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viernes, 29 de septiembre de 2023

Tome 2. Des Cours d' Amour.

Raynouard, choix, poésies, troubadours, kindle


Des Cours d' Amour.

Plusieurs auteurs ont parlé des cours d' amour, de ces tribunaux plus sévères que redoutables, où la beauté elle-même, exerçant un pouvoir reconnu par la courtoisie et par l' opinion, prononçait sur l' infidélité ou l' inconstance des amants, sur les rigueurs ou les caprices de leurs dames, et, par une influence aussi douce qu' irrésistible, épurait et ennoblissait, au profit de la civilisation, des mœurs, de l' enthousiasme chevaleresque, ce sentiment impétueux et tendre que la nature accorde à l' homme pour son bonheur, mais qui, presque toujours, fait le tourment de sa jeunesse, et trop souvent le malheur de sa vie entière.

Le président Rolland avait publié en 1787 une dissertation intitulée: Recherches sur les Cours d' Amour, etc.; mais on n' y trouve rien de précis, rien de satisfaisant, ni sur l' antique existence et la composition de ces tribunaux, ni sur les formes qu' on y observait, ni sur les matières qu' on y traitait. M. de Sainte-Palaye (1) qui a fait tant de recherches heureuses sur les usages et sur les mœurs du moyen âge, qui a composé plusieurs Mémoires sur l' ancienne chevalerie, n' a rien écrit sur les cours d' amour; aussi l' abbé Millot, dans son Histoire littéraire des troubadours, n' a-t-il pas respecté les traditions qui attestaient que long-temps les Français avaient été les justiciables des graces et de la beauté.

Comme les écrivains qui, avant moi, ont traité ce point intéressant de notre histoire, je serais réduit à ne présenter que des conjectures plus ou moins fondées, si dans l' ouvrage de maître André, chapelain de la cour royale de France, ouvrage négligé ou ignoré par ces écrivains, je n' avais trouvé les preuves les plus évidentes et les plus complètes de l' existence des cours d' amour durant le XIIe siècle, c' est-à-dire de l' an 1150 à l' an 1200.

(1) M. Sismondi dans son Histoire de la littérature du midi de l' Europe, et M. Ginguené dans son Histoire littéraire d' Italie, ont rassemblé sur les cours d' amour les notions qu' on trouvait dans nos auteurs français; mais on verra bientôt que j' ai eu des ressources qui ont manqué à ces savants et ingénieux écrivains, et dont avait profité avant moi M. d' Aretin, bibliothécaire à Munich.

Il est même très vraisemblable que l' autorité et la jurisdiction de ces tribunaux n' avaient pas commencé à cette époque seulement. Croira-t-on qu' une pareille institution n' ait été fondée qu' au XIIe siècle, quand on verra qu' avant l' an 1200 elle existait à-la-fois au midi et au nord de la France, et quand on pensera que cette institution n' a pas été l' ouvrage du législateur, mais l' effet de la civilisation, des mœurs, des usages, et des préjugés de la chevalerie?

Je pourrais donc, sans crainte d' être contredit avec raison, assigner à l' institution des cours d' amour une date plus ancienne que le XIIe siècle; mais, traitant cette matière en historien, je me borne à l' époque dont la certitude est garantie par des documents authentiques, et je croirai travailler utilement pour l' histoire du moyen âge, si je démontre l' existence des cours d' amour durant le douzième siècle.

J' ai annoncé que l' ouvrage qui fournit les renseignements précieux dont je me servirai, est d' un chapelain de la cour royale de France, nommé André.

Fabricius, dans sa Bibliothèque latine du moyen âge, pense que cet auteur vivait vers 1170.

Le titre de l' ouvrage est: Livre de l' art d' aimer et de la réprobation de l' amour. (1) L' auteur l' adresse à son ami Gautier.

(1) La bibliothèque du roi possède de l' ouvrage d' André le chapelain un manuscrit, coté 8758, qui jadis appartint à Baluze.

Voici le premier titre: Hîc incipiunt capitula libri de arte amatoriâ et reprobatione amoris.”

Ce titre est suivi de la table des chapitres.

Ensuite on lit ce second titre:

“Incipit liber de arte amandi et de reprobatione amoris, editus et compillatus a magistro Andreâ Francorum aulæ regiæ capellano, ad Galterium amicum suum, cupientem in amoris exercitu militare: in quo quidem libro, cujusque gradus et ordinis mulier ab homine cujusque conditionis et status ad amorem sapientissimè invitatur; et ultimo in fine ipsius libri de amoris reprobatione subjungitur.”

Crescimbeni, Vite de' poeti provenzali, article Percivalle Doria, cite un manuscrit de la bibliothèque de Nicolò Bargiacchi à Florence, et en rapporte divers passages; ce manuscrit est une traduction du traité d' André le chapelain. L' académie de la Crusca l' a admise parmi les ouvrages qui ont fourni des exemples pour son dictionnaire.

Il y a eu diverses éditions de l' original latin, Frid. Otto Menckenius, dans ses Miscellanea lipsiensia novaLipsiæ, (Leipzig) 1751, t. VIII, part. I, p. 545 et suiv., indique une très ancienne édition sans date et sans lieu d' impression, qu' il juge être du commencement de l' imprimerie: “Tractatus amoris et de amoris remedio Andreæ capellani papæ Innocentii quarti. (N. E. Inocencio IV, nacido en 1185, Papa desde 1243 hasta su muerte en 1254.)

Une seconde édition de 1610 porte ce titre:

“Erotica seu Amatoria Andreæ capellani regii, vetustissimi scriptoris ad venerandum suum amicum Guualterum (: Walter) scripta, nunquam ante hac edita, sed sæpius a multis desiderata; nunc tandem fide diversorum MSS. codicum in publicum emissa a Dethmaro Mulhero, Dorpmundæ, (: Dietmar MüllerDetmar Mulher, Dortmund) typis Westhovianis, anno Vna Castè et Verè amanda.” 

Une troisième édition porte: “Tremoniæ, typis Westhovianis, anno 1614.” Dans les passages que je cite, j' ai conféré le texte du manuscrit de la bibliothèque du roi avec un exemplaire de l' édition de 1610 et les fragments qui sont rapportés dans l' ouvrage de M. d' Aretin. 

Le manuscrit de la bibliothèque du roi décide la difficulté que Menckenius s' est proposée, et qu' il n' a pu résoudre. Il a demandé comment Fabricius a su qu' André était chapelain de la cour royale de France; ce manuscrit dit expressément: “Magistro Andreâ FRANCORUM AULAE REGIAE capellano.” 

Dans une note précédente, j' ai averti que M. d' Aretin avait connu l' ouvrage d' André le chapelain. M. d' Aretin s' en est servi pour sa dissertation qui a pour titre:

“Ausprüche der Minnegerichte aus alten Handscriften herausgegeben und mit einer historischen Abhandlung über die Minnegerichte des Mittelalters begleitet von Christophor freyherrn von AretinMünchen, 1803.”

Il est à remarquer qu' André le chapelain ne s' est pas proposé de faire un traité sur les cours d' amour; ce n' est que par occasion, et pour autoriser ses propres opinions, qu' il cite les arrêts de ces tribunaux.

Son dessein est d' instruire les personnes qui veulent connaître les règles d' un amour pur et honnête, et se garantir d' un amour désordonné; la manière dont il parle de ces cours, ne permet pas de les regarder comme une institution nouvelle, puisqu' il dit que les RÈGLES D' AMOUR furent trouvées par un chevalier Breton, pendant le règne du roi Artus, et qu' elles furent alors adoptées par une cour composée de dames et de chevaliers, qui enjoignit à tous les amants de s' y conformer.

Je me propose d' examiner:

1° L' existence des cours d' amour.

2° Leur composition, et les formes qui y étaient établies.

3° Les matières qu' on y traitait.

Existence des Cours d' Amour. 

Le plus ancien des troubadours dont les ouvrages sont parvenus jusqu' à nous, Guillaume IX, Comte de Poitiers et d' Aquitaine, vivait en 1070. En lisant ses poésies, les personnes assez instruites pour apprécier le mérite de la langue, les graces du style, le nombre, l' harmonie des vers, et les combinaisons de la rime, ne contesteront point qu' à l' époque où il écrivit, la langue et la poésie n' eussent acquis une sorte de perfection; circonstance qui ne permet pas de douter que le Comte de Poitiers n' eût profité lui-même des leçons et des exemples de poëtes qui l' avaient précédé; aussi trouve-t-on dans les écrits des troubadours qui passent pour les plus anciens, la preuve qu' ils n' étaient que les successeurs et les disciples de poëtes antérieurs.

Rambaud d' Orange, qui vivait dans la première moitié du douzième siècle, et qui mourut en 1173, disait d' un de ses propres ouvrages:

“Jamais on n' en vit composé de tel, ni par homme, ni par dame, en ce siècle, ni en l' autre qui est passé.” (1: “Que ja hom mais no vis fach aital, per home ni per femna, en est segle, ni en l' autre qu' es passatz.” Rambaud d' Orange: Escotatz.)  

Les historiens ont reconnu que le mariage du roi Robert avec Constance, fille de Guillaume Ier, comte de Provence, ou d' Aquitaine, vers l' an 1000, fut l' époque d' un changement dans les mœurs à la cour de France; il y en a même (2) qui ont prétendu que cette princesse amena avec elle des troubadours, (2: Voyez Rodulfe Glaber, liv. 3; Gaufridi, Hist. de Provence, p. 64; Histoire de Languedoc, t. 2, p. 132, 602.)

des jongleurs, des histrions, etc.; on convient assez généralement qu' alors la SCIENCE GAYE, l' art des troubadours, les mœurs faciles, commencèrent à se communiquer des cours de la France méridionale, aux cours de la France septentrionale, c' est-à-dire des pays qui sont au midi de la Loire, aux pays qui sont au nord de ce fleuve.

Dans les usages galants de la chevalerie, dans les jeux spirituels des troubadours, on distinguait le talent de soutenir et de défendre des questions délicates et controversées, ordinairement relatives à l' amour; l' ouvrage où les poëtes exerçaient ainsi la finesse et la subtilité de leur esprit, s' appelait TENSON, du latin conTENSIONem, dispute, débat; on lit dans le Comte de Poitiers:

“Et si vous me proposez un jeu d' amour, je ne suis pas assez sot que de ne pas choisir la meilleure question.” (1: 

E si m partetz un juec d' amor,

No sui tan fatz

No sapcha triar lo melhor.

Comte de Poitiers. Ben vuelh.)

Mais ces tensons, nommées aussi jeux-partis, mi-partis, auraient été des compositions aussi inutiles que frivoles, si quelque compagnie, si une sorte de tribunal n' avait eu à prononcer sur les opinions des concurrents.

Sans doute ce genre de poésie, très usité chez les troubadours, et dont on trouve l' indication dans les ouvrages du plus ancien de ceux qui nous sont connus, n' eût pas prouvé, d' une manière irrécusable, l' existence des tribunaux galants qu' il suppose; mais quand cette existence est démontrée par d' autres documents, on ne peut contester que la circonstance de la composition des tensons n' offre un indice remarquable; j' aurai bientôt occasion de démontrer par plusieurs exemples, que les questions débattues entre les troubadours étaient quelquefois soumises au jugement des dames, des chevaliers et des cours d' amour, dont ces poëtes faisaient choix dans les derniers vers de la tenson.

Ne soyons donc pas surpris de trouver les cours d' amour établies à une époque voisine de celle où le Comte de Poitiers parlait ainsi des jeux-partis.

Indépendamment des nombreux arrêts qu' André le chapelain rapporte dans son ouvrage, en nommant les cours qui les ont rendus, il a eu occasion de parler des cours d' amour en général, et il s' est exprimé en termes qui suffiraient pour nous convaincre qu' elles existaient à l' époque où il a écrit.

Il pose la question: “L' un des deux amants viole-t-il la foi promise, lorsqu' il refuse volontairement de céder à la passion de l' autre?

Et il répond: “Je n' ose décider qu' il ne soit pas permis de se refuser aux plaisirs du siècle; je craindrais que ma doctrine ne parût trop contraire aux commandements de Dieu, et certes il ne serait pas prudent de croire que quelqu'un ne dût obéir à ces commandements, plutôt que de céder aux plaisirs mondains.

Mais si la personne qui a opposé le refus cède ensuite à un autre attachement, je pense que, PAR LE JUGEMENT DES DAMES, elle doit être tenue d' accepter le premier amant, au cas que celui-ci le requière.” (1:

Sed consules me forsan: Si unus coamantium, amoris nolens alterius vacare solatiis, alteri se subtraxit amanti, fidem videatur infringere coamanti; et nullo istud præsumimus ausu narrare ut a seculi non liceat delectationibus abstinere, ne nostrâ videamur doctrinâ ipsius Dei nimium adversari mandatis; nec enim esset credere tutum non debere quemcumque Deo potius quam mundi voluptatibus inservire. Sed si novo post modum se jungat amori, dicimus quod, DOMINARUM JUDICIO, ad prioris coamantis est reducendus amplexus, si prior coamans istud voluerit.” Fol. 90.) 

Ce seul passage aurait suffi pour prouver en général que les dames rendaient des jugements sur les matières d' amour; mais je m' empresse de rassembler les indications particulières et précises qui ne laisseront plus aucun doute.

Pour justifier les décisions des nombreuses questions examinées dans son ART D' AIMER, André le chapelain cite les cours d' amour,

Des dames de Gascogne,

D' Ermengarde, vicomtesse de Narbonne,

De la reine Éléonore,

De la comtesse de Champagne,

Et de la comtesse de Flandres.

Les troubadours, et Nostradamus leur historien, parlent des cours établies en Provence; elles se tenaient à Pierrefeu, à Signe, à Romanin, à Avignon: Nostradamus nomme les dames qui jugeaient dans ces cours.

J' ai déja dit que souvent, à la fin des tensons, les troubadours choisissaient les dames ou les grands qui devaient prononcer sur la contestation.

Je parlerai successivement de ces diverses cours et de ces tribunaux particuliers.

La cour des dames de Gascogne n' est citée qu' une seule fois par André le chapelain, sans qu' il indique par qui elle était présidée; mais, ce qui est plus important, il atteste qu' elle était très nombreuse.

“La Cour des dames assemblée en Gascogne prononce avec l' assentiment de toute la cour, etc.” (1: “Dominarum ergo curiâ in Vasconiâ congregatâ de totius curiæ voluntatis assensu perpetuâ fuit constitutione firmatum.”  Fol. 97.) 

La cour d' Ermengarde, vicomtesse de Narbonne, est nommée cinq fois, à l' occasion de cinq jugements que cette princesse avait prononcés sur des questions traitées ensuite par André le chapelain.

Ermengarde fut vicomtesse de Narbonne en 1143; elle mourut en 1194.

Les auteurs de l' Art de vérifier les dates ont rapporté la tradition qui nous apprenait que cette princesse avait présidé des cours d' amour; l' histoire atteste qu' elle protégea honorablement les lettres, et qu' elle accueillit particulièrement les troubadours, parmi lesquels elle accorda une préférence trop intime à Pierre Rogiers; il la célébrait sous le nom mystérieux de Tort n' avetz: un commentateur de Pétrarque, en parlant de ce troubadour, paraissait indiquer qu' Ermengarde tenait une cour d' amour (1); aujourd'hui il ne sera plus permis d' en douter.

(1) André Gesualdo s' exprime ainsi, dans son commentaire sur Le triomphe d' amour de Pétrarque, c. IV; 1754, in-4°:

“L' altro fu pietro Negeri d' Avernie che essendo canonico di Chiaramonte, per farsi dicitore et andare per corti, renonzò il canonicato. Amò M N' Ermengarda valorosa e nobil signora che tenea corte in Nerbona, e da lei, per lo suo leggiadro dire, fu molto amato et honorato; ben che al fine fu de la corte di lei licenciato, perchio che si credeva haverne lui ottenuto l' ultima speranza d' amore.” 

reine Éléonore, cour d' amour, d' Aquitaine, d' épouse de Louis VII, dit LE JEUNE, roi de France; Henri II, roi d' Angleterre

La reine Éléonore, qui présidait une cour d' amour, était Éléonore d' Aquitaine, d' abord épouse de Louis VII, dit LE JEUNE, roi de France, et ensuite de Henri II, roi d' Angleterre.

L' auteur de l' Art d' aimer cite six arrêts prononcés par cette reine.

Si le mariage du roi Robert avec Constance, fille de Guillaume Ier, vers l' an 1000, avait introduit à la cour de France, les manières agréables, les mœurs polies, les usages galants de la France méridionale, il n' est pas moins certain que le mariage d' Éléonore d' Aquitaine avec Louis VII, en 1137, fut une nouvelle occasion de les propager: petite-fille du célèbre Comte de Poitiers, Éléonore d' Aquitaine reçut les hommages des troubadours, les encouragea et les honora. Un des plus célèbres, Bernard de Ventadour, lui consacra ses vers et ses sentiments, et il continua de lui adresser les tributs de ses chants et de son amour lorsqu' elle fut reine d' Angleterre.

La comtesse de Champagne est désignée par l' auteur sous la lettre initiale M. Un des jugements qu' elle a prononcés est à la date de 1174. A cette époque, Marie de France, fille de Louis VII et d' Éléonore d' Aquitaine, était comtesse de Champagne, ayant épousé le comte Henri Ier.

On ne sera pas surpris que la fille de cette reine ait présidé des cours d' amour; le comte de Champagne dut peut-être à Marie son épouse, ce goût des lettres qui le fit distinguer parmi les princes de son siècle; il protégea, de la manière la plus affectueuse, les poëtes, les romanciers, et les appela à sa cour; il mérita le surnom de large ou libéral. 

Ce prince et son épouse eurent un digne successeur dans leur petit-fils, Thibaud, comte de Champagne et roi de Navarre, si connu par ses chansons qui ont tant de ressemblance avec celles des troubadours.

L' auteur rapporte neuf jugements prononcés par la comtesse de Champagne.

Il ne cite que deux arrêts prononcés par la comtesse de Flandres.

Cette princesse n' est point nommée, et l' auteur ne l' a pas désignée par la lettre initiale de son nom, ainsi qu' il avait désigné la comtesse de Champagne.

Parmi les comtesses de Flandres qui ont pu présider des cours d' amour, durant le XIIe siècle, et avant l' époque où a été rédigé l' Art d' Aimer d' André le chapelain, je n' hésite pas à choisir Sibylle, fille de Foulques d' Anjou; en 1134 elle épousa Thierry, comte de Flandres; vraisemblablement elle apporta, des pays situés au-delà de la Loire, les institutions qui y étaient en vigueur, telles que les cours d' amour.

Les détails qui concernent les cours établies en Provence nous ont été transmis par Jean de Nostradamus. 

“Les tensons, dit-il, estoyent disputes d' amours qui se faisoyent entre les chevaliers et dames poëtes entreparlans ensemble de quelque belle et subtille question d' amours, et où ils ne s' en pouvoyent accorder, ils les envoyoyent pour en avoir la diffinition aux dames illustres présidentes, qui tenoyent cour d' amour ouverte et planière à Signe, et à Pierrefeu ou à Romanin, ou à autres, et là-dessus en faisoyent arrests qu' on nommait LOUS ARRESTS D' AMOURS.” (1: Jean de Nostradamus, Vies des plus célèbres et anciens poëtes provençaux, p. 15.)

A l' article de Geoffroi Rudel, il rapporte que le moine des Iles d' Or, dans son catalogue des poëtes provençaux, fait mention d' une tenson entre Giraud et Peyronet, et il ajoute:

“Finalement, voyant que ceste question estoit haulte et difficile, ILZ l' envoyèrent aux dames illustres tenans cour d' amour à Pierrefeu et à Signe, qu' estoit cour planière et ouverte, pleine d' immortelles louanges, aornée de nobles dames et de chevaliers du pays, pour avoir déterminaison d' icelle question.” (1: 

“Les dames qui présidoient à la cour d' amour de ce temps estoyent celles-ci:

Stephanette, dame de Baulx, fille du comte de Provence,

Adalazie, vicomtesse d' Avignon,

Alalete, dame d' Ongle,

Hermyssende, dame d' Urgon,

Mabille, dame d' Yères,

La comtesse de Dye,

Rostangue, dame de Pierrefeu,

Bertrane, dame de Signe,

Jausserande de Claustral.”

Nostradamus, p. 27.) 

Ce qui donne la plus grande autorité aux assertions du moine des Iles d' Or dont Nostradamus copie les expressions, c' est que cette tenson entre Giraud et Peyronet se trouve dans les manuscrits qui nous restent des pièces des troubadours, et qu' effectivement les deux poëtes conviennent des cours de Pierrefeu et de Signe pour décider la question.

Giraud dit: “Je vous vaincrai pourvu que la COUR soit loyale... je transmets ma tenson à Pierrefeu, où la belle tient COUR D' ENSEIGNEMENT.” (2:

Vencerai vos, sol la CORT lial sia...

A Pergafuit tramet mon partiment,

O la bella fai CORT D' ENSEGNAMENT...) 

Et Peyronet répond: “Et moi, de mon côté, je choisis pour juger l' honorable château de Signe.” (1) 

On remarquera que le premier troubadour parle d' abord d' une cour qui doit juger la question en termes qui permettent de croire que les tensons étaient ordinairement soumises à de pareils tribunaux: 

“Je vous vaincrai, dit-il, pourvu que la cour soit loyale.” Et c' est seulement à la fin de la tenson que les deux poëtes conviennent des deux cours qui doivent se réunir pour prononcer.

Dans la vie de Raimond de MiravalNostradamus fait mention d' une autre tenson entre ce troubadour et Bertrand d' Allamanon, qui sollicitèrent aussi la décision des dames de la cour d' amour de Pierrefeu et de Signe. En plusieurs endroits des vies des poëtes provençaux, il parle des cours d' amour et des dames qui les présidaient. (2: Voy. p. 26, 45, 61, 131, 168, 174, etc.) 

(1) E ieu volrai per mi al jugjament

L' onrat castel de Sinha...

Giraud et Peyronet: Peronet d' una.


(Voisin: Le Castellet: Ses habitants sont les Castellans et Castellanes : Catalans et Catalanes)

Cette cour d' amour est appelée la cour d' amour de Pierrefeu et de Signe. Il est vraisemblable qu' elle s' assemblait tantôt dans le château de Pierrefeu, tantôt dans celui de Signe. Ces deux pays sont très voisins l' un de l' autre, et à une distance à-peu-près égale de Toulon et de Brignoles. Un autre troubadour, Rambaud d' Orange, parle de la distance d' Aix à Signe (*: Dans sa pièce: En aital.)

Pierrefeu, cour d' amour

Mossot

Au sujet de Perceval Doria, il dit qu' une question débattue entre lui et Lanfranc Cigalla fut d' abord soumise à la cour de Signe et de Pierrefeu; mais que les deux poëtes, n' étant pas satisfaits de l' arrêt rendu par cette cour, s' adressèrent à la cour d' amour des dames de Romanin.

(1: Et, parmi les dames qui y siégeaient, il nomme:

Phanette des Gantelmes, dame de Romanin,

La marquise de Malespine,

La marquise de Saluces,

Clarette, dame de Baulx,

Laurette de Sainct Laurens,

Cécille Rascasse, dame de Caromb,

Hugonne de Sabran, fille du comte de Forcalquier,

Héleine, dame de Mont-Pahon,

Ysabelle des Borrilhons, dame d' Aix,

Ursyne des Ursières, dame de Montpellier,

Alaette de Meolhon, dame de Curban,

Elys, dame de Meyrarques.

Nostradamus, p. 131.)

Et dans la vie de Bertrand d' Allamanon, il dit: 

“Ce troubadour fut amoureux de Phanette ou Estephanette de Romanin, dame dudict lieu, de la mayson des Gantelmes, qui tenoit de son temps cour d' amour ouverte et planière en son chasteau de Romanin, prez la ville de Sainct Remy en Provence, tante de Laurette d' Avignon, de la mayson de Sado, tant célébrée par le poëte Pétrarque.”

Marcabrus, Marcabru, troubadour

Dans la vie de Marcabrus, il assure que la mère de ce troubadour, “laquelle estoit docte et savante aux bonnes lettres, et la plus fameuse poëte en nostre langue provensalle, et ès autres langues vulgaires, autant qu' on eust peu desirer, tenoit cour d' amour ouverte en Avignon, où se trouvoyent tous les poëtes, gentilshommes, et gentilsfemmes du pays, pour ouyr les diffinitions des questions et tensons d' amours qui y estoyent proposées et envoyées par les seigneurs et dames de toutes les marches et contrées de l' environ.” 

Enfin, à l' article de Laurette et de Phanette, on lit que Laurette de Sade, célébrée par Pétrarque, vivait à Avignon vers l' an 1341, et qu' elle fut instruite par Phanette de Gantelmes sa tante, dame de Romanin; que “toutes deux romansoyent promptement en toute sorte de rithme provensalle, suyvant ce qu' en a escrit le monge des Isles d' Or, (N. E. Véase F. Mistral, Isclo d' Or) les œuvres desquelles rendent ample tesmoignage de leur doctrine;... Il est vray (dict le monge) que Phanette ou Estephanette, comme très excellente en la poésie, avoit une fureur ou inspiration divine, laquelle fureur estoit estimée un vray don de Dieu; elles estoyent accompagnées de plusieurs... dames illustres et généreuses (1) de Provence qui fleurissoyent de ce temps en Avignon, lorsque la cour romaine y résidoit, qui s' adonnoyent à l' estude des lettres tenans cour d' amour ouverte et y deffinissoyent les questions d' amour qui y estoyent proposées et envoyées...

(1) “Jehanne, dame de Baulx,

Huguette de Forcalquier, dame de Trects,

Briande d' Agoult, comtesse de la Lune,

Mabille de Villeneufve, dame de Vence,

Béatrix d' Agoult, dame de Sault,

Ysoarde de Roquefueilh, dame d' Ansoys,

Anne, vicomtesse de Tallard,

Blanche de Flassans, surnommée Blankaflour,

Doulce de Monstiers, dame de Clumane,

Antonette de Cadenet, dame de Lambesc,

Magdalène de Sallon, dame dudict lieu,

Rixende de Puyverd, dame de Trans.”

Nostradamus, p. 217.

Guillen et Pierre Balbz et Loys des Lascaris, comtes de Vintimille, de Tende et de la Brigue, personnages de grand renom, estans venus de ce temps en Avignon visiter Innocent VI du nom, pape, furent ouyr les deffinitions et sentences d' amour prononcées par ces dames; lesquels esmerveillez et ravis de leurs beaultés et savoir furent surpris de leur amour.”

Les preuves diverses et multipliées que j' ai rassemblées ne laisseront plus le moindre doute sur l' existence ancienne et prolongée des cours d' amour.

On les voit exercer leur juridiction, soit au nord, soit au midi de la France, depuis le milieu du douzième siècle, jusques après le quatorzième.

Je dois ne pas omettre un usage qui se rattache à l' existence de ces tribunaux, et qui la confirmerait encore, si de nouvelles preuves pouvaient être nécessaires.

Lorsque les troubadours n' étaient pas à portée d' une cour d' amour, ou lorsqu' ils croyaient rendre un hommage agréable aux dames, en les choisissant pour juger les questions galantes, ils nommaient à la fin des tensons les dames qui devaient prononcer, et qui formaient un tribunal d' arbitrage, une cour d' amour spéciale.

Ainsi dans une tenson entre Prévost et Savari de Mauléon, ces troubadours nomment trois dames pour juger la question agitée: Guillemette de Benaut, Marie de Ventadour, et la dame de Montferrat.

Plusieurs autres tensons donnent les noms de dames arbitres que choisissent les troubadours. (1: Voici les noms de quelques autres dames arbitres qui se trouvent indiqués dans différentes tensons:

Azalais et la dame Conja; tenson de Guillaume de la Tour avec Sordel: Us amicx.

Guillaumine de Toulon et Cécile; tensons de Guionet avec Rambaud: 

En Rambaut.

Béatrix d' Est et Émilie de Ravenne; tenson d' Aimeri de Peguilain et d' Albertet: N Albertetz.

La Comtesse de Savoye; tenson de Guillaume avec Arnaud: Senher Arnaut.

Marie d' Aumale; tenson d' Albertet avec Pierre: Peire dui.)

Assez souvent des chevaliers étaient associés aux dames, pour prononcer sur les questions débattues dans les tensons.

Gaucelm Faidit et Hugues de la Bachélerie soumettent la décision à Marie de Ventadour et au Dauphin. (2: Tenson: N Ugo la Bacalaria.)

Enfin, le jugement des tensons est quelquefois déféré seulement à des seigneurs, à des troubadours, et même à un seul.

Estève et son interlocuteur choisissent les seigneurs Ebles et Jean. (3: Tenson: Dui Cavayer.)

Gaucelm Faidit et Perdigon s' en rapportent au dauphin d' Auvergne seul. (1: Tenson: Perdigons vostre sen.)

Le dauphin d' Auvergne et Perdigon choisissent le troubadour Gaucelm Faidit pour juge. (2: Tenson: Perdigons ses vassalatge.)

Ces juridictions arbitrales, ces tribunaux de convention, m' ont paru se lier étroitement aux tribunaux suprêmes des cours d' amour; j' aurais cru mon travail incomplet, si je n' en avais fait mention.

J' examine maintenant la composition des cours d' amour, et les formes qu' on y observait.

Composition des cours d' amour, formes qu' on y observait.

André le chapelain ne donne aucun détail sur la composition des cours de la reine Éléonore, de la comtesse de Narbonne, et de la comtesse de Flandres.

Mais l' arrêt de la cour des dames de Gascogne, porte:

“La cour des dames, assemblée en Gascogne, a établi, du consentement de TOUTE LA COUR, cette a constitution perpétuelle, etc.” (3: “Dominarum ergo curiâ in Vasconiâ congregatâ, de totius curiæ assensu, perpetuâ fuit constitutione firmatum ut etc.” Fol. 94.)

Ces expressions annoncent que cette cour était composée d' un grand nombre de dames.

Je trouve, au sujet de la cour de la comtesse de Champagne, deux renseignements très précieux. Dans l' arrêt de 1174, elle dit:

“Ce jugement, que nous avons porté avec une extrême prudence, et appuyé de l' avis d' un Très grand nombre de dames.” (1: 

“Hoc ergo nostrum judicium, cum nimiâ moderatione prolatum et aliarum quam plurimarum dominarum consilio roboratum.” Fol. 56.) 

Dans un autre jugement, on lit: “Le chevalier, pour la fraude qui lui avait été faite, dénonça toute cette affaire à la comtesse de Champagne, et demanda humblement que ce délit fût soumis au jugement de la comtesse de Champagne et des autres dames.

La comtesse ayant appelé autour d' elle soixante dames, rendit ce jugement.” (2: miles autem, pro fraude sibi factâ commotus, campaniæ comitissæ totam negotii seriem indicavit, et de ipsius et aliarum judicio dominarum nefas prædictum postulavit humiliter judicari; et ejusdem comitissæ ipse fraudulentus arbitrium collaudavit: comitissa vero, sexagenario sibi accersito numero dominarum, rem tali judicio diffinivit.” Fol. 96.)

Nostradamus nomme un nombre assez considérable de dames qui siégeaient dans les cours de Provence, dix à Signe et à Pierrefeu, douze à Romanin, quatorze à Avignon. (1: Fontanini, Della eloquenza italiana, p. 120, a cru que dans ces vers du 188° sonnet de Pétrarque,

Dodici donne honestamente lasse

Anzi dodici stelle, e 'n mezzo un sole

Vidi in una barchetta, etc.

ce poëte a fait allusion aux dames de la cour d' amour d' Avignon. 

La conjecture de Fontanini n' est fondée que sur le nombre de douze, qui est celui des dames de cette cour nommées par Nostradamus, ainsi qu' on l' a vu page XCV; mais à ces douze dames se joignaient Laure et la dame de Romanin, sa tante. Nostradamus le dit expressément; on doit donc rejeter la conjecture de Fontanini, fondée sur ce nombre de douze.)

André le chapelain rapporte que le code d' amour avait été publié par une cour composée d' un grand nombre de dames et de chevaliers.

Des chevaliers siégeaient par-fois dans les cours d' amour établies à Pierrefeu, Signe, et Avignon.

Un seigneur, auquel s' était adressé Guillaume de Bergedan, prononce de l' avis de son conseil. (2: Guillaume de Bergedan: Amicx Senher.)

Un prince, consulté sur une question contenue dans une tenson, prononce aussi de l' avis de son conseil. (3: Voyez ci-après p. 188.)

Quant à la manière dont on procédait devant ces tribunaux, il paraît que par-fois les parties comparaissaient et plaidaient leurs causes, et que souvent les cours prononçaient sur les questions exposées dans les suppliques, ou débattues dans les tensons.

André le chapelain nous a conservé la supplique qui avait été adressée à la comtesse de Champagne, lorsqu' elle décida cette question: 

“Le véritable amour peut-il exister entre époux?” 

(1: Illustri feminæ ac sapienti M. Campaniæ comitissæ F. mulier et P. comes salutem et gaudia multa.” 

Après avoir exposé la question, ils terminent ainsi leur requête: “Excellentiæ vestræ instantissimè judicium imploramus et animi pleno desideramus affectu, præsenti vobis devotissimè supplicantes affatu, ut hujus negotii pro nobis frequens vos sollicitudo detentet, vestræque prudentiæ justum super hoc procedat arbitrium nullâ temporis dilatione judicium prorogante.” Fol. 55.

On trouve aussi dans son ouvrage, qu' un chevalier ayant dénoncé un coupable à cette cour, celui-ci agréa le tribunal. (2: Fol. 96.)

Il paraît, qu' en certaines circonstances, les cours d' amour faisaient des réglements généraux. On a vu que la cour de Gascogne, du consentement de toutes les dames qui y siégeaient, ordonna que son jugement serait observé comme constitution perpétuelle, et que les dames qui n' y obéiraient pas, encourraient l' inimitié de toute dame honnête. (3: Fol. 97.)

Lorsque le code amoureux, donné par le roi d' amour, fut adopté et promulgué, la cour, composée de dames et de chevaliers, enjoignit à tous les amants de l' observer exactement, sous les peines portées par son arrêt. (1: Fol. 103.).

Il est permis de croire que les jugements déja prononcés par des cours d' amour faisaient jurisprudence; les autres cours s' y conformaient, lorsque les mêmes questions se présentaient de nouveau.

On verra bientôt que la reine Éléonore motive en ces termes un jugement:

“Nous n' osons contredire l' arrêt de la comtesse de Champagne, qui a déja prononcé sur une semblable question; nous approuvons donc (2), etc.” (2) “Huic autem negotio taliter regina respondit: Comitissæ Campaniæ obviare sententiæ non audemus quæ firmo judicio diffinivit non posse inter conjugatos amorem suas extendere vires; ideòque laudamus ut prænarrata mulier pollicitum præstet amorem.”  Fol. 96.

Un exemple remarquable nous apprend que les parties appelaient des jugements des cours d' amour à d' autres tribunaux.

L' ancien biographe des poëtes provençaux rapporte que deux troubadours, Simon Doria, et Lanfranc Cigalla, agitèrent la question: 

“Qui est plus digne d' être aimé, ou celui qui donne libéralement, ou celui qui donne malgré soi, afin de passer pour libéral?”

Elle fut soumise aux dames de la cour d' amour de Pierrefeu et de Signe, et ces deux contendants ayant, l' un et l' autre, été mécontents du jugement, recoururent à la cour souveraine d' amour des dames de Romanin. (1)

En lisant les divers jugements que je rapporterai bientôt, on se convaincra que leur rédaction est conforme à celle des tribunaux judiciaires de l' époque.

Enfin, une circonstance très remarquable, qu' il n' est point permis d' omettre au sujet des arrêts rendus par les différentes cours d' amour, c' est que presque tous ces arrêts contiennent les motifs, dont quelques-uns sont fondés sur les règles du code d' amour.


Matières traitées dans les cours d' amour.


Avant de citer les exemples qui indiqueront suffisamment quelles questions étaient soumises au jugement des cours d' amour, il est indispensable de rapporter les principales dispositions du code amoureux, qui se trouve en entier dans l' ouvrage d' André le chapelain, attendu que ces tribunaux me paraissent s' y être conformés dans leurs décisions.
L' auteur expose de quelle manière le code d' amour fut apporté par un chevalier breton, et publié par la cour des dames et des chevaliers, à l' effet d' être la loi de tous les amants.
Un chevalier breton s' était enfoncé seul dans une forêt, espérant y rencontrer Artus; il trouva bientôt une demoiselle, qui lui dit:
“Je sais ce que vous cherchez; vous ne le trouverez qu' avec mon secours; vous avez requis d' amour une dame bretonne, et elle exige de vous, que vous lui apportiez le célèbre faucon qui repose sur une perche dans la cour d' Artus. Pour obtenir ce faucon, il faut prouver, par le succès d' un combat, que cette dame est plus belle qu' aucune des dames aimées par les chevaliers qui sont dans cette cour.”
Après beaucoup d' aventures romanesques, il trouva le faucon sur une perche d' or, à l' entrée du palais et il s' en saisit; une petite chaîne d' or tenait suspendu à la perche un papier écrit: c' était le code amoureux que le chevalier devait prendre et faire connaître, de la part du roi d' amour, s' il voulait emporter paisiblement le faucon.
Ce code ayant été présenté à la cour, composée d' un grand nombre de dames et de chevaliers, cette cour entière en adopta les règles, et ordonna qu' elles seraient fidèlement observées à perpétuité, sous des peines graves. Toutes les personnes qui avaient été appelées et avaient assisté à cette cour, rapportèrent ce code avec elles, et le firent connaître aux amants, dans les diverses parties du monde. Le code contient trente-un articles; je traduis les plus remarquables:
“Le mariage n' est pas une excuse légitime contre l' amour.
Qui ne sait celer, ne peut aimer.
Personne ne peut avoir à-la-fois deux attachements.
L' amour doit toujours ou augmenter ou diminuer.
Il n' y a pas de saveur aux plaisirs qu' un amant dérobe à l' autre, sans son consentement.
En amour, l' amant qui survit à l' autre est tenu de garder viduité pendant deux ans.
L' amour a coutume de ne pas loger dans la maison de l' avarice.
La facilité de la jouissance en diminue le prix, et la difficulté l' augmente.
Une fois que l' amour diminue, il finit bientôt; rarement il reprend des forces.
Le véritable amant est toujours timide.
Rien n' empêche qu' une femme ne soit aimée de deux hommes, ni qu' un homme ne soit aimé de deux femmes.” (1:
1 Causa conjugii ab amore non est excusatio recta.
2 Qui non celat amare non potest.
3 Nemo duplici potest amore ligari.
4 Semper amorem minui vel crescere constat.
5 Non est sapidum quod amans ab invito sumit amante.
6 Masculus non solet nisi in plenâ pubertate amare.
7 Biennalis viduitas pro amante defuncto superstiti præscribitur amanti.
8 Nemo, sine rationis excessu, suo debet amore privari.
9 Amare nemo potest, nisi qui amoris suasione compellitur.
10 Amor semper ab avaritiæ consuevit domiciliis exulare.
11 Non decet amare quarum pudor est nuptias affectare.
12 Verus amans alterius nisi suæ coamantis ex affectu non cupit amplexus.
13 Amor raro consuevit durare vulgatus.
14 Facilis perceptio contemptibilem reddit amorem, difficilis eum carum facit haberi.
15 Omnis consuevit amans in coamantis aspectu pallescere.
16 In repentinâ coamantis visione, cor tremescit amantis.
17 Novus amor veterem compellit abire.
18 Probitas sola quemcumque dignum facit amore.
19 Si amor minuatur, citò deficit et rarò convalescit.
20 Amorosus semper est timorosus.
21 Ex verâ zelotypiâ affectus semper crescit amandi.
22 De coamante suspicione perceptâ zelus interea et affectus crescit amandi.
23 Minus dormit et edit quem amoris cogitatio vexat.
24 Quilibet amantis actus in coamantis cogitatione finitur.
25 Verus amans nichil beatum credit, nisi quod cogitat amanti placere.
26 Amor nichil posset amori denegare.
27 Amans coamantis solatiis satiari non potest.
28 Modica præsumptio cogit amantem de coamante suspicari sinistra.
29 Non solet amare quem nimia voluptatis abundantia vexat.
30 Verus amans assiduâ, sine intermissione, coamantis imagine detinetur.
31 Unam feminam nichil prohibet a duobus amari et a duabus mulieribus unum.” Fol 103.)

Parmi les jugements dont je donnerai bientôt la notice, on verra que l' une des parties cite l' article qui prescrit à l' amant survivant une viduité de deux ans; on remarquera aussi l' application du principe, que le mariage n' exclut pas l' amour; dans les motifs de l' un de ses jugements, la comtesse de Champagne cite la règle: “Qui ne sait celer ne peut aimer.” Les troubadours parlent quelquefois du Droit d' amour;
Dans le jugement rendu par un seigneur, et que rapporte Guillaume de Bergedan, on trouve ces expressions Selon la coutume d' amour. (1: Segon costum d' amor.
Guillaume de Bergedan: De far un jutjamen.)
J' indiquerai divers jugements rendus par les cours ou tribunaux d' amour. C' est le moyen le plus facile et le plus exact de faire connaître les matières qui y étaient traitées.
Question: “Le véritable amour peut-il exister entre personnes mariées?” (2: “Utrum inter conjugatos amor possit habere locum?
Dicimus enim et stabilito tenore firmamus amorem non posse inter duos jugales suas extendere vires, nam amantes sibi invicem gratis omnia largiuntur, nullius necessitatis ratione cogente; jugales vero mutuis tenentur ex debito voluntatibus obedire et in nullo seipsos sibi ad invicem denegare...
Hoc igitur nostrum judicium, cum nimiâ moderatione prolatum, et aliarum quamplurium dominarum consilio roboratum, pro indubitabili vobis sit ac veritate constanti.
Ab anno M. C. LXXIV, tertio kalend. maii, indictione VII.” Fol. 56.)
Jugement de la comtesse de Champagne: “Nous disons et assurons, par la teneur des présentes, que l' amour ne peut étendre ses droits sur deux personnes mariées. En effet, les amants s' accordent tout, mutuellement et gratuitement, sans être contraints par aucun motif de nécessité, tan dis que les époux sont tenus par devoir de subir réciproquement leurs volontés, et de ne se refuser rien les uns aux autres. (1).
Que ce jugement, que nous avons rendu avec une extrême prudence, et d' après l' avis d' un grand nombre d' autres dames, soit pour vous d' une vérité constante et irréfragable. Ainsi jugé, l' an 1174, le 3e jour des kalendes de mai, indiction VIIe.”
Question: “Est-ce entre amants ou entre époux qu' existent la plus grande affection, le plus vif attachement?”
Jugement d' Ermengarde, vicomtesse de Narbonne:
“L' attachement des époux, et la tendre affection des amants, sont des sentiments de nature et de mœurs tout-à-fait différentes. Il ne peut donc être établi une juste comparaison, entre des objets qui n' ont pas entre eux de ressemblance et de rapport.” (2)
(1) Ce jugement est conforme à la première règle du code d' amour: “Causa conjugii non est ab amore excusatio recta.”
(2) Quidam ergo ab eâdem dominâ postulavit ut ei faceret manifestum ubi major sit dilectionis affectus, an inter amantes, an inter conjugatos? cui eadem domina philosophicâ consideratione respondit. Ait enim: maritalis affectus et coamantium vera dilectio penitus judicantur esse diversa; et ex moribus omnino differentibus suam sumunt originem; et ideò inventio ipsius sermonis æquivoca actus comparationis excludit, et sub diversis facit eam speciebus adjungi. Cessat enim collatio comparandi, per magis et minus, inter res equivocè sumptas, si ad actionem cujus respectu dicuntur æquivoca comparatio referatur.”
Fol. 94.

Question: “Une demoiselle, attachée à un chevalier, par un amour convenable, s' est ensuite mariée avec un autre; est-elle en droit de repousser son ancien amant, et de lui refuser ses bontés accoutumées?”
Jugement d' Ermengarde, vicomtesse de Narbonne:
“La survenance du lien marital n' exclut pas de droit le premier attachement, à moins que la dame ne renonce entièrement à l' amour, et ne déclare y renoncer à jamais.”
(1: “Cum domina quædam, sive puella, idoneo satis copularetur amori, honorabili post modum conjugio sociata, suum coamantem subterfugit amare, et solita sibi penitus solatia negat.
Sed hujus mulieris improbitas Mingardæ Nerbonensis dominæ taliter dictis arguitur: Nova superveniens fœderatio maritalis rectè priorem non excludit amorem, nisi fortè mulier omni penitus desinat amori vacare et ulterius amare nullatenùs disponat.” Fol. 94.)

Question: “Un chevalier était épris d' une dame qui avait déja un engagement; mais elle lui promit ses bontés, s' il arrivait jamais qu' elle fût privée de l' amour de son amant. Peu de temps après, la dame et son amant se marièrent. Le chevalier requit d' amour la nouvelle épouse; celle-ci résista, prétendant qu' elle n' était pas privée de l' amour de son amant.”
Jugement. Cette affaire ayant été portée devant la reine Éléonore, elle répondit: “Nous n' osons contredire l' arrêt de la comtesse de Champagne, qui, par un jugement solennel, a prononcé que le véritable amour ne peut exister entre époux. Nous approuvons donc que la dame susnommée accorde l' amour qu' elle a promis.”
(1: Dum miles quidam mulieris cujusdam ligaretur amore, quæ amori alterius erat obligata, taliter ab eâ spem est consecutus amoris, quod si quando contingeret eam sui coamantis amore frustrari, tunc præfato militi sine dubio suum largiretur amorem. Post modici autem temporis lapsum, mulier jam dicta in uxorem se præbuit amatori. Miles verò præfatus spei sibi largitæ fructum postulat exhiberi. Mulier autem penitus contradicit asserens se sui coamantis non esse amore frustratam. Huic autem negotio regina respondit: Comitissæ Campaniæ obviare sententiæ non audemus, quæ firmo judicio diffinivit non posse inter conjugatos amorem suas extendere vires, ideòque laudamus ut prænarrata mulier pollicitum præstet amorem.” Fol. 96.)

Question: “Une dame, jadis mariée, est aujourd'hui séparée de son époux, par l' effet du divorce. Celui qui avait été son époux lui demande avec instance son amour.”
Jugement. La vicomtesse de Narbonne prononce:
“L' amour entre ceux qui ont été unis par le lien conjugal, s' ils sont ensuite séparés, de quelque manière que ce soit, n' est pas réputé coupable; il est même honnête.” (1: “Mulierem quamdam quæ primo fuerat uxor et nunc a viro manet, divortio interveniente, disjuncta; qui maritus fuerat ad suum instanter invitat amorem. Cui domina præfata respondit: Si aliqui fuerint qualicumque nuptiali fœdere copulati et post modum quocumque modo reperiantur esse divisi, inter eos haud nefandum at verecundum judicamus amorem.” Fol. 94.)

Question: “Une dame avait imposé à son amant la condition expresse de ne la jamais louer en public. Un jour il se trouva dans une compagnie de dames et de chevaliers, où l' on parla mal de sa belle; d' abord il se contint, mais enfin il ne put résister au desir de venger l' honneur, et de défendre la renommée de son amante. Celle-ci prétend qu' il a justement perdu ses bonnes graces, pour avoir contrevenu à la condition qui lui avait été imposée.”
Jugement de la comtesse de Champagne: “La dame a été trop sévère en ses commandements; la condition exigée était illicite; on ne peut faire un reproche à l' amant qui cède à la nécessité de repousser les traits de la calomnie, lancés contre sa dame.” (2: Illi mulier incontinenti mandavit ut ulterius pro suo non laboraret amore, nec de eâ inter aliquos auderet laudes referre... Sed cum die quâdam præfatus amator in quarumdam dominarum cum aliis militibus resideret aspectu, suos audiebat commilitones de suâ dominâ turpia valdè loquentes... qui cum graviter primitus sustineret in animo amator, et eos in prædictæ dominæ famæ detrahendo diutius cerneret immorari, in sermonis increpatione asperè contrà eos invehitur; et eos viriliter cœpit de maledictis arguere et suæ dominæ deffendere famam. Cum istud autem prefatæ dominæ devenisset ad aures, eum suo dicit penitus amore privandum, quia, ejus insistendo laudibus, contra ejus mandata venisset. Hunc autem articulum Campaniæ comitissa suo taliter judicio explicavit... Talis domina nimis fuit in suo mandato severa... Cum eum sibi sponsione ligavit... Nec enim in aliquo dictus peccavit amator, si suæ dominæ blasphematores justâ correctione sit coactus arguere... Injustè videtur mulier tali eum ligasse mandato.” Fol. 92.

Question: “Un amant heureux avait demandé à sa dame la permission de porter ses hommages à une autre; il y fut autorisé, et il cessa d' avoir pour son ancienne amie les empressements accoutumés. Après un mois, il revint à elle, protestant qu' il n' avait ni pris, ni voulu prendre aucune liberté avec l' autre, et qu' il avait seulement desiré de mettre à l' épreuve la constance de son amie. Celle-ci le priva de son amour, sur le motif qu' il s' en était rendu indigne, en sollicitant et en acceptant cette permission.”
Jugement de la reine Éléonore: “Telle est la nature de l' amour! Souvent des amants feignent de souhaiter d' autres engagements, afin de s' assurer toujours plus de la fidélité et de la constance de la personne aimée. C' est offenser les droits des amants que de refuser, sous un pareil prétexte, ou ses embrassements, ou sa tendresse, à moins qu' on n' ait acquis d' ailleurs la certitude qu' un amant a manqué à ses devoirs et violé la foi promise. (1: Quidam alius cum optimi amoris frueretur amplexu, a suo petiit amore licentiam, ut alterius mulieris sibi liceat potiri amplexibus; qui, tali acceptâ licentiâ, recessit, et diutius quam consueverat, à prioris dominæ cessavit solatiis; post verò mensem elapsum, ad priorem dominam rediit amator, dicens se nulla cum aliâ dominâ solatia præsumpsisse nec sumere voluisse, sed suæ coamantis voluisse probare constantiam. Mulier autem eum quasi indignum a suo repellit amore, dicens ad amoris sufficere privationem talis postulata licentia et impetrata.
Huic autem mulieri reginæ Alinoriæ videtur obviare sententiam, quæ super hoc negotio sic respondit; ait enim: Ex amoris quippe cognoscimus procedere naturâ ut falsâ coamantes sæpè simulatione confingant se amplexus exoptare novitios, quò magis valeant fidem et constantiam percipere coamantis; ipsius ergo naturam offendit amoris qui suo coamanti propter hoc retardat amplexus, vel eum recusat amare, nisi evidenter agnoverit fidem præceptam sibi a coamante confractam.”
Fol. 92.)

Question: “L' amant d' une dame était parti depuis long-temps pour une expédition outre mer; elle ne se flattait plus de son prochain retour, et même on en désespérait généralement: c' est pourquoi elle chercha à faire un nouvel amant. Un secrétaire de l' absent mit opposition, et accusa la dame d' être infidèle. Les moyens de la dame furent ainsi proposés: puisque après deux ans, depuis qu' elle est veuve de son amant, la femme est quitte de son premier amour, et peut céder à un nouvel attachement (1), à plus forte raison a-t-elle, après longues années, le droit de remplacer un amant absent, qui, par aucun écrit, par aucun message, n' a consolé, n' a réjoui sa dame, sur-tout lorsque les occasions ont été faciles et fréquentes.”
(1) On trouve dans le code amoureux cette règle: “Biennalis viduitas pro amante defuncto superstiti præscribitur amanti.”
Cette affaire donna lieu à de longs débats de part (d' un) et d' autre, et elle fut soumise à la cour de la comtesse de Champagne.
Jugement: “Une dame n' est pas en droit de renoncer à son amant, sous le prétexte de sa longue absence, à moins qu' elle n' ait la preuve certaine que lui-même a violé sa foi, et a manqué à ses devoirs; mais ce n' est pas un motif légitime que l' absence de l' amant par nécessité, et pour une cause honorable. Rien ne doit plus flatter une dame que d' apprendre des lieux les plus éloignés que son amant acquiert de la gloire, et est considéré dans les assemblées des grands. La circonstance qu' il n' a envoyé ni lettre ni message, peut s' expliquer comme l' effet d' une extrême prudence; il n' aura pas voulu confier son secret à un étranger, ou il aura craint que, s' il envoyait des lettres, sans mettre le messager dans la confidence, les mystères de l' amour ne fussent facilement révélés, soit par l' infidélité du messager, soit par l' évènement de sa mort dans le cours même du voyage.” (1:
“Quædam domina, cum ejus amator in ultrà marinâ diutius expeditione maneret, nec de ipsius propinquâ reditione confideret, sed quasi ab omnibus ejus desperaretur adventus, alterum sibi quærit amantem. Quidam verò secretarius prioris amantis nimium condolens de mulieris fide subversâ, novum sibi contradicit amorem. Cujus mulier nolens assentire consilio, tali se deffensione tuetur. Ait nam: Si feminæ quæ morte viduatur amantis, licuit post biennii metas amare, multo magis eidem mulieri licere, quæ vivo viduatur amante et quæ nullius nuncii vel scripturæ ab amante transmissæ potuit à longo tempore visitatione gaudere, maximè ubi non deerat copia nunciorum.
Cum super hoc ergo negotio longâ esset utrinque assertatione certatum, in arbitrio Campaniæ comitissæ conveniunt, quæ hoc quidem certamen tali judicio diffinivit:
Non rectè agit amatrix, si, pro amantis absentiâ longâ, suum derelinquat amantem, nisi penitus ipsum in suo defecisse amore vel amantium fregisse fidem manifestè cognoscat. Quando scilicet amator abest necessitate cogente, vel quando est ejus absentia ex caussâ dignissimâ laudis. Nichil enim majus gaudium in amatricis debet animo concitare quam si à remotis partibus laudes de coamante percipiat vel si ipsum in honorabilibus magnatum cœtibus laudabiliter immorari cognoscat. Nam quod litterarum vel nunciorum visitatione abstinuisse narratur, magnæ sibi potest prudentiæ reputari, cum nulli extraneo ei liceat hoc aperire secretum. Nam si litteras emisisset quarum tenor esset portatori celatus, nuntii tamen pravitate, vel, eodem in itinere, mortis eventu sublato, facilè possent amoris arcana diffundi.” Fol. 95.)

Question: “Un chevalier requérait d' amour une dame dont il ne pouvait vaincre les refus. Il envoya quelques présents honnêtes que la dame accepta avec autant de bonne grace que d' empressement; cependant elle ne diminua rien de sa sévérité accoutumée envers le chevalier, qui se plaignit d' avoir été trompé par un faux espoir que la dame lui avait donné, en acceptant les présents.”
Jugement de la reine Éléonore:
“Il faut, ou qu' une femme refuse les dons qu' on lui offre, dans les vues d' amour, ou qu' elle compense ces présents, ou qu' elle supporte patiemment d' être mise dans le rang des vénales courtisannes.” (1: Miles quidam dum cujusdam dominæ postularet amorem, et ipsum domina penitùs renueret amare, miles donaria quædam satis decentia contulit, et oblata mulier alacri vultu et avidâ mente suscepit. Post modum verò in amore nullatenus mansuescit; sed peremptoriâ sibi negatione respondet. Conqueritur miles quasi mulier amore congruentia suscipiendo munuscula spem sibi dedisset amoris, quam ei sine causâ conatur aufferre.
Hiis autem taliter regina respondit: Aut mulier munuscula intuitu amoris oblata recuset, aut suscepta munera compenset amoris, aut meretricum patienter sustineat cœtibus aggregari.” Fol. 97.)

Question: “Un amant, déja lié par un attachement convenable, requit d' amour une dame, comme s' il n' eût pas promis sa foi à une autre; il fut heureux; dégoûté de son bonheur, il revint à sa première amante, et chercha querelle à la seconde. Comment cet infidèle doit-il être puni?
Jugement de la comtesse de Flandres:
“Ce méchant doit être privé des bontés des deux dames; aucune femme honnête ne peut plus lui accorder de l' amour.” (1: Quidam, satis idoneo copulatus amori, alterius dominæ instantissimè petit amorem, quasi alterius mulieris cujuslibet destitutus amore, qui etiam sui juxtà desideria cordis plenariè consequitur quod multâ sermonis instantiâ postulabat; hinc autem, fructu laboris assumpto, prioris dominæ requirit amplexus, et secundæ tergiversatur amanti.
Quæ ergo super hoc viro nefando procedet vindicta?
In hâc quidem re comitissæ Flandrensis emanavit sententia talis:
Vir iste, qui tantâ fuit fraudis machinatione versatus, utriusque meretur amore privari, et nullius probæ feminæ debet ulterius amore gaudere.”
Fol. 94.)

Question: “Un chevalier aimait une dame, et comme il n' avait pas souvent l' occasion de lui parler, il convint avec elle que, par l' entremise d' un secrétaire, ils se communiqueraient leurs voeux; ce moyen leur procurait l' avantage de pouvoir toujours aimer avec mystère. Mais le secrétaire, manquant aux devoirs de la confiance, ne parla plus que pour lui-même; il fut écouté favorablement. Le chevalier dénonça cette affaire à la comtesse de Champagne, et demanda humblement que ce délit fût jugé par elle et par les autres dames; l' accusé lui-même agréa le tribunal.”
La comtesse, ayant convoqué auprès d' elle soixante dames, prononça ce jugement:
“Que cet amant fourbe, qui a rencontré une femme digne de lui, jouisse, s' il le veut, de plaisirs si mal acquis, puisqu' elle n' a pas eu honte de consentir à un tel crime; mais que tous les deux soient, à perpétuité, exclus de l' amour de toute autre personne; que ni l' un, ni l' autre, ne soient désormais appelés à des assemblées de dames, à des cours de chevaliers, parce que l' amant a violé la foi de la chevalerie, et que la dame a violé les principes de la pudeur féminine, lorsqu' elle s' est abaissée jusqu' à l' amour d' un secrétaire.” (1:
Miles quidam, dum pro cujusdam dominæ laboraret amore, et ei non esset penitus oportunitas copiosa loquendi, secretarium sibi quemdam in hoc facto, de consensu mulieris adhibuit, quo mediante, uterque alterius vicissim facilius valeat agnoscere voluntatem, et sua ei secretius indicare et per quem etiam amor occultius inter eos possit perpetuò gubernari. Qui secretarius, officio legationis assumpto, sociali fide confractâ, amantis sibi nomen assumpsit, ac pro se ipso tantum cœpit esse sollicitus. Cujus præfata domina cœpit inurbanè fraudibus assentire, sic tandem cum ipso complevit amorem et ejus universa vota peregit. Miles autem, pro fraude sibi factâ commotus, Campaniæ comitissæ totam negotii seriem indicavit, et dùm ipsius et aliarum dominarum nefas prædictum postulavit humiliter judicari, et ejusdem comitissæ ipse fraudulentus arbitrium collaudavit. Comitissa verò, sexagenario sibi accersito numero dominarum, rem tali judicio diffinivit:
Amator iste dolosus, qui suis meritis dignam reperit mulierem, quæ tanto non erubuit facinori assentire, male acquisito fruatur amplexu, si placet, et ipsa tali dignè fruatur amico; uterque tamen in perpetuum, a cujuslibet alterius personæ maneat segregatus amore, et neuter eorum ad dominarum cœtus vel militum curias ulterius convocetur, quia et ipse contra militaris ordinis fidem commisit, et illa turpiter, et contra dominarum pudorem, in secretarii consensit amorem.” Fol. 96.

Question: “Un chevalier divulgue honteusement des secrets et des intimités d' amour. Tous ceux qui composent la milice d' amour demandent souvent que de pareils délits soient vengés, de peur que l' impunité ne rende l' exemple contagieux.”
Jugement. La décision unanime de toute la cour des dames de Gascogne, établit en constitution perpétuelle: “Le coupable sera désormais frustré de toute espérance d' amour; il sera méprisé et méprisable dans toute cour de dames et de chevaliers; et si quelque dame a l' audace de violer ce statut, qu' elle encoure à jamais l' inimitié de toute honnête femme.” (1: “Secretarius quidam intima turpiter et secreta vulgavit amoris. Cujus excessus omnes in castris militantes amoris postulant severissimè vindicari, ne tantæ prævaricationes vel proditoris exemplum, impunitatis indè sumptâ occasione, valeat in alios derivari. Dominarum ergo in Vasconiâ congregatâ de totius curiæ voluntatis assensu perpetuâ fuit constitutione firmatum, ut ulterius omni amoris spe frustratus existat, et in omni dominarum sive militum curiâ contumeliosus cunctis ac contemptibilis perseveret. Si verò aliqua mulier dominarum fuerit ausa temerare statuta, suum ei puta largiendo amorem, eidem semper maneat obnoxiæ pœnæ et omni probe feminæ maneat exinde penitus inimica.” Fol. 97.)

Il me reste à indiquer des jugements rendus par les cours d' amour établies en Provence, et par les arbitres dont les troubadours convenaient dans leurs tensons.
L' historien des poëtes provençaux fait mention de diverses questions soumises aux cours de Provence.
Dans une tenson qui se trouve dans nos manuscrits, Giraud et Peyronet discutent la question: “Laquelle est plus aimée, ou la dame présente, ou la dame absente? Qui induit le plus à aimer, ou les yeux, ou le cœur?” (1: Nostradamus, p. 26.)
Cette question fut soumise à la décision de la cour d' amour de Pierrefeu et de Signe, mais l' historien ne rapporte pas quelle fut la décision.
Il parle d' une tenson entre Raimond de Miraval et Bertrand d' Allamanon sur ce sujet: “Quelle des nations est la plus noble et la plus excellente, ou la provensale, ou la lombarde?”
“Ceste question fut envoyée aux dames de la cour d' amour résidents à Pierrefeu et à Signe, dit l' historien (2: Nostradamus, p. 61.), pour en avoir la diffinition, par arrest de laquelle, la gloire fut attribuée aux poëtes provensaux, comme obtenans le premier lieu entre toutes les langues vulgaires.” (N. E. Ya sabrán los lectores que el catalán siempre fue esta misma lengua, pese al maquillaje del IEC.)
J' ai déja dit que la question, élevée dans une tenson entre Simon Doria et Lanfranc Cigalla, “Qui est plus digne d' être aimé, ou celui qui donne libéralement, ou celui qui donne malgré soi, afin de passer pour libéral?” ayant été soumise par les deux troubadours à la même cour, ils ne furent pas satisfaits du jugement, et ils recoururent à la cour souveraine de Romanin. (1: Nostradamus, p. 131.)
Voilà encore un jugement dont nous ignorons le contenu, mais de l' existence duquel il n' est pas permis de douter.
On trouve dans les manuscrits des troubadours un jugement qui mérite d' être cité.
Un seigneur, qui n' est pas nommé, est prié par le troubadour Guillaume de Bergedan, de prononcer sur un différend qu' il a avec son amante, l' un et l' autre s' en remettant à sa décision.
Le troubadour a aimé la demoiselle alors qu' elle était encore dans sa plus tendre enfance; dès qu' elle a été plus avancée en âge, il a déclaré son amour, et elle a promis de lui accorder un baiser, quand il viendrait la voir. Cependant elle refuse d' exécuter cette promesse, sous le prétexte qu' à l' âge où elle l' a faite, elle en ignorait la conséquence.
Le seigneur, embarrassé de décider selon le droit d' amour, récapitule les raisons des parties, et, après avoir pris conseil, décide que la dame sera à la merci du troubadour, qui prendra un baiser, et lui en fera de suite la restitution.” (2: Guillaume de Bergedan: De far un jutjamen.)
Je crois avoir démontré d' une manière incontestable l' existence des cours d' amour (3), tant au midi qu' au nord de la France, depuis le milieu du douzième siècle, jusque après le quatorzième.
(3) Dans ces recherches sur les cours d' amour, je n' ai pas eu le dessein de parler des temps postérieurs aux troubadours, ni des pays étrangers où l' on a trouvé de pareilles institutions, ou des institutions qui y avaient rapport.
Dans les provinces du nord de la France, et pendant le quatorzième siècle, Lille en Flandres, Tournay, avaient l' une et l' autre leur prince d' amour. (a)
Sous Charles VI il a existé à la cour de France une court amoureuse.
(b)
L' ouvrage de Martial d' Auvergne, composé dans le quinzième siècle, et intitulé Arrests d' amours, est de pure imagination, mais il sert du moins à prouver que l' on conservait encore la tradition des cours d' amour. (c)
Au midi de la France, l' institution d' un prince d' amour (d) et du lieutenant de ce prince par le roi Réné, dans la fameuse procession de la Fête-Dieu d' Aix, n' annonce-t-elle pas l' intention de rappeler les usages et les traditions des cours d' amour?

(a) Histoire de l' Académie des inscriptions et belles-lettres, t. 7, p. 290.
(b) Le manuscrit n° 626 du sup. de la bibliothèque du roi contient les noms et les armoiries des seigneurs qui composaient cette cour, organisée d' après le mode des tribunaux du temps; on y distingue:
Des auditeurs,
Des maîtres de requête,
Des conseillers,
Des substituts du procureur-général,
Des secrétaires, etc. etc.
Mais les femmes n' y siégeaient pas.
(c) Dans ce parlement d' amour décrit par Martial d' Auvergne, après le président et les conseillers, siégeaient les dames.
Après y avait les déesses,
En moult grand triumphe et honneur,
Toutes légistes et clergesses,
Qui sçavoyent le décret par cœur.
Toutes estoyent vestues de verd, etc.
Arresta Amorum, P. 22.
(d) Ce prince d' amour était élu chaque année et pris dans l' ordre de la noblesse, il choisissait ses officiers; le lieutenant était nommé par les consuls d' Aix, et pris dans l' ordre des avocats ou dans la haute bourgeoisie. Le corps de la noblesse payait la dépense considérable qu' occasionnait la marche du prince d' amour; cette charge fut supprimée par un édit du 28 juin 1668, motivé sur la trop grande dépense. Depuis lors et jusqu' en 1791, le lieutenant du prince d' amour a marché seul avec ses officiers, etc.
Le prince d' amour, et après lui son lieutenant, imposaient une amende nommée Pelote à tout cavalier qui faisait aux demoiselles du pays l' affront d' épouser une étrangère, et à toute demoiselle qui, en épousant un cavalier étranger, semblait annoncer que ceux du pays n' étaient pas dignes d' elle. Des arrêts du parlement d' Aix avaient maintenu le droit de pelote. Gregoire: Explication des cérémonies de la Fête-Dieu, p. 52.

Mais, quelle était l' autorité de ces tribunaux? Quels étaient leurs moyens coërcitifs?
Je répondrai: l' opinion; cette autorité si redoutable par-tout où elle existe; l' opinion, qui ne permettait pas à un chevalier de vivre heureux dans son château, au milieu de sa famille, quand les autres partaient pour des expéditions outre mer; l' opinion, qui depuis a forcé à payer, comme sacrée, la dette du jeu, tandis que les créanciers qui avaient fourni des aliments à la famille, étaient éconduits sans pudeur; l' opinion, qui ne permet pas de refuser un duel, que la loi menace de punir comme un crime; enfin l' opinion, devant laquelle les tyrans eux-mêmes sont contraints de reculer.
La circonstance que ces cours d' amour n' exerçaient qu' une autorité d' opinion, est un caractère de plus qu' il était convenable d' indiquer, et qui assure à cette institution un rang distingué dans l' histoire des usages et des mœurs du moyen âge.

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Poeme sur Boece - texte du manuscrit

domingo, 21 de noviembre de 2021

DVA, Gerónimo Borao, introducción, 2

II.


A este examen vamos a dedicar el resto de nuestra tarea, procurando señalar la procedencia de algunas palabras, legitimando en lo posible su uso, probando que a su invención ha precedido instintivamente el mejor juicio, y manifestando que no son barbarismos de gente inculta, sino a veces primores que el idioma castellano debiera prohijar (53)
o no haber abandonado. Entiéndase que para la formación de este discurso, así como para la del Diccionario que le sigue, hemos de servirnos, en cuanto nos sea dable, de escritores aragoneses, de anuncios e inscripciones oficiales, de avisos impresos, de la conversación de personas cultas, y sólo en donde todo esto no alcance, del habla común de los aragoneses. No abultaremos, pues, el vocabulario ni la crítica con palabras de las que frecuentemente se improvisan pero no se extienden ni se hacen permanentes: tampoco no lo haremos con las locuciones latinas usadas por nuestros foristas como ne pendente apellatione, artículo de toliforciam, sentencia de lite pendente, neutram y otras, pues aunque sabemos que la Academia incluye algunas locuciones latinas, de antiguo castellanizadas, no le hace, y esto con su habitual prudencia, sino cuando son del dominio general y no del tecnicismo de una ciencia; ni tenemos por verdaderamente aragonesas, aunque de uso particular de nuestros escritores, algunas libertades derivadas del idioma castellano, como tierra baja para denotar cierta comarca de la derecha del Ebro y alto Aragón para denotar la de la izquierda, turbante en sentido del que turba, comisante por el que comisa y adminiculado de adminicular, voces usadas por Larripa; adrezar que dice Blancas; catedrero que consignan los Gestis de la Universidad de Zaragoza; consimile por semejante; reforme por reforma y tisiquez por tisis, que hemos leído en otra parte; caminos circunstantes que también hemos visto usado; membranáceo que dice no mal, en lugar de membranoso, el racionero Latassa; comisarios (54), cercenadores, lugar tenientes y otros cargos que no puede especificar el Diccionario de la lengua y que sin embargo son corrientes en los tratados de legislación aragonesa.

Procedemos en este punto con tal cautela y tan desapasionadamente, que ni damos cabida a algunas palabras (55) por el solo hecho de hallarse en nuestros autores y no en el Diccionario de la Academia; ni incluimos otras que son explicadas como aragonesas por algunos escritores pero que en el Diccionario oficial figuran como castellanas, tales son universidades, gramalla, pedreñal y otras varias; ni acrecemos mucho nuestro Vocabulario con otras cuya definición académica no tiene el alcance de los textos aragoneses como en aquellas hermosas palabras de la Unión “porque non querrian, si Deus e el seynor rey quissies, tener ni seguir otra carrera que la suya;”
ni aun reputamos como aragonesa la palabra dosel usada en las coronaciones de Blancas y calificada como esencialmente aragonesa por él y su comentador el cronista Andrés, el cual para su mejor inteligencia se refiere, bien inoportunamente por cierto, al Tesoro de Covarrubias y al Comento del Polifemo, escrito por García Coronel, cuyos autores no le dejan muy airoso con sus declaraciones.

Lo mismo hemos practicado con algunas palabras puramente lemosinas o catalanas como mateix, res, tantost, apres, nueyt, muyto, destrenyer (acosar), los adverbios en ment o mientre, y con mucha más razón cercar por buscar que usa el Códice de los Privilegios de la Unión, y environar por cercar que dijo el rey D. Martín en la famosa oración con que abrió las cortes de 1398. Hemos también omitido algunos de los muchos tributos o pechas que en documentos latinos aparecen, pero que no creemos del todo aragoneses, como plantáticum que se pagaba por echar el ancla, plateaticum por pasar las plazas, porcagium por los cerdos, salinaticum por la sal, portulaticum y tavitáticum por las naves, etc.; y también algunos de los oficios de la casa real, como subbotellerius, subfornarius, sobrecoch (jefe de la cocina) (Koch, alemán “koj”: cocinero; inglés cook “kuk”) y otros varios, si bien con esta ocasión enumeraremos los que se hallan discernidos en las Ordinaciones de la Real casa de Aragón, compiladas por Pedro IV en idioma lemosín el año 1344, (están en historia-aragon.blogspot.com , son parte de la colección de los Bofarull) traducidas al castellano en 1562 por el protonotario (protonario en el original; prothonotari en un texto del Ceremonioso: https://historia-aragon.blogspot.com/2019/12/offici-sagelladors-scrivania.html )
D. Miguel Climente de orden del príncipe D. Carlos y dadas a la estampa en Zaragoza año de 1853 por D. Manuel Lasala, cuyos oficios (que decíamos) son, dejando a un lado los de uso y nombre más conocidos, los de botilleros mayores y comunes, aguador de la botilleria, panaderos mayores y comunes, escuderos trinchantes, argentarios o ayudantes de cocina, menucier o repartidor, escuderos que traen los manjares, comprador, cazadores o perreros, sobreacemilero y sotacemilero, tañedores, escuderos y ayudantes de cámara, guarda de las tiendas, costurera y su ayudante, especiero, barrendero y lavador de la plata, hombres del oficio del alguacil (jusmetidos a él para aprender criminosos), mensajeros de vara o vergueros, escalentador de la cera para los sellos pendientes, selladores de la escribanía, promovedores, enderezadores de la conciencia, sotaporteros; servidor de la limosna
(almoyna) y escribano de ración que era a manera de contador o tenedor de libros.

Con igual economía hemos obrado al examinar el Índice donde se declaran algunos vocablos aragoneses antiguos, el cual, aunque trabajado por el insigne Blancas; si bien contiene doscientas nueve voces, pero trae muy pocas rigurosamente aragonesas; y aun por eso no hemos incluido de entre ellas sino diez, habiendo despreciado las que nos han parecido castellanas antiguas, que son las más, y habiendo renunciado no sin pena a algunas otras que no dejan de tener semblante aragonés, como son aconsegüexca alcance, bellos ricos, boticayx bofetada, camisot alba, caxo mejilla, desconexenza ingratitud, esguart cuenta, guarda-corps sayo, las oras entonces, lunense apártense (luny, lluny, alunyar, allunyar; chap. llun), meyancera medianía, ont por esto, pertesca parta o tome, pertaña toma, rengas riendas, sines sin, vaxiellos vasos, umplie llenó, izca salga (ixca, ixir, eixir; exitus).

Esa misma parsimonia, pero mucho más fundada, nos ha guiado en cuanto a las palabras castellanas que Ducange define en su Glosario (56), apoyado en documentos aragoneses, cuales son, entre otras, acémila, albarda, alodial, arada, armador, azcona, bandosidad, cabezalero, cahiz, corredor, escombrar, espera, fincar, jurista, malatia, maleta, mayoral, mezclarse, parral, pérdida, perdidoso, quilate, quitación, rastro, realengo, renegado, saca, salva, sesmero, sobreseimiento, soldada, sollo, tapial, taza, timbre, tornadizo y trepado (57). Y si contra este nuestro sistema de conceder a Castilla cuanto la Academia le atribuye (sea cual fuere el verdadero origen de las voces), damos cabida a las ciento o algunas más académicas que Peralta incluye en su Ensayo de un Diccionario aragonés castellano, es, no tanto por ser ellas de más uso, si ya no de procedencia aragonesa, cuanto por respetar, como base de nuestro Vocabulario, el primer trabajo que se hizo en ese género; mas, así y todo, las señalamos, para descargo de nuestra responsabilidad literaria, con una letra particular que las distinga, y esto nos permite marcar asimismo las que como aragonesas o provinciales incluye la Academia y las que se deben exclusivamente a nuestra tal cual diligencia.

Pero no hacemos tanto, antes las excluimos por completo, con muchas de las voces que en sus respectivas obras de historia natural escribieron dos insignes botánicos, Bernardo Cienfuegos en los primeros años del siglo XVII y D. Ignacio de Asso (zaragozano) en los últimos del XVIII. Este, sobre todo, a quien se deben muy curiosos y eruditos tratados sobre las producciones, las ciencias, las leyes, la economía política y aun la literatura de Aragón, tuvo la advertencia de consignar, lo mismo en su Synopsis stirpium indigenarum Aragoniae (1779), que en su Introductio ad Oryctographiam et zoologiam Aragoniæ (1784), las voces puramente aragonesas con que se designaban y todavía se designan en el país (que recorrió herborizando y estudiando su suelo y los animales que le pueblan) los objetos sometidos a su descripción. En consecuencia de su plan, calificó unas veces con la palabra vernaculé o provincial de Aragón, otras con la más expresiva de nostratibus, las palabras que tenía por exclusivamente aragonesas, distinguiéndolas de todas las restantes con la anteposición de la palabra hispanis; y por si pudiera dudarse de que designaba con aquellos antepuestos los vocablos aragoneses, él mismo lo declara, ora en el prólogo diciendo Adjunxi etiam vernacula provintiæ nostræ nomina, ora en el índice que titula Nomina hispánica et vernacula Aragoniæ.
Y decimos todo esto, porque parece después muy extraño que persona tan competente en todo aquello que emprendía, calificara de aragonesas palabras que pasan por castellanas, como asnallo, balsamina, cadillo, camomila, cebadilla, ginesta (
plantagenet; parecida a la aliaga, argilaga), margarita, regaliz (regalíssia), sosa, tuca, anadón, andario, becada, calandria, chorlito, dogo, gavilán, lechuza (chuta, ólipa), pajarel, perdiguero, picaraza (garsa en Beceite), polla de agua (focha), pulgón (puó), saboga, tordo (tord o tort en Beceite; tordus), triguero, verderol y otras. Colocónos (nos colocó) esto en la difícil alternativa, o de aceptar por aragonesas bajo la fé de quien, puesto que filólogo, al cabo no se distinguió como etimologista, palabras que no sólo la Academia pero aun los hablistas castellanos han considerado de uso general entre los españoles (también chófer, y no es castellana, a ver si adivinas de dónde viene; o aspirina); o de desairar, sinó, el voto calificado de un literato dedicado con ardor a las ciencias naturales y conocedor por sí mismo de los nombres con que la ciencia y el vulgo designan cada cual los objetos de la naturaleza. Pero nuestra imparcial elección ha estado en favor del habla común española, no sólo por el mayor crédito que nos merecen las muchas y buenas autoridades que contradicen la absoluta de Asso, sino por otra consideración que, favorable como lo es a Aragón, no podemos excusarnos de aducirla.

De esas voces, hoy todas castellanas, supuesto el admitirlas como tales la Academia, las hay, como balsamina, cadillo, calandria, cebadilla, chorlito, dogo, gavilán, ginesta, perdiguero, pulgón, regaliz, saboga y sosa, que ya se hallaban incluidas en la edición príncipe del Diccionario publicada en 1726 por aquella corporación literaria, y no se concibe cómo pudo desentenderse de esta autoridad el naturalista de Asso: pero hay otras, y a la fé muy bellas, como andario, asnallo, camomila, margarita, pajel,

picaraza, polla de agua, tordo, tuca y verderol, que no tenían cabida en aquella edición (58), que en Aragón eran ya muy usuales, y que hoy han pasado al fondo común de la Academia, sin que de nuestra parte quepa contra esto reclamación alguna,
(
como pasan casi todas las palabras aragonesas, mallorquinas, valencianas al DCVB y las consideran catalanas. Sólo hace falta revisar un poco Lou tresor dóu Felibrige para ver su procedencia occitana) como quiera que todos los idiomas viven de esos cambios mutuos, principalmente cuando la lengua de una nación prevalece (como su política) sobre los dialectos (o lenguas documentadas) de las provincias que vienen a constituirla.

Pero hay que considerar como aragonesas algunas palabras que, si bien incluidas como castellanas en el Diccionario general de la lengua, no puede negarse que son de uso constante, popular, y, por decirlo así, privilegiado en Aragón, mientras lo tienen muy raro o ninguno fuera de él, pudiendo asegurarse desde ahora que, pasado algún tiempo, y cuando ya la Academia forme la convicción en que nosotros nos hallamos, habrá de conservarlas en su Diccionario con el carácter exclusivo de provinciales de Aragón (59). Aquí, en efecto, se dice suplicaciones por barquillos como en el Desden con el desden; no marra por no falla como en las farsas de Lucas Fernández; aturar, como en Berceo «Abrán con el diablo siempre a aturar, y como en Lorenzo de Segura «Anda cuemo ruda que no quiere aturar,» amanta, amprar, arguello, arramblar, caño, malmeter, masar, paridera, punchar, rematado, vencejo, y otras varias (60) que se usan frecuentemente entre nosotros, y de las cuales y otras ya notó Capmany que algunas, como aturar, cal, dita, malmeter, ostal y pudor, eran a un tiempo de Cataluña y de Castilla.

De entre las palabras verdaderamente aragonesas aunque de apariencia castellana, de entre las palabras que, a cambio de otras citadas y consentidas como castellanas, tenemos que revindicar como nuestras y sólo nuestras, citaremos más detenidamente, por ser de las más vulgares en nuestro pueblo llano y sólo en él, la famosa expresión impersonal no me cal (no te cal, no le cal) en significación de no me importa, no me conviene, no me es menester, no me cumple, no tengo que etc., cuya frase, que no traen ni Covarrubias, ni la Academia en su Diccionario grande, ni el jesuita Terreros, ni Rosal en su Diccionario manuscrito, se halla autorizada en nuestros días como castellana por la Academia de la lengua, pero usada como aragonesa por sólo nuestros labriegos. (Yo soy filólogo de literatura inglesa y la uso en mi pueblo, Beceite) - En el poema del Cid hablando este de los Infantes sus yernos dice Curiellos quiquier ca dellos poco min' cal, y más atrás Si el rey me lo quisiere tomar, a mi non minchal: en el Poema de Alejandro se lee non te cal ca se vencires non te menguarán vasallos, y en otra parte Mas quequier que él diga a mi poco me cala: en las poesías atribuidas (61) a D. Alonso el Sabio también encontramos

E si vos veis este fuego

non vos otras cosas calen;

en el Laberinto de Juan de Mena

Mas al presente hablar no me cale;

Verdad lo permite, temor lo devieda;

en las poesías de A. Alvárez Villasandino:

Ya non me cal

pensar en al; (chap. ya no me cal pensá en datra cosa)

en las farsas o cuasi-comedias de Lucas Fernández n' os cale desemular; y, lo que es mucho más notable, en las epístolas del obispo Guevara, predicador de Carlos I, «no le cale vivir en Italia el que no tiene privanza de rey para se defender.»


Pero aunque las autoridades que llevamos citadas han podido influir en la Academia para la admisión de esa voz, que sin embargo no vemos incluida en el gran Diccionario de autoridades de aquella corporación, ni tampoco en el de Terreros publicado en 1786, debemos advertir que quienes la han conservado sin interrupción son los aragoneses, desde que (a nuestro parecer) la tomaron de los provenzales, en cuya poesía se halla usada repetidas veces, así como la tienen el idioma italiano en calere, el francés antiguo en chaloir, el catalan en caldrér, y, aun forzando un poco la analogía, el latín en calescere, agitarse, moverse, pudiéndose decir no me mueve, no me agita, no me domina, no me da cuidado, no me importa. Del uso lemosín no puede dudarse al leer en una canción de Pedro III no m' calgra no me sería necesario, y en un poema anterior (62) perteneciente a los primeros años del siglo XIII y publicado y traducido recientemente por Fauriel

Per Dieu, n’ Ugs, ditz lo coms, nons clametx que nous cal.

Por Dios, D. Hugo, dijo el Conde, no os quejéis, que no os conviene.

y más adelante al verso 4844

A la meridiana quel soleilhs pren lombral

el baro de la vila estan á no men cal.

esto es “al mediodía, cuando el sol penetra en todo sombrío y los defensores de la ciudad están descuidados”, o “no están sobre las armas,” como viene a decir Fauriel, o “están en un no me importa,” si fuera posible traducir así aquella expresión que de todos modos indica el abandono.

Y finalmente, verso 4913

Mas non aia Belcaires temensa que nolh cal.
que Fauriel traduce “Mais que Beaucaire n'ait plus de crainte; il n'en doit pas avoir" y que en castellano se puede expresar diciendo “Pero no tema Beaucaire, pues no debe, pues no le corresponde, pues no tiene motivo, pues no tiene por qué.”

Haciendo punto en esta digresión, ya demasiado extensa pero no inútil a nuestro propósito, y anudando el pensamiento de donde ha partido, tócanos manifestar que, señaladas las palabras usadas por autores aragoneses mas no por eso aragonesas, e indicadas también las que a toda luz son de Aragón aunque todavía calificadas como castellanas; pudieran añadirse ciertas otras generalmente usadas en Aragón y que, a pesar de serlo en Castilla por escritores de nota, no tienen cabida como castellanas en el Diccionario de la lengua; tales son haldeta que usa Moratín en aquel verso de sus Navés de Cortés.

de azul y negro las haldetas de ante;

esmangamazos, que, sin el prepuesto privativo, leemos en aquellos versos del Cancionero de Baena

A ty mangamazo syo otra tonsura.

por mi serà dada muy gran penitencia;

(págs. 447 y 481.)
laminero, que tanto divierte a los castellanos cuando lo oyen a algún aragonés y que, sin embargo, no sólo es muy natural derivado de lamer, y muy parecido a lamistero y lamiscado, sino que se ve usado en el arcipreste de Hita,

La golosina tienes goloso laminero;
a placer, que vemos en aquel romance

en corte del rey Alfonso

Bernardo a placer vivía;

pintar, que usan nuestros pastores por tallar, aunque justo es decir que la Academia lo hace sinónimo de escribir, explicando bien ambas versiones aquellos versos encantadores de Gil Polo

mas serate cosa triste

ver tu nombre allí pintado (señalado en mil robles)

…..

no creo yo que te asombre

tanto el verte allí pintada etc.;

mueso, o bocado, (mos; mossegá) que derivado de morsus (de donde después almuerzo) (amorsá, almorsá) se halla como provincial de Aragón y, no obstante, lo encontramos en el Poema del Cid.

Nol' pueden facer comer un mueso de pan,

y en el de Alejandro aunque con varia lección, y en los poetas del Cancionero de Baena

E luego será del todo vengado

el mueso podrido que dió el escorpion
….

Mas freno sin mueso é chapa

vos daria aun emprestado;

peñora (pignorare) y caritatero que explican Berganza y Merino, dando a pennora el significado de multa y prenda, y a caritas el de refección de bebida tras la colación y lección espiritual; tastar, (taste inglés: probar) que si bien se halla en sentido de tocar, derivado de tactus, también tiene en Berceo el de probar o morder en aquel verso

Que de meior boccado non podriedes tastar;
macelo, cuyo derivado macelario no incluye la Academia pero sí en sus vocabularios los eruditos PP. Berganza y Merino; vencejo, de vinculum, (
vencill, bensill, etc; para atar una garba de paja, alfalfa) que, aunque admitido por la Academia en significación de ligadura, sobre todo para atar las haces (feix, feixos) de las mieses, lo declara
D. Tomás Antonio Sánchez privativo de Aragón al explicar el verso de Berceo

Alzáronlo de tierra con un duro venceio;

cútio, que en Aragón significa constante, diario, no interrumpido, conforme con su elimología quotidie, quotidianus, y que la Academia escribe y explica de otro modo, poniendo cutío, trabajo material, y omitiendo absolutamente en su Diccionario el adjetivo cutiano (quotidiano) (cotidiano) que leemos en el poema de Alejandro

Un pasarïello que echaba un grant grito

andaba cutiano redor de la tienda fito

y en Berceo

facie Dios por los omes miraclos cutiano

y en el célebre Villasandino

Pues memento mey cutiano disanto.

de, partícula expletiva que se usa en la frase me dijo de antes su parecer, y en otras parecidas, y que también usan nuestros clásicos como Cervantes, “tan bien barbado y tan sano como de antes,“ y el obispo Guevara “y sus pueblos quedaron como de antes perdidos.“

Añadiríamos a estas algunas otras palabras y frases que, siendo muy familiares en Aragón, y no teniendo nada de exóticas ni nuevas, están excluidas, no obstante, del Diccionario de la Academia, por donde oficialmente resultan no ser castellanas, mientras son positivamente, ya que no aragonesas, de uso aragonés; pero atribuyendo este silencio, no a decisión magistral sino a descuido inevitable de aquel sabio cuerpo literario, no adicionaremos el anterior catálogo ni aun con las dos que por ahora nos ocurren. Es la una llevar la corriente, frase que hemos oído a castellanos puros y que usa el Duque de Rivas (poeta cordobés) en el romance último de su Moro Expósito

“, le acaricia, le lleva la corriente”

La otra es la voz medicina que no se define por la Academia sino como “ciencia de precaver y curar las enfermedades del cuerpo humano,” y que en sentido de medicamento (63) es en Aragón vulgarísima, se usa mucho por los facultativos y se lee con frecuencia en las Ordinaciones del Hospital de Zaragoza 1656, siendo además común a la lengua italiana y al dialecto catalán, pero que no puede formar parte de nuestro Diccionario cuando la vemos usada en todos los más distinguidos escritores castellanos, desde Cervantes a Espronceda, desde Quevedo hasta el poeta popular Trueba, y lo mismo en fr. Luis de Granada que dice sin los tormentos de los médicos y las medicinas, en Mexía como el buen medico sus medicinas, en Guevara y lo poco que las medicinas le han aprovechado, en Rhúa que sana la herida con medicinas lenitivas.

Pasando ahora a uno de los más notables grupos en que pueden dividirse las palabras aragonesas, digamos en honor suyo que este pueblo ha conservado un gran número de las que constituyeron el habla antigua castellana, siendo ya consideradas como arcaísmos fuera de uso algunas y no pocas, que acá nos son del todo familiares, y que en parte componen el más usual vocabulario de la gente inculta, cuyos modismos excitan hasta cierto punto la compasión de quien los oye, ignorándose, aun por nosotros mismos, que así hablaron los padres del común idioma castellano.

Sería, en efecto, un trabajo muy curioso el de reunir las voces, incorrectísimas hoy, de las clases últimas del pueblo, y observar su perfecta identidad, no ya con las que se emplearon en los siglos primeros del habla, sino aun con muchas de los escritores que florecieron en el siglo XVI (64). Llegarían esas semejanzas hasta el punto de ser fácil componer todo un discurso, y aun todo un libro, con palabras tomadas del antiguo castellano, que sin embargo serían exactamente las que usa con predilección el pueblo aragonés; bien que muchas de ellas no dejan de ser comunes con el ya bárbaro dialecto que todavía conserva el estado llano en toda España. Sean ejemplo de esta observación, sin que por eso abultemos con ellas nuestro Diccionario, las palabras niervo; omecida, gomitar, buticario, reconvinió, *prolvengan, filicidad, tuviendo, entreviniendo, abellota, quisiendo, *previdencia, risistir, pidir, dicir, recebir, vieda (veda), siguidilla, ambrolla, crocodilo, (latino puro) virificar, ogepción, asasinar, etc. Séanlo también mesmo, trujo (65), agora, escuro, enantes, dende, que los poetas dicen con frecuencia. Séanlo igualmente estentinos, malmeter y rancar, que usa Juan Lorenzo de Segura; emparar que se lee en Berceo; bulra, estoria, estruir y mandurria que emplea el arcipreste de Hita ; churizo (66), (choricer en Alcañiz, jueves lardero y chorizo) previlegio y rétulo, que nos dice Covarrubias; rabaño y aspárrago que conforman más con la etimología hebrea y latina; pedricado, que dice el rabí D. Santob; cantacio, estentino y otras muchas que se ven en el Cancionero de Baena; empués, que dice Marcuello (pero también Berceo); agüelo y cudicia Aldrete; acontentar el autor del Diálogo de las lenguas; inconvinientes, encorporar y muchas otras Zurita; riguridad Tirso de Molina; mesmamente el P. Isla.

Pero estas palabras no son otra cosa, aunque saludadas con el nombre de barbarismos, sino ligeras desviaciones enfónicas de otras verdaderamente castellanas: las hay que siendo notadas en Castilla como arcaísmos, son en Aragón bastante corrientes, y de ellas citaremos (aunque no hagamos uso de todas en el Diccionario) abejera, aconsolar, afigir, afirmar, almuestas, aplegar, apoticario, árcaz, asin, asisia, asumir, azarolla, bahurrero, batifulla, batimiento, bogeta, buco, cadillo, calendata, cablieva, canso, capacear, casada, cocote, coda, espedo, fajo, fendilla, ferial, fosal, interese, marzapán, mayordombría, mida, mueso, nano, ostaleros, otri, pasturar, peñorar, pigre, tardano, tributación etc.; de cuyo catálogo, que pudiéramos no sin dificultad engrandecer, se deduce lo que ya hemos indicado, es a saber, la religiosidad con que el pueblo ha guardado la antigua manera de hablar, haciendo en él la ignorancia las veces del respeto.

No son menos recomendables, pues son igualmente puras y perfectamente conformes con la índole o genio del idioma, las palabras compuestas que ostenta el aragonés.
No hay para qué decir la belleza y el número que de los compuestos resulta; ni la facilidad con que la lengua española los admite, merced a sus terminaciones vocales y a la buena proporción en que entran estas letras; ni la condensación que producen, economizando circumloquios y partículas; ni el uso que de ellos hicieron las lenguas antiguas, principalmente la griega: todo es demasiado conocido para necesitar
esplanarlo, y mucho menos aquí en donde por otra parte no tiene su principal asiento. Pues bien: de estas composiciones que deben tomarse, sino es en las ciencias, del fondo que ofrece el propio idioma (según lo insinuó Mayans con acierto, tomando cabalmente por ejemplo una voz aragonesa) hay algunas, entre las muchas que a cada

paso inventa la conversación, como aguacibera, aguallevado, aguatiello, ajoarriero, ajolio, alicáncano, alicortado, antecoger, antípoca, apañacuencos, arquimesa, arrancasiega, babazorro, botinflado, cabecequia, carasol, casamuda, cazamoscas, contrayerba, entrecavar, escondecucas, gallipuente (gallipont, gallipons), habarroz, hurtadineros, malbusca, matacabra, matacan, miramar, paniquesa, rabiojo, sobrebueno, sobrecielo, tragacantos, zabacequias.


Y si de los compuestos pasamos a los derivados, que son una parte tan principal, y por ventura la más numerosa de los idiomas, ¿cuántos no encontraremos en Aragón, cuya mayor parte debieran adoptarse por la Academia? Permítasenos ofrecer de ellos una muestra, la cual, contribuyendo a esclarecer este punto, dejará también probado que en la conservación tenaz de sus modos de hablar, generalmente proceden los aragoneses con una lógica instintiva, muy ajena de la especie de extrañeza depresiva con que son saludados sus provincialismos. Véanse, sino, las palabras aceitero, adinerar, afascalar, agramar, aguachinar, agüera, ahojar, aladrada, alaica, anzoleto, añero, apabilado, apenar, aquebrazarse, arrancadero, arrobero, asolarse, azutero (azud, assut), bajero, boalage, bolsear, brazal, cabecero, cabezudo, cabreo, calorina, callizo, canalera, cantal, capolado, capucete, casera, comprero, collete, cresarse, crujida, cuaternado, culturar, cunar, chorrada, defenecer, dentera, desbravar, descodar, desgana, encerrona, engafetar, enzurizar, esbafar, escorchón, escorredero, estribera, frontinazo, galgueado, helera, huevatero, jetazo, juguesca, lavacio, manifacero, mañanada, maseta, matacía, mitadenco, molada, ocheno, oleaza, parejo, pastenco, peduco, picoleta, plantero, pulgarillas, racimar, repaso, saquera, simoso, sondormir, sudadero, tardada, ternasco, vendería, volandero.

Hay otras muchas palabras que difieren muy poco de las correspondientes castellanas, resultado necesario de la varia eufonía de las provincias, a veces de la mayor o menor fidelidad etimológica, y no pocas del simple decurso de los tiempos, que refinan o adulteran, pero no para todos, el idioma. Vocablos hay que varían la terminación, como abejero por abejaruco, ancheza por anchura, apuñadar por apuñear (puño, puñada; puñetazo), azanoriate por zanahoria, balsete por balsilla, blanquero por blanqueador, capaza (capazo) por capacho, cargadal por cargazón, corrinche por corrincho, chaparrazo por chaparrón, dalla por dalle (guadaña), exigidero por exigible, friolenco por friolento (friolero, friolera), perera por peral, pescatero por pescadero, picor por picazón, rocador por rocadero. Unos se han sincopado en Aragón, como abrío por averío, albada por alborada, (auba Mallorca, alba) cartuario por cartulario, censalista por censualista, cobar por cobijar, chapear por chapotear, mida por medida, zanguilón por zangarullón: otros, al contrario, se han alargado por epéntesis, como alirón por alón, bienza por binza, cadiera por cadira, carracla por carraca, empedrear por empedrar, hilarza por hilaza, jarapotear por jaropear, marrega por marga, panso por paso, valentor por valor. Unos suprimen por aféresis la sílaba inicial, como caparra por alcaparra (también garrapata), dula por adula, jada por azada, jambrar por enjambrar, pedrada por apedreada, zafrán por azafrán (safrá; saffron): otros la toman por prótesis, como amerar por merar, asesteadero por sesteadero, atrazar por trazar. Unos pierden la final por apócope, como alum, brócul, caparrós, espinai, por alumbre, bróculi, (brócoli) caparrosa y espinaca: otros la toman, como rondalla por ronda. Algunos duplican una letra, como acerolla, sarrampión, por acerola, sarampión: otros son anagramáticos, como amorgonar y arraclan, (arraclau, arreclau) por amugronar y alacrán: otros obedecen más al origen latino, como bufonería, calonia, concello, curto, gramen por buhonería, caloña, concejo, corto, grama (lo gram en Beceite): otros padecen la leve alteración que algunos gramáticos llaman antítesis, (metátesis) como sucede en achacarse, albellón, alcorzar, almadia, anganillas, aradro, bofo, boteja, cogullada, ensundia, furrufalla, garufo, gayata, jijallo, lezna, mandurria, panolla, (mazorca) restrojera, rujiada, tamborinazo y vendema, cuyas equivalencias castellanas no es necesario enumerar (para la gente poco versada es necesario). Otros, finalmente, se distinguen por su sílaba inicial es, que en Aragón suele preceder como privativa en lugar del antepuesto des, y aun aumentarse a la voz castellana, como se ve en esbafar, escañarse, escrismar, esgarrar, espatarrarse, estral, estrévedes (67) y esvarar, bien que la lengua castellana es también abundante en esas voces, la mayor parte anticuadas (y esto prueba nuevamente en favor de Aragón lo que a la página 71 llevamos dicho) como escañar, esfogar, esfriar, espabilar, espalmar, espavorido, espedirse, espejar, espeluzar, esperezarse, espolvorear, esposado y estajo.

También son de citar, y merecerían una interesante explicación individual, algunas palabras y modismos, que, sin separarse del idioma común, tienen valor nuevo en Aragón, por estar tomadas graciosamente en sentido figurado o translaticio, cuya manera de hablar es uno de los más altos primores de una lengua. Notaremos como ejemplo, acantalear, ajustarse, albarrano, andaderas, anieblado, armarse fandango, asnillo, bandearse, barbaridad, brazo de S. Valero (68), caballón, cárcavo, carmenar, crujida, chaparrudo, echar la barredera (69), echar la ley, encabezado, encanarse, dar carrete, florecer la almendrera, garras, gorrino, guitón, gusanera, herejía (heregia), indignarse la llaga, julepe, jusepico, lucero, lucidario, macerar, mazada, morir a loseta, mostacilla, nazareno, pinganetas, salida de pavana, tiorba y otras.
A este grupo corresponden igualmente la palabra tocino en que los aragoneses toman la parte por el todo; las palabras azulejo, elástico, y esponjado, que toman pie de la cualidad sobresaliente del objeto para darle nombre; también talegazo y titada, cuya analogía con costalada y monería no deja de ser curiosa; igualmente bigardo, que aplicándose primeramente a unos frailes de la orden de S. Francisco condenados por herejes en Alemania e Italia, se extendió después a los de mala vida, concluyendo por significar en Aragón el mancebo de grandes medros y de buena apariencia para el trabajo pero que hace vida inútil y ociosa; y finalmente las antonomásticas florín que así se llamó por ser usual en Florencia, según Merino; frederical, con motivo del manto que usaron algunos Fadriques de Sicilia, según la explicación de Blancas; con D. Antón te topes, a guisa de maldición, en recuerdo de D. Antonio de Luna que asesinó al arzobispo de Zaragoza en los disturbios promovidos por el conde de Urgel; más listo que Cardona, con alusión al vizconde de ese título que, aterrado por el miedo cuando su grande amigo el infante D. Fernando fue mandado matar en 1363 por el rey su hermano, huyó precipitadamente desde Castellón a Cardona pasando el Ebro, por Amposta; ya se murió el rey D. Juan, frase proverbial alusiva al pródigo D. Juan II y dirigida contra los ambiciosos de mercedes; que viene Vargas, expresión con que se asusta a los niños desde la jornada funesta en que aquel mandó prender y decapitar a Lanuza de orden de Felipe II; zaforas, voz moderna, suponemos que ocasionada por el longista Zaforas en cuya casa se dice que sirvió como criado el famoso Cabarrús; piculín, en recuerdo de un famoso volteador de aquel nombre que, procedente de Castellón de la Plana, trabajó en Zaragoza muy a gusto de todos desde 1803 a. 1815, según Casamayor (70), bien así como en Castilla ejecutó sus habilidades en el siglo XVI el italiano Buratin, de donde tomaron ese nombre los volatines en general, según lo hemos leído en algún trabajo etimológico y aun nos parece recordar que en alguna comedia de Lope, por más que en el Diccionario de la Academia no hayamos hallado esa palabra.

Viniendo ahora a las etimologías, por demás está que repitamos lo que ya hemos indicado en este punto, ocioso es que digamos de nuevo lo que por otra parte de todos es sabido: las lenguas se forman por aluvión y por derivación, de lo cual nace su división en familias, el parentesco estrecho que a muchas liga entre sí, la riqueza misma que ostentan, como se ve en la griega con la acumulación de sus dialectos, en la latina con su imitación griega, en las germánicas y neolatinas con la asimilación de sus afines y con el contacto de los pueblos conquistados y conquistadores, aliados y enemigos. Pero si es un gran mérito filial, como lo es a nuestros ojos, la conservación cariñosa de las raíces o voces matrices, supuesta la necesaria y aun oportuna reforma de la sintaxis, en Aragón hay por qué envanecerse en este punto, pues son muchas las voces provinciales que derivan inmediatamente del idioma del Lacio (71).

Unas han conservado toda su estructura latina, como lumen-domus, articulata, calendata, portata, testificata, exhibita, cancelata, extracta, intramarino, ultramarino, cisterno, forideclinatorio, paciscente, y bonavero que, aunque tiene por su terminación aire español, procede de la frase antigua Bona vero quæ demandantur sunt hæc, y expresa hoy como entonces la lista de los bienes a que se refiere la demanda.
Otras son idénticas, o no han variado sino la desinencia o la ortografía, como ápoca, apoticario, ordio, cicures, brisa, ligona, uva, lucidario, sansa, comanda, excrex, convenido, pigre y motilar. Otras, aunque un poco más desemejantes, conservan muy visible su procedencia, como cuaderna, adimplemento, la Seo, coda, falenciales, oleaza, túberas, fiemo (
fem; humus; estiércol), macelo, farinetas (farina : harina), batifulla, fabear, zaborra y fabolines. Otras, en fin, aunque no de tan incuestionable etimología, la tienen bastante lógica, y desde luego mucho menos violenta de lo que suelen buscarla muchos etimólogos, a quienes, por lo mismo de no poseer nosotros su caudal, no los imitaremos ciertamente en disiparlo: tales son geta, gitar y jetar, de getare (y no de jacere, como otros suponen) (gitar : acostar sí es de jacere; gitar : expulsar, echar; foragitar); besque de viscus (pasta de muérdago viscosa, pegajosa, para atrapar pájaros); fajo (y aun fascal) de fax, origen de haz, (fasces; feix) hacinar etc.; huebra derivado de opera, que debió pasar por opra, obra y uebra, acabando por recibir entre nosotros un sentido genérico o trópico; aturar que Rosal (72) deriva de obturare; emberar acaso de ver, primavera, por empezar a colorear entonces algunas frutas, como se dice agostar al marchitarse de las plantas (agosto); exárico de exaro; concieto, de conceptus deseo concebido; muñido de monere, avisar, citar, obligar a comparecer; vellutero, de vellus, lana (vellut : terciopelo); trincar, de trincare, silvar, beber, dar muestras de recocijo; encante de in cantu; amosta, de amba manu hausta, según Monlau; tastar de tactus; mueso, de morsus; vencejo de vinculus; rufo, tal vez de rufus, rubio (rubeo : rojo); teruelo acaso de textula, tejuela con que en lo antiguo se votaba; caritatero, probablemente de charitas, a juzgar por el objeto de aquel cargo que suponemos equivalente al de limosnero; baste, quizá de bastaga, transporte, o de basterna, litera; calamonar, no muy extraño a calamenthum yerba; bando, que puede provenir de pando, siendo tan conformes las dos letras labiales en que se diferencian ambas voces; luquete, a luce como dice Rosal, aunque esa palabra no la incluye la Academia como aragonesa sino como castellana.

Otra de las más copiosas fuentes de donde el idioma español ha tomado un gran número de palabras, es la lengua árabe que, correspondiendo a una civilización muy adelantada sobre todas las de Europa, hubo de forzarnos a admitir, con sus raros conocimientos en las ciencias y artes, las voces que servían a desarrollarlos. No se habló en Aragón aquel idioma como en otras provincias, y es que tampoco no fue tan larga la dominación árabe, reconquistada Zaragoza en 1188 y Valencia (por D. Jaime) en 1238; pero fuélo todavía lo bastante para imprimirnos su influencia; y sobre todo nos impusieron los árabes en adelante, aun después de sometidos, ese suave yugo que, por lo mismo de no ser impuesto a la violencia sino en el seno de la paz, es, no sólo más duradero, pero aun tan honroso a los conquistados como a los conquistadores. Todavía subsisten, sobre todo en Valencia, pero también en Aragón y aun en Navarra, y claro es que en muchos otros puntos de España aun sin contar la Andalucía, prácticas agrícolas, costumbres indelebles, restos, del traje calles y barrios, y principalmente muchos vocablos de la lengua árabe con que la nuestra ha venido a enriquecerse.

Sobre las voces que son generales a toda España, y que Marina enumera cuidadosamente hasta formar un catálogo de cerca de mil quinientas, si bien algunas de origen griego u oriental pero siempre transmitidas a nosotros por los árabes, tiene Aragón otras propias de las cuales citaremos ajada, ajadón, alamín, alberge, albarán, alcohol, alfarda, algorín, almenara, almud, almudí, amelgar, antibo (de anteba, hincharse), arcaz, arguello, arna, aturar (73), badal, bailío, barreño, bocal, boto, bucarán, eraje, gaya, gafete, jauto, jebe, jeto, jimenzar, lapo, márfega, márraga, mossen, rafalla, rafe, sirga y zafrán; a las cuales no dudamos en agregar las investigadas a ruego nuestro por un competente amigo nuestro (74), de entre los cuales son incuestionablemente árabes, según sus informes razonados, alguaza, alquinio, antosta, badina, bahurrero, cabidar, capleta, charada, fardacho, fizón, maigar, tabarda, tría, zaborra y zalear; muy verosímiles alfarrazar, alacet, arcén, buega, cija, libón, y liza, y algún tanto dudosas abollón, *aribol, batueco, bistreta, boira, caramullo, cibiaca, cocón, cospillo, cudujón, fejudo, fres, güellas, jasco, lillas, pardina y pocho.
(
En el glosario etimológico de las palabras españolas de origen oriental, de Leopoldo De Eguilaz y Yanguas he encontrado algo: Baden, badina. La zanja que dejan hecha las corrientes de las aguas. Charca. De * bátin, "rebajado, hundido (suelo terreno) en Kaz. "the low or depressed tract of land, of the plain, where water rests and stagnates" en Lane. Alix. (badina, badines, a Beseit, la badina negra al Parrissal). // ALACET. Voz aragonesa que significa fundamento de un edificio. Borao. Es la arábiga alist o alicet, que, entre otras acepciones, tiene la de fundamento en Kazimirski. Tráela R. Martín bajo la forma *ar alast o alacet, según la pronunciación vulgar, aunque con significado distinto. Acaso alacet no sea más que la contracción de *ar alisését, pl. de alisés, fundamentum en R. Martín, la base o cimiento de un edificio.)

En cuanto a la influencia provenzal, (ver Lou tresor dóu Felibrige, Mistral) con decir que se sintió más o menos aun en Castilla, no puede sorprender que en Aragón fuese extraordinaria, y lo admirable es, pero no menos cierto, que aquí no resultase un dialecto como el catalán o valenciano, y que alcanzara a conservarse el idioma español, nacido como en Castilla pero independientemente de Castilla, y perfeccionado lentamente no sin alguna intervención castellana, pero desde luego con más y mejores aunque no muy aprovechados elementos. Haciendo fondo común de las voces puramente lemosinas y de las catalanas, tenemos, principalmente de estas, un buen número, siéndonos perfectamente comunes amosta, baga, banova, barral, botiga, braga, bresca, corcar, embafar, empentar, escalfeta, escalibar esclafar, esgarrifarse, falca, fuina, gallofa, garba, garraspa, ginjol, gosar, greuge, madrilla, mas, máscara, porguesas, pudor, purna, quera, a ran, sirga, taca, tastar, tongada, trena, trucar, veguero, veta, y, según puede verse en Raynouard (75), adobar, aturar, borda, getar, rosigar, tetar y alguna otra; así como también son comunes al aragonés y al catalán, aunque aquel les ha dado desinencia o pronunciación castellanas, ajordar, calage, calibo, fitero, guito, manifacero, masobero, tinelo, trespontin etc. y lo son también, o por su raíz o por su semejanza, argadillo, cuquera, espenjador, fosqueta, garrampa, milocha y alguna otra.

Algunas de estas palabras pertenecen también a los otros idiomas neo-latinos, no siendo fácil decidir si fueron elaboradas a un mismo tiempo, ni en caso contrario de qué parte estuvo la precedencia; pero de todos modos es lo cierto que tastar, por ejemplo, es común a los idiomas aragonés, catalán, francés e italiano, (e inglés, taste) que botiga, y gingol (jíngol, gínjol), traspontín y aun falordia lo son a los tres primeros, que fuina, muir, taca y aun escalfeta lo son al aragonés, al catalán y al italiano. En cuanto a las semejanzas del aragonés con el francés o el italiano pueden citarse, respecto a este, gratar, chemecar, falaguera (de follegiare), y aun badal y picota; y respecto a aquel acoplar, aguaitar (de guetter), alberge, argent, (Ag, argentum, plata) becardon, chapelete, empachar, esparvel (de épervier) (esparver, esparvé), fuina, guipar (de gûepe abispa), manchar, mazonero, niquitoso (de nique mueca), planzón, pocha, pochada y algunas otras como gallón que la Academia escribe gasón tal vez por aproximarla al gazón francés, y mascarar que, desusado hoy por ellos más no por nosotros, usó sin embargo Rabelais en “Gargantúa) se mascaroyt le nez.”

Expuesto ya, si bien concisamente y sin extendernos a observaciones, panegíricas, lo más preciso de saber para la inteligencia del habla aragonesa en lo tocante a su historia, su etimología, su propiedad y aun sus ventajas, seguramente que completaría en gran parte nuestro trabajo la exposición de los modismos, frases o refranes peculiares de Aragón; pero nos ha retraído de esta idea, no sólo la dificultad de llevarla a cabo con algún acierto, sino la consideración de que aquellas maneras usuales de decir no alteran en nada el idioma castellano, ni difieren (sino es en los pueblos del Somontano (76)) de la sintaxis común, ni marcan ninguna genialidad aragonesa, ni son otra cosa que combinaciones de las sin número que permite un idioma, y que todos los días crea el gusto o la improvisación individual. Ni las construcciones poderse asumir a bolsa de caballero y llevar mujeres a ganancia, que usan nuestros fueros, tienen nada de repugnante con el idioma castellano; ni ofrecen originalidad de alguna monta las frases campar por sus respetos, no le hace por no importa, conducir por Ebro vez de vez de conducir por el Ebro, jugar a pelota (creo que en Navarra y País Vasco se usa también) por a la pelota, parar fuerte por mantenerse sano, vagar te puede por ancho te viene, hacer duelo por dar lástima, (sobre todo en la comida: me hace duelo dejármelo: me fa dol dixámeu; no te cale : no te cal : explicado más arriba) el Juan y la Isabel por Juan e Isabel (77), (el artículo delante del nombre propio se usa en toda España, pese a lo que diga la gramática; la Yoli, la Jeni, el Jonatan, etc) sin parar por al momento, tal cual por al punto y otras como estas; ni tampoco los decires familiares o proverbiales pan de mi alforja, hasta las pulgas toman tabaco, a sopas hechas, ir atrás como el soguero, peor que Geta, más malo que Piván, más feo que Tito, peor que Fierrabrás (Fier-à-bras) (Fierabrás), más célebre que Barceló por la mar (con alusión al famoso marino mallorquín del siglo pasado), sabe más que Briján (Bricán nigromante o hechicero, como Merlín, según Milá), tiene más que Zaporta (cuya esplendidez se conserva en Zaragoza en el palacio monumental de su nombre que después se llamó de la Infanta por haberlo habitado la esposa del infante D. Luis), con la faldeta remangada, priétate la frente, para cuestas arriba quiero mi mulo, como los perros en misa, el que a su enemigo plañe en sus manos muere, más vale sudar que estornudar, más caro que el salmón de Alagón, que se pasa el asado, serio como bragueta de ciego, viejo como las bragas de fr. Pedro, sabido como el chiste de Saputo (78), qué trenzadera o qué alpargata lleva (embriaguez o (borrachera), donde Cristo dio las tres voces (en paraje extraviado), irse por Val-de-Gurriana (desviarse del camino natural aunque sea en la conversación, en el juego etc.), costar un sentido, ya viene Martinico (para decir a los niños que les entra el sueño), más duro que el pie de Cristo, llamar a Cachano con dos tejas (querer un imposible, apelar a quien no puede socorrernos) y otros de ese carácter ; ni encontraríamos cosa alguna reparable sino en muy contadas locuciones que en cierto modo alteran el idioma y se presentan en él como verdaderos solecismos, según lo vemos en ir viaje o estar viaje por ir de viaje o estar de viaje, se lo dé V. por déselo V., es tu que no llueve usado por la gente vulgar en forma interrogativa en vez de ¿cuánto va que no llueve?, lo qué? por qué?, en puesto de y en igual de por en vez de (locus : lugar, puesto, lloch, lloc, loc, loch; en lloch de, en lloc de, en puesto de, en ves de), hasta de ahora por hasta ahora, con otras que pudieran añadirse y que nosotros omitimos rebuscar.

En lo que sí queremos detenernos algún tanto es en el gracioso diminutivo en ico, que consideramos más bien como un modismo que como una palabra, y que, si bien es manera de hablar muy castellana y aún no considerada como arcaísmo por el Diccionario de la lengua, pero es desusada y aun ridícula entre los castellanos, al paso que muy general en todas las clases sociales de Aragón y de Navarra (y Murcia).
Y decimos que muy general, porque hemos de confesar que un gran número de palabras de las que hemos citado como aragonesas, y por ventura las más interesantes, como cal, aturar, amprar y muchísimas otras, ya no se conservan sino entre las clases ínfimas del pueblo; que también
acá (acá se conserva más en Sudamérica, en España ven p'acá, p'aquí) ha cundido entre las personas cultas el desdén hacia nuestras bellezas provinciales; pero el diminutivo de que hablamos es universal, y ya no depende de la educación sino del nacimiento.

El idioma español, rico en los diminutivos cual ningún otro, y desde luego muchísimo más que el hebreo, el árabe, el griego y aun el latín y el italiano, como que reúne más de treinta diversas terminaciones (79), habiendo palabra que permite ella sola doce desinencias, claro es que no aplica todas esas variantes o aumentos de final a todas las palabras, antes se conforma con lo que cada una permite (80); mas en medio de ser esto cierto, las en ico, en illo y en ito son terminaciones generales que se aplican indistintamente a casi todos los nombres, habiendo entre ellas una verdadera sinonimia.


Pero el diminutivo en ico tiene dos ventajas incontestables, el uso preferente que de él hicieron los padres de la lengua, y su significación especial e intrínsecamente distinta de los de otras terminaciones. En los escritores de nuestros orígenes, sobre cuyos sencillos versos parece que vagaba, como una fresca brisa sobre las plantas silvestres, el ambiente de la naturalidad, era el diminutivo en ico el que dominaba en la expresión de los afectos o las apreciaciones, y por eso es tan general en la poesía popular y en la familiar de posteriores tiempos. ¡Qué bien dicho está en una farsa de Lucas Fernéndez

¡Oh, pastorcico serrano!

¿viste, hermano,

un caballero pasar?

y en un romance sobre el moro Calainos

Bien vengáis, el francesico

de Francia la natural?

¡Cuán propio es de la poesía de Castillejo, último trovador de los amores y la sátira, paladín de la poesía nacional contra los petrarquistas, contra los luteranos como él decía, cuán propios son de aquella poesía fácil y sentida aquellos versos, ya pertenecientes a una época muy adelantada, en que se pinta con gracia inimitable a un vizcaíno borracho metamorfoseado en mosquito
tuvo con esto a la par

una risica donosa,

las piernas se le mudaron

en unas zanquitas chicas,

los brazos en dos alicas,

dos cornecicos por cejas!

¡Qué bien sienta en Rodrigo de Cota o Juan de Mena, o quien quiera que escribiese la primitiva Celestina (que nosotros no hemos de desatar nuestras dudas como el editor de Barcelona que atribuyó a aquellos dos tan admirable obra); qué bien sienta aquella aglomeración graciosa de diminutivos «Nezuelo, loquito, angelico, perlica, simplecico, lobitos en tal gestico, llégate acá putico etc.»! ¡Qué encanto hay en aquellas deleitables fontecicas de filosofía, que nos dice Fernando de Rojas! (autor de la Celestina)
¡Qué espontaneidad tan amorosa en Fr. Luis de Granada el pollico que nace luego se pone debajo de las alas de la gallina... y lo mismo hace el corderico; en Mendoza las mañanicas del verano a refrescar y almorzar; en Santa Teresa al primer airecico de persecución se pierden estas florecicas; en Guevara lo demás que callandico me pedistes en la oreja etc.; en Ávila cuando aconseja conservar esta centellica del celestial fuego; en Lope para quien la constelación de S. Telmo era una estrellica como un diamante! (81) ¡Qué difíciles son de enmendar aquellas tajadicas subtiles de carne de membrillo con que se atendía a la voracidad plebeya de Sancho el Gobernador, aquellos zapaticos para sus hijos que echaba de menos su mujer, y, entre muchos pasajes de la GITANILLA DE MADRID, aquel «Preciosica, canta el romance que aquí va porque es muy bueno”! y ¡cuán superior es en la misma novela aquel cabo de romance (82) «Gitanica que de hermosa te pueden dar parabienes» sobre el que le sigue «Hermosita, hermosita, la de las manos de plata!» ¡Qué tono de familiaridad en aquella carta de Caballero de la Tenaza «Ahora es, y aun no acabo de santiguarme de la nota del billetico de esta mañana!" (83) Y viniendo todavía más a nuestros tiempos, cuando la lengua y la poesía tocaban el último grado de la perfección, el principio ya de su inminente decadencia, léanse nuestros grandes poetas dramáticos y líricos, y veremos que, cuando el asunto les consiente cierta familiaridad, prefieren el ico para denotarla más fielmente, como en los versos de Calderón

La ropilla ancha de espaldas,

derribadica de hombros,

y redondica de falda;

como en Moreto, en quien todavía resulta más terminantemente nuestro aserto cuando entre sus personajes de TRAMPA ADELANTE pone a Jusepico y Manuelico pajes,

a la manera de Quevedo que llama Pablicos al héroe de su novela el Buscón (84).

Tan admitido era entre los más serios escritores aquel diminutivo, que en el testamento (verdadero o falso) del Brocense, el cual inserta e impugna con su exquisito natural buen juicio el Sr. marqués de Morante en la excelente vida de aquel humanista publicada como apéndice al tomo V de su Catálogo, hay una cláusula que dice «Item, Mando a Antonita mi nieta el mi lignum crucis con su cristalico у las seis esmeraldas de que está cercado»; y, lo que es más reparable, Covarrubias, cuyo lenguaje didáctico parece que había de excluir todo diminutivo, dice al explicar (bien ridículamente por cierto) la etimología del gavilán «cuasi cavilan por la astucia y sutileza con que hace presa en las avecicas,» cuya frase le copia y prohija la Academia en la primera y más completa impresión de su Diccionario (85).

Y para que se vea con otro género de prueba la importancia que tuvo ese diminutivo, obsérvese que hay palabras de que no ha quedado, según la Academia, sino el diminutivo en ico, por ejemplo bolsico, calecico, doselico, farandulica, sonetico, fuellecico y zamarrico, a las cuales pueden añadirse las locuciones y refranes veranico de S. Martín, mañanicas de abril buenas son de dormir, Romero ahíto saca zatico etc.: hay algunas que no admiten otro que él, como Perico, borrico, gemidicos y lloramicos; (ploramiques, els pluramicas catalanistas) otras que han venido a determinar una nueva significación perdiendo absolutamente la diminutiva, como acerico, pellico, velico, villancico, farolico, (en sentido de yerba), frailecico (en el doble de ave y pieza del torno de la seda), besicos de monja (en el de planta), (teticas o tetillas de monja, el dulce o pasta, o algo delicioso; mamelleta de monja) palmadica (en el de baile), y tal vez espacico sinónimo de aciago en los antiguos escritores. (despacico conmigo, que tiro de chirla y te echo las tripas en un canasto. José Mota, de un lugar de La Mancha)

La segunda ventaja que abona el uso del diminutivo en ico es su particular significación, (decimos ahora significado) pues aunque parecen sinónimos los en ico, illo e ito, que la Academia agrupa concediendo la elección al buen gusto del escritor, es lo cierto que el diminutivo aragonés (permítasenos esta frase) tiene dos diferencias con aquellos otros, una que podemos llaman gramatical y otra moral, una que se resuelve como todas las cuestiones de sinónimos, otra que tiene relación con el carácter del país en que principalmente se conserva generalizado aquel diminutivo. La diferencia gramatical, a la verdad no muy marcada desde que la supresión del diminutivo en ico ha refundido en los otros su verdadero significado, consiste en que la terminación en illo tiende visiblemente al desprecio, al achicamiento voluntario de un objeto, por ejemplo, chiquillo, capitancillo; la en ito tiene algunas veces carácter depresivo y no pocas denota cierta repugnante hipocresía, como se observa por ejemplo en las frases ¡ tiene una risita! ¡la mosquita muerta!; la en ico demuestra cariño o predilección, siendo a lo menos un aditamento inofensivo, como nos lo declara prácticamente el ejemplo que llevamos citado de la CELESTINA, en el cual se ve que prepondera aquella expresiva terminación para la alabanza, angelico, perlica, simplecica, gestico, y se reservan otras para lo que puede indicar detracción, como nezuelo, loquito y lobitos. En cuanto a la diferencia moral, estriba en que el diminutivo en ico representa el lenguaje de la familiaridad, de la conversación, de la intimidad, y por decirlo así, de la buena fé, fuera del cual apunta en cierta manera el estudio, el disimulo, la desconfianza, la reserva, la falta de espontaneidad.

Hemos expuesto, sucintamente algunas veces, y otras con mayor difusión, los caracteres esenciales del idioma aragonés, mal apreciado en general, tan poco estudiado aún por los mismos aragoneses, pero tan digno de un examen todavía más lato que el que le hemos consagrado. Las fuentes de donde procede, que son las más puras; la respetuosa conservación de voces latinas, y sobre todo de españolas antiguas; la asimilación que se ha procurado parca y atinadamente con las arábigas y lemosinas; la suma de sus palabras técnicas, compuestas, derivadas y aun onomatópicas, en todo conformes con el carácter de la lengua española; la expresión genial, candorosa y fácil que distingue a muchos de sus vocablos y a no pocos de sus modismos; todo contribuye a darle un conjunto inexplicable de belleza que, si no se ha beneficiado todo lo posible, consiste en que la sumisión aragonesa y la tiranía castellana puede decirse que han concurrido a eliminar de la literatura los elementos más útiles del idioma aragonés, que viene a ser una variante cuando no un complemento del impropiamente llamado castellano.

De las ventajas que a este mismo lleva, algo es lo que ya tenemos indicado, pero todavía podemos añadir tal cual observación que se compadece muy bien con nuestro objeto. Hay palabras, como ababol, que, no desmereciendo en suavidad de sus respectivas castellanas, obedecen más a su etimología: hay otras, como abortín, que conforman mejor con el genio de la lengua, si bien ya sabemos que por uno de los muchos secretos de la española los diminutivos tienen a veces desinencia aumentativa (a la hebrea y griega) como sucede en anadón y liebratón, verdadera antítesis de otros, como tordella que es aumentativo: hay otras, como remoldar, que son más concretas, pues en ese mismo ejemplo vemos que Castilla hace sinónimos a remoldar y podar, mientras en Aragón lo uno se refiere a los árboles y lo otro a las vides (esporgá, expurgar, pera los abres; podá la viña, desullá, etc.): hay otras, como cortada y huevatera, muy superiores a sus análogas corte y huevera, que en castellano son ambiguas y confusas por sus diversas significaciones: otras que tienen más conformidad con la lengua madre, como uva, que responde en Cicerón y en Fedro, como entre los aragoneses, a la idea castellana de racimo, que en Columela todavía expresa el que forman de sus propios cuerpos las abejas, y que en Virgilio tiene la más general significación de cepa o vid, fert uva racemos: hay otras sutilísimas, como respetudo y gobernudo, que denotan, no ya la idea despectiva propia de esa terminación, sino una especie de falsa importancia, pues respetudo quiere decir el que inspira cierto infundado respeto, no por lo que es en sí, sino por su edad, su figura y su entonación oraculosa; y gobernudo, no el que es realmente metódico y ordenado, sino el que bulle mucho y parece estar en todo, aunque positivamente no tenga tanto gobierno como agilidad y movimiento: hay otras dotadas de gran propiedad y de muy buenas condiciones eufónicas, como agüera, alud, asnada, brisa, caloyo, eraje, jugadero, mejana, lloradera, redolino, ternasco (86) y vulturino: hay otras de excelente composición, como aguacibera, aguallevado, ajo-arriero, ajolio (ally oli, allioli; allium oleum), alicortado, botinflado, cabecequia, malbusca, matacabra y matacán, que no puede rehusar ningún gramático: hay otras perfectamente significativas y en igual grado concisas y aun irreemplazables, como los verbos alfarrazar, amprar, antecojer, atreudar, bolsear, ceprenar, chemecar, entrecavar, favear, malvar y otras que son de composición castellana con cierta libertad francesa.

A todas las cuales, que de suyo no tienen equivalencia en castellano, hay que añadir, porque tampoco no la tienen exacta, las palabras alfarda, almenara, amelgar, amosta, antípoca, antor, apercazar, apuradamente, atrazo, axobar, bimardo, borroso, boto, brazal, cabecero, capacear, capleta, *cenero, cerpa, convenido, correntía, crujida, cudujón, chorrada, emberar, empeltre, encabezado, fádiga, hablada, lorza, mantornar, mañanada, marraga, masobero, modoso, oleaza, panicero, picotear, racimo, rafe, ruello, saso, tardada, taste, teruelo, terrón, tinglado, vellutero, venora, zaborra y zancochar, todas o casi todas las cuales, y otras que aquí no citamos ni definimos para prueba, como quiera que lo están en nuestro Diccionario, debieran adoptarse como propias en el idioma español, e igualmente las que se citan en la ENCICLOPEDIA ESPAÑOLA (87), artículo de España lingüística, en cuya obra, que no debe parecer sospechosa de provincialismo, se defiende resueltamente al idioma aragonés y se inculpa gravemente a los castellanos por el exclusivismo con que proceden en materias de lenguaje, prefiriendo en muchos casos ostentar su pobreza más bien que adoptar de los dialectos españoles aquello en que estos les superan.

Hemos terminado con eso la tarea que nos habíamos impuesto, a la cual vamos a dar cima con una sola observación. Puesto que se ha perdido literariamente, aun en las márgenes del Ebro, el habla aragonesa; puesto que lejos de perfeccionarse ni aun conservarse estos dialectos, amenazan confundirse poco a poco en el idioma general; bueno fuera que la lengua conquistadora utilizara en beneficio común esos restos lingüísticos que de otro modo han de perderse, y entonces, ya que el vocabulario aragonés ni se conservara sino en libros como este u otros de mejor desempeño, ni sirviera sino como una curiosidad filológica; contribuiría por lo menos a enriquecer el acerbo común de la sin par lengua española, y, a cambio de tantas glorias abdicadas en favor de la unidad ibérica, conservaría el Aragón la de haber mejorado con su hermoso dialecto el habla rica de Cervantes.