ses formes les plus essentielles; elle a existé, elle se retrouve encore dans toutes les langues de l' Europe latine. Il serait difficile d' admettre que chaque langue eût créé, pour son usage, un pareil moyen de caractériser les adverbes dérivés d' un adjectif.


XXIIe caractère.

Négations explétives.

Le latin ne connaissait pas cette manière d' augmenter la force de la négation, en ajoutant à NON des mots explétifs.

La langue romane employa de cette sorte RES, GAIRE, GES (: gens), MICA, PAS, etc.

Cette forme passa dans les autres langues; chacune adopta plus ou moins de mots explétifs romans, et en ajouta particulièrement d' autres dans le même sens.

Ainsi la forme romane a été conservée ou reproduite dans les langues de l' Europe latine.


XXIIIe caractère.

Nom de ROMANE, ROMANCE, donné aux diverses langues de l' Europe latine. (N. E, romans, romanç, plana lengua romana; arromansar, arromansada, etc.) 


À toutes ces preuves produites, sous tant de formes différentes, de l' existence d' un type commun, de l' identité des langues de l' Europe latine, j' en ajouterai une dernière qui peut-être serait peu concluante, s' il ne s' agissait que d' un fait isolé, mais qui me paraît ajouter un nouveau degré d' évidence aux preuves déja rapportées; c' est l' identité du nom qu' ont donné à la langue chacun des peuples de l' Europe latine; ils ont appelé leur propre langue ROMANE, ROMANCE: désignation qui rappelle et confirme l' origine commune.

Je ne citerai pas ici les conciles et les capitulaires qui ont parlé de la langue romane dès les huitième et neuvième siècles.

Roman:

Et ieu prec ne Jeshu del tro

Et en romans et en lati.

Le Comte de Poitiers: Pus de chantar.

Cel que volc romansar

La vida Sant Albar.

Vie de S. Honorat.


Français:

Io Marie ai mis en memoire

Le livre del espurgatoire

En romanz k' il seit entendables

A laie genz e covenables.

Marie de France, t. 2, p. 499.

Au finement de cet escrit

K' en romanz ai turné et dit…

M' entremis de cest livre feire

E de l' angleiz en roman treire.

Marie de France, t. 2, p. 401.

Cil qui fist d' Erec et d' Enide,

Et les commandemens d' Ovide,

E l' ars d' amors en romans mist.

Chrestien de Troyes. (1: Hist. Litt. de la France, t. XV, p. 194.)

Un clers de Chastiaudun Lambert li cors l' escrit

Qui du latin la trest et en romant la mist.

Roman d' Alexandre. (2: Ib. p. 160.)

“Les lettres... l' une en roumanch, l' autre en latin.”

Lettre du Bailli de Cambrai, 1297. (3: Contin. de Ducange, v° romancia.)


Espagnol:

Quiero fer la pasion de sennor Sant Laurent

En romaz, que la pueda saber toda la gent.

Mart. de S. Lorenzo, cob. I.

Aun merced te pido por el tu trobador

Qui este romance fizó.

Loores de N. Sra, cob. 232.

Quiero en mi vegez, maguer so ya cansado,

De esta santa Virgen romanzar su dictado.

Vida de S. Oria, cob. 2.

Romanzó otra prosa, tan noble tratadiello

Qu' es un romanz fermoso.

Loor de Berceo, cob. 27.

Don Gonzalo el caboso preste noble é dino

Fizó d' estos deitados en romanz paladino,

Tirando las razones del lenguage latino.

Loor de Berceo, cob. 34.

Quiero fer una prosa en roman paladino,

En qual suele el pueblo fablar á su vecino.

Vid. de S. Domin., cob. 2.

Dans les constitutions de la Catalogne, Jacques Ier, roi d' Aragon, défendit de garder les livres de l' ancien ou du nouveau testament en langue romance:

“Ne aliquis libros veteris vel novi testamenti in romancio habeat.” 

(1: Ducange , v° romancium.)


Portugais:

Dans l' ouvrage de Duarte Núñez de Liam, intitulé: Origem da lingoa portuguesa, le chapitre VI porte ce titre:

“A lingoa que se oje falla em Portugal, donde teve origem e por che se chama romance.”

Il répond que la langue latine avait été parlée en Portugal jusques à l' arrivée des Vandales, des Alains, des Goths et des Suèves, qui succédèrent aux Romains, et il ajoute:

“Corromperão a lingoa latina com a sua e amisturarão de muitos vocabulos assi seus como da outras nacoēs bárbaras que consigo trouxerão, de que se veó fazer a lingoa que oje fallamos, que por ser lingoa que tem fundamentos de Romana, ainda que corrupta, lhe chamamos oje romance.”

Camõens s' est servi de ce mot pour désigner la langue particulière d' une nation:

O rapto rio nota, que o romance

Da terra chama Oby, entra em Quilmance.

Camões, os Lusiadas, X, 96.


Italien:

Quoique les anciens auteurs italiens aient généralement donné à leur langue le nom de volgar, la plupart de ceux qui ont écrit l' histoire littéraire d' Italie ont souvent désigné la langue ancienne par le nom de romanza.

Fontanini, della eloquenza italiana, p. 13, dit:

“Io abbia incontrata della pura lingua romanza d' Italia, usata in quel tempo.”

“Indicatori di ciò che riguarda questa nostra favella volgare o comune romanza d' Italia.”

Speroni appelle aussi la langue vulgaire commune romanzo d' Italia. 

(1: Dialoghi, p. 458, 461, 463.)

Dans la haute Italie, le pays des Grisons conserve l' ancienne langue romane, sous le nom même de romanche.

Je pense qu'on aimera à voir dans le tableau suivant l' indication synoptique des principaux caractères de la langue romane, adoptés par les langues de l' Europe latine.





Tableau indiquant dans chaque langue l' emploi des principaux caractères de la langue romane.

Roman. Français. Espagnol. Portugais. Italien.

I, I, I, I, I,

II, II, II, II,

III, III, III, III, III,

IV, IV,

V, V,

VI, VI, VI, VI, VI,

VII, VII, VII, VII, VII,

VIII, VIII, VIII,

IX, IX, IX, IX, IX,

X, X, X, X, X,

XI, XI, XI, XI, XI,

XII, XII, XII, XII, XII,

XIII, XIII, XIII, XIII, XIII,

XIV, XIV, XIV,

XV, XV, XV, XV, XV,

XVI, XVI, XVI, XVI, XVI,

XVII, XVII, XVII, XVII, XVII,

XVIII, XVIII, XVIII, XVIII, XVIII,

XIX, XIX, XIX,

XX, XX, XX, XX, XX,

XXI, XXI, XXI, XXI, XXI,

XXII, XXII, XXII, XXII, XXII,

XXIII, XXIII, XXIII, XXIII, XXIII.


Après s' être convaincu de la vérité de ces rapports, il sera peut-être curieux de rechercher si dans les auteurs français, espagnols, portugais et italiens, il ne se rencontre point parfois des passages qui appartiennent à la langue des troubadours; si le fait existe, il deviendra un nouveau genre de démonstration, qui, sans être nécessaire pour la conviction, ne laissera pas que de corroborer encore les preuves précédentes. (1: J' aurai soin de prendre ces passages dans des ouvrages imprimés, afin qu' on puisse les vérifier aisément.)


Passages romans qui se retrouvent dans le français, l' espagnol, l' italien et le portugais.

Les nombreux passages qu' on peut extraire des auteurs français, espagnols, portugais, italiens, et qu' on doit regarder comme romans, fourniront une preuve d' identité, qui seule suffirait pour faire admettre l' existence d'un type primitif et commun.

Et, chose bien remarquable! c' est que les passages que je citerai, quoique identiquement romans et français, romans et espagnols, romans et portugais, romans et italiens, ne conservent ce rapport d' identité qu' entre le roman et chaque langue isolée; c'est-à-dire que le passage qui est à-la-fois roman et français n' est plus français et espagnol, et de même le passage qui est roman et espagnol n' est plus espagnol et français ou italien, etc.


Français:

De corre sus à lor seignor…

Soz la flor

Com el novel tens de pascor…

Vostre hom lige en devenrai

E toz jors vostre sers serai.

Partonopex de Bloys. (2: Not. des ms. de la Bibl. du Roi, t. IX, part. II, p. 10, 51 et 67.)

Partirai

Tan com vivrai.

Raoul de Beauvais, p. 162. (1: Cette citation et les suivantes sont tirées de l' Essai sur la musique par La Borde, t. II. Chaque chiffre indique la page du volume.)

A la meillor del mont.

Jacques de Chison, p. 181.

La servirai…

Tant com vivrai,

Trop gran mal trai.

Gace, p. 196.

Mon corage

En retrairai,

De li partirai.

Le Moine de Saint-Denis, p. 201.

D' un escorpion sentir

Et morir

Que de ma dolor languir.

Raoul de Soissons, p. 219.

Faire clamor

S' a vos non de ma dolor...

Quant de vos n' ai confort...

Quant ma dolor désir…

Que toz jors sui en plors et en sospir…

Tant ai en li ferm assis mon corage.

Raoul de Coucy, p. 264, 272, 274, 279, 294.

Vers deu greignur amur

De deu servir mun creatur…

A l' eveske de cel pais…

Trop ai forfait a mun seignur…

Ja nul habit en recevra.

Ke si tut li home del munt…

Quant la chalur senti si grant.

En honur deu son creatur. (1: J' ai prouvé qu' anciennement l' idiome français écrivait souvent U pour O.)

M. de France, Purg. de Saint Patrice.

En trairai Dieu a garant…

De ma chançon fais message…

Tant i pens de haut corage…

Sofrir ma dolor

Vivre et attendre et languir…

Qui resplent a vostre vis...

Dieus tant fort, quant la remir…

Plus a mestier de confort...

Et tu t' en vas,

Chanson, a li et li di…

Sai k' amors damage i aura grant…

E chant sovent com oiselet en broel

A faire un lai

De la meillor, forment m' esmai

Que trop...

Le roi de Navarre, t. II, passim.


Espagnol:

Passages romans tirés de quelques ouvrages de Berceo.

Poema de Alexandro.

Cob.

6. Que fue franc é ardit é de grant sabencia.

56. Di, si son treinta mill, que son tres mill ó non.

87. Apelles que nul ome meior d' el non obraba.

96. Era la maldita de guisa fadada.

127. Abaxaron las lanzas é fueron se golpar.

175. Era esta Corinta una nobla ciudad,

Sobre todas las otras avia grant bontat.

176. Avien en Grecia rey á coronar.

263. Es maïor de todas Asia é meior…

321. Eucuba fué en coita que s cudaba morir.

325. Eucuba la reina fué de Paris prennada.

367. Pensa de aguisar lo que avrás mester.

491. Las novas de Elena que non fuessen sonadas.


Milagros de nuestra señora. (N. E. Leo SENORA)

8. Unas tenien la quinta é las otras doblaban.

… Errar no las dexaban,

Al posar, al mover, todas se esperaban.

38. Que en alguna guisa á ella non avenga

Non á tal que raiz en ella no la tenga. (raíz)

47. Mas son que arenas en riba de la mar. (Más)

61. Fecist me nueva festa que non era usada…

127. Mas á gran diferencia de saber á cuidar.

230. El que á mi cantaba la missa cada dia.

236. ...Cibdat

Maestra é sennora de toda christiandat.

270. Era en una tierra un ome labrador

Que usaba la reia mas que otra labor.

281. En una villa bona que la claman Pavia.

352. Sonada es en Francia, si faz en Alemanna.

370. Entendieron que era Sancta Maria esta.

374. Tal es Sancta Maria que es de gracia plena.

391. ... Plena de gracia, perdona esta cosa;

Da nos buena respuesta temprada é sabrosa.

415. Udieron una voz de grand tribulacion; (oyeron; gran; tribulación)

Fo perturbada toda la procession.

421. Entendiéron que era voz de Sancta Maria.

439. Valas li, Sancta Maria, dicien á grant pressura.

446. … La tierra estranha,

En Grecia é en Africa é en toda Espanha.

473. En forma de leon una bestia dubdada.

499. Que no vaian las almas nuestras en perdicion.

527. Que nunca mas torne en aquesta erranza.

Vida de Santa Oria.

118. Todas venian vestidas de una blanca frisa

Nunca tan blanca.

126. … De una calidat,

De una captenencia é de una edat…

... Las otras non vencia de bondat;

Trahian en todas cosas todas tres igualdat.

156. … De personas honrradas

Que eran bien vestidas todas é bien calzadas;

Todas eran en una voluntat acordadas.


Portugais:

Passages tirés de la Lusiade de Camoens.

Est. Cant. 

I. 17. … Renovada.

Sua memoria é obras valerosas.

30. Estas palavras Jupiter dizia.

33. Estas cousas moviam Cytherea.

46. De humas folhas de palma ben tecidas.

67.  Malhas finas é láminas seguras.

II. 100. Sonorosas trombetas incitavam.

III. 3. Naõ me mandas contar estranha historia

Mas mandas me.

III. 18. Todas de tal nobreza é tal valor.

IV. 56. Maravilhas em armas estremadas

E de escriptura dignas.

IV. 57. E gloria de mandar amara é bella.

IV. 61. … Que passaram

Hespanha, França, Italia celebrada.

IV. 96. Chamam te fama é gloria soberana.

V. 72. De aquella portugueza alta excellencia.

V. 36. Era alguma profunda prophecia.

VIII. 2. Estas figuras todas que aparecem.

IX. 11. De mais não celebrar nehum de Roma.

IX. 42. Que contra tua potencia se rebella,

… Hypocrisia val contra ella.

IX. 44. Mas diz Cupido que era necessaria

Huma famosa…

IX. 64. … Citharas tocavam

Alguas arpas, é sonoras frautas.

IX. 81. Que amor te ferirá, gentil donzella,

Et tú me esperarás, se amor te…

X. 52. E fara descobrir remotas ilhas.

X. 73. ... Estas nymphas é estas mesas

Que glorias é honras são de arduas empresas.

X. 74. Honra, valor é fama gloriosa.

X. 83. … Santa providencia

Que em Jupiter aqui se representa.


Italien:

Passages tirés de Pétrarque.

Una dolcezza inusitata e nova... Canz. Perché la vita.

E seguir lei per via. Son. La bella.

Sua bella persona

Copri mai d' ombra…

Son. Quella fenestra.

Che gran temenza gran desire affrena.

Son. Quando 'l.

Umil fera, un cor... d' orsa

Che 'n vista umana e 'n forma d' angel…

Son. Questa umil.

E la strada del ciel si trova aperta. Canz. Italia mia.

Ad uom mortal non fu aperta la via.

Un cavalier ch' Italia tutta onora.

Canz. Spirto gentil.

Un' altra prova

Maravigliosa e nova

Per domar me convien ti.

Canz. Amor se vuoi.

Contra la qual non val forza. Son. L' ardente.

Viva e bella e nuda al ciel salita.

Son. Nell' eta.

La vista angelica serena

Per subita partenza…

Son. Poi chè la.

Che s' ella mi spaventa, amor m' affida.

Son. O invidia.

Lei che 'l ciel non poria lontana far me. Son. Per mezzo.

L' aura gentil che rasserena. Son. L' aura.

Alma, non ti lagnar. Son. Dolci ire.

Ch' un bel morir tutta la vita onora. Canz. Ben mi.

Amor me, te sol natura mena. Son. Rapido fiume.

Piacer mi tira, usanza mi trasporta

Speranza mi lusinga e riconforta.

E la man destra al cor… Son. Voglie mi.

Mantova e Smirna e l' una e l' altra lira. Son. Parra forse.

Cosa bella mortal passa e non dura. Son. Chi vuol.

M' aporta

Dolcezza ch' uom mortal non sentì mai.

Son. Del cibo.


J' aurais pu facilement accumuler de pareilles citations, si ce genre de preuves matérielles m' avait semblé essentiellement nécessaire après tant d' autres preuves que j' ai précédemment établies, et qui par leur nature, leur série, leur identité, démontrent si évidemment le fait incontestable d' une opération genérale et simultanée qui a produit le type commun de la langue romane primitive, et qui a devancé et préparé les diverses modifications de détail, par lesquelles chaque langue de l' Europe latine, en conservant le caractère général, devint une langue

particulière, tandis que la langue romane primitive se maintenait et se perfectionnait dans celle des troubadours.

Il est aisé de reconnaître les principales modifications qui constituent les diverses nuances par lesquelles les autres langues de l' Europe latine diffèrent de la romane primitive; et si l' on se prêtait à ce que ces modifications disparussent dans chacune des langues, elles redeviendraient identiques avec celle des troubadours.

Mais, au lieu de répéter ici minutieusement les modifications que j' ai eu occasion d' indiquer pour chaque langue, je donnerai un genre de preuve que chacun pourra aisément apprécier; ce sera de citer des vers de chaque idiome, et de les réduire à leur état primitif roman; le résultat de leur comparaison deviendra une nouvelle démonstration.


Italien.

Ainsi, je choisirai pour l' italien un passage fameux de Dante, le commencement du troisième chant de l' Enfer:

Per me si va nella città dolente,

Per me si va nell' eterno dolore,

Per me si va tra la perduta gente.


Giustizia mosse 'l mio alto fattore.

Fecemi la divina potestate,

La somma sapienza, e 'l primo amore, etc.


Langue des troubadours.


Per me si va en la ciutat dolent,

Per me si va en l' eternal dolor,

Per me si va tras la perduta gent.


Justizia moguet el mieu alt fachor.

Fez mi la divina potestat,

La summa sapienza, e 'l prim' amor.

Portugais:

Voici une petite pièce de Camoëns qui est entièrement dans le genre des troubadours.

Portugais.

Da lindeza vossa,

Dama, quem a vè,

Impossivel he

Que guardar se possa.

Se faz tanta móssa

Ver-vos hum só dia,

Quem se guardaria?

Melhor deve ser

Neste aventurar

Ver, e naõ guardar (não)

Que guardar e ver.

Ver, e defender

Muito bom seria,

Mas quem podria?


Langue des troubadours.

De cuindanza vostra,

Domna, qui la ve,

Impossibil es

Que guardar se possa.

Si faz tanta cocha

Vers vos un sol dia,

Qui se guardaria?

Melhor deu esser,

En est aventurar,

Vezer, e no guardar

Que guardar e vezer.

Vezer, e defendre

Molt bon seria,

Mas qui poiria?


Espagnol:

Calderón a placé l' apologue suivant dans la pièce: La vida es sueño.


Espagnol. (N. E. Añado tildes)

Cuentan de un sabio que un día

Tan pobre y mísero estaba

Que sólo se sustentaba

De unas hierbas que cogía.

Habrá otro, entre sí decía,

Más triste y pobre que yo?

Y quando el rostro volvió,

Halló la respuesta, viendo

Que iba otro sabio cogiendo

Las hojas que él arrojó.


Langue des troubadours.


Contan de un savi que un dia

Tan paubres e meschis estava

Que sol se sustentava

De unas herbas que coglia.

Aura altre, entre si dizia,

Mas trists e paubres que ieu?

E quant el vis volvet,

Trobet la risposta, vezen

Que anava altre savi coglien

Las folhas que el gitet.


Français:

Je citerai les deux premiers couplets d' une chanson de Raoul de Beauvais. (1: La Borde, Essai sur la musique, t. II, p. 162.)


Langue des trouvères.


Puisque d' amors m' estuet chanter,

Chançonnette commencerai;

Et, pour mon cuer reconforter,

De novele amor chanterai.

Dex! tant me fit à li penser

Cele dont ja ne partirai,

Tan com vivrai;

He! Dex! vrai Dex! ne puis durer

As maux que j' ai.


Se la belle blonde savoit

Com li departirs m' ocira,

Ja de moi ne departiroit

S' amor, qu' ele donnée m' a.

Car, en quel lieu que mes cors soit,

Mes cuers toujours a li sera,

Ne ja ne s' en departira,

Dex! la reverrai-je tant ja

La bele qui mon cuer a?


Langue des troubadours.


Pus que d' amor m' estuet chantar,

Chansoneta commensarai,

E, per mon cor reconfortar,

De novela amor chantarai.

Deus! tant me fai a li pensar

Cela dont ja no m partirai,

Tan com viurai;

Ah! Dieus! verais Dieus! no puesc durar

Als mals qu' ieu ai.


Si la bella blonda sabia

Com lo departirs m' aucira,

Ja de mi no departiria

S' amor qu' ela donada m' a.

Quar, en qual loc que mos corps sia,

Mos cors totz jors a li sera;

Ni ja no s' en departira,

Dieus! la reveirai ieu tant ja

La bella que mon cor a?


Tels sont les rapports aussi curieux qu' incontestables des diverses langues de l' Europe latine avec celle des troubadours.

Comment était-il arrivé que cette dernière langue parvenue depuis long-temps au degré de perfection où elle pouvait atteindre, fixée par des ouvrages dont on peut aisément reconnaître et apprécier le mérite, eût laissé si peu de souvenirs de son existence, qu' il soit devenu nécessaire de se livrer à de longues et pénibles recherches pour en débrouiller les règles et en rassembler les précieux monuments?

On conçoit aisément que, depuis la séparation de la France en langue d' OIL et en langue d' Oc, l' idiome des troubadours, n' ayant plus été cultivé ni parlé que dans les pays méridionaux, n' a pu se conserver lorsqu'ils ont été tour-à-tour réunis au royaume.

A mesure que quelqu'un de ces pays devenait province de France, cette langue d' Oc était forcée de céder à la langue d' OIL qu' il fallait nécessairement étudier et connaître pour entretenir les rapports avec la cour de Paris, et faire exécuter les actes du gouvernement français.

Quoique la loi qui a exigé rigoureusement que tous les actes publics fussent rédigés en langue française, ne soit que du seizième siècle, il n' en est pas moins certain que, depuis le treizième, les ordonnances des rois de France étaient promulguées en cette langue, et que, pour les

pays de la langue d' Oc, on envoyait ces ordonnances et les ordres du gouvernement en latin ou en français; ainsi la langue romane, ce bel idiome des troubadours, n' avait plus aucun moyen de se produire et de se maintenir hors du cercle étroit de l' usage domestique dans lequel elle resta reléguée.

Aussi à l' époque fameuse où la découverte de l' imprimerie répandit dans toute l' Europe un mouvement d' investigation, un désir et même un besoin d' instruction qui a tant favorisé la circulation des lumières, lorsque cet art précieux assura une sorte d' universalité et d' éternité aux nobles créations du génie, la France fit imprimer un très-grand nombre d' ouvrages écrits dans l' idiome d' OIL, sans que personne songeât à transmettre à la postérité les ouvrages des troubadours.

Les formes, les expressions qui tenaient à leur idiome étaient repoussées par les écrivains du nord de la France, dont il fallait adopter les formes, les expressions; Ronsard s' en plaignait encore de son temps:

“Aujourd'hui, parce que notre France n' obéit qu' à un seul roy, nous sommes contraints, si nous voulons parvenir à quelque honneur, de parler son langage; autrement nostre labeur, tant fut-il honorable et parfait, serait estimé peu de chose ou peut estre totalement mesprisé.” (1: Ronsard, abr. de l' Art poét., p. 1628.)

Me permettra-t-on d' examiner ce qui serait vraisemblablement arrivé, si, à l' époque de la gloire et des succès des troubadours, les rois de France, fixant leur demeure et choisissant leur capitale dans un pays situé au midi de la Loire, avaient adopté la langue romane primitive, cet idiome honoré et répandu dans la France et dans une partie de l' Europe, pendant les douzième et treizième siècles; si, par exemple, Louis IX avait accordé en France, à la langue fixée des troubadours, la faveur et les avantages qu' Alphonse le Sage accordait en Espagne à l' idiome castillan, à peine formé et presque inconnu?

La langue romane primitive ou la langue des troubadours, devenant la langue de la France entière, aurait offert beaucoup d' avantages dont la plupart n' existaient déja plus ou cessèrent bientôt d' exister dans la langue des trouvères. J' indiquerai les plus importants:

Au lieu de quelques articles dont le retour et le rapprochement nuisent à-la-fois et à l' élégance et à la mélodie, la langue aurait possédé plus du double d' articles dont les sons différents eussent donné au style de la pompe et de l' harmonie, et dont l' emploi varié eût fait disparaître ou du moins eût beaucoup adouci la gêne qu' a introduite inévitablement l' admission de l' article dans les langues modernes.

Par la variété de ses désinences, la plupart formées de consonnes douces à prononcer, elle aurait eu une harmonie soutenue dont manquent souvent l' italien, l' espagnol et le portugais qui, plaçant presque toujours des voyelles brèves à la fin des mots fournis par la romane primitive, évitent rarement une uniformité désagréable à l' oreille et nuisible à la mélodie des vers.

En place de l' E muet final qui s' attache à tant de mots de notre langue, et qui lui a fait reprocher sa sourde monotonie, l' ancienne langue eût fourni chacune de ses voyelles finales, tantôt brèves et muettes, tantôt longues et accentuées, ce qui aurait produit une heureuse diversité dans les ouvrages écrits en prose, et aurait procuré sur-tout au style poétique une variété harmonieuse propre à favoriser la lecture des longs ouvrages écrits en vers rimés.

Un point essentiel, un caractère précieux, qui eût maintenu cette langue au-dessus des autres langues modernes, c' eût été la faculté de distinguer, par la présence ou l' absence d' une seule lettre, le sujet et le régime, soit au singulier, soit au pluriel.

Combien un tel avantage aurait favorisé la clarté et l' élégance, en permettant les inversions sans gêne et sans ambiguité! (1) 

(1) Pour en citer ici un seul exemple, je dirai que l' amphibologie reprochée au vers de Thomas Corneille:

Le crime fait la honte et non pas l' échafaud,

n' eût pas existé; car les règles de la langue romane, adoptées par

l' ancien français eussent exigé pour CRIME et ÉCHAFAUD l' S final,

comme sujets au singulier:

Le crimes fait la honte et non pas l' échafauds.


tandis que les langues qui ont succédé à la romane sont forcées de renoncer aux inversions, ou de n' en user que sobrement, parce qu' il est souvent difficile de reconnaître rapidement le régime et le sujet, la langue romane eût sans cesse désigné à l’ œil et à l’ oreille, avec le secours du signe le plus léger, quel rôle chaque substantif devait jouer dans la phrase; et au lieu qu’ en poésie la langue française n’ admet l’ inversion que rarement et pour les seuls régimes indirects, la romane l’ eût permise toujours, et pour tous les régimes, et pour tous les sujets.

Parlerai-je de l’ usage et de la variété de ces QUE conjonctifs, qui pouvaient être exprimés ou sous-entendus, selon que le goût et la clarté le permettaient, mais qui, n’ étant plus employés dans notre langue qu’ avec les antécédents préparatoires AFIN, VU, PARCE, DE PEUR, embarrassent inévitablement et ralentissent, surtout en vers, la marche des idées et le mouvement de la période?

La faculté d’ exprimer ou de sous-entendre les pronoms personnels devant les verbes, avantage que le genre marotique nous a fait sentir, eût dégagé nos vers d’ un genre d’ entraves qui nuisent pareillement à la perfection et à la rapidité du style, lors même qu’ elles sont nécessaires à la clarté.

Mais un moyen facile et adroit de réunir à-la-fois et la concision et la clarté, c’ eût été l' emploi habile des affixes.

Les consonnes M, T, S, NS, US, au lieu de ME, TE, SE, NOS, VOS, pronoms personnels, se rattachant aux sons de la voyelle finale des mots précédents, devenaient le complément de leur prononciation; et ces pronoms affixes pouvaient être ainsi employés, soit qu’ ils fussent sujets, soit qu' ils fussent régimes.

Cette forme romane était surtout précieuse pour la poésie.

Et combien la poésie n’ aurait-elle pas gagné à employer une langue qui était déja en possession de produire de nombreux effets d' harmonie, d’ intéresser et de charmer les princes et les belles, d’ occuper et d’ amuser les cours par des vers faciles et mélodieux, gracieux et énergiques, quoique la rime n’ y fût pas constamment obligée!

L' agréable variété des rimes, leur retour prompt ou tardif, ces strophes entières à vers non rimés, aux désinences desquels répondaient méthodiquement les strophes suivantes, tous ces nombreux et divers accidents d’ harmonie qu’ offrent les chants des troubadours auraient pu

devenir, par le talent de nos grands maîtres, les causes et les moyens d’ une perfection poétique qu’ apprécieront sans doute les littérateurs, ceux surtout à qui leurs études et leur goût permettent de juger les ressources que la langue des troubadours offrait au poëte capable de s’ en servir habilement.

J' aime à croire que le style de Racine n’ y aurait rien perdu, et j' ose dire que celui de Corneille y aurait gagné.