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viernes, 29 de septiembre de 2023

Monuments de la langue romane, depuis l' an 842 jusqu' à l' époque des troubadours.

Monuments de la langue romane, depuis l' an 842 jusqu' à l' époque des troubadours.


Le discours préliminaire a indiqué l' ordre dans lequel les pièces suivantes seront imprimées.
Les renseignements historiques et philologiques, les réflexions grammaticales et littéraires que j' ai eu occasion de présenter sur la plupart de' ces pièces, me dispensent de donner encore des détails et des explications.
Je placerai quelques notes, quand la difficulté du texte l' exigera, et sur-tout lorsqu' elles serviront à indiquer l' étymologie de certains mots.

Serments de 842.
Texte du manuscrit.

Serment de Louis le Germanique.
(N. E hay rayitas encima de algunas letras, como la seduna p de pxpian que no puedo transcribir. La i no tiene punto. P dreit, la p tiene una cruz en el palo, equivale a per; faluar : saluar, las f y s eran muy parecidas.)

PRO dō amur & pxpian poblo et nrō cōmun saluament. dist di en auant. inquantd's sauir & podir medunat. sisaluaraieo. cist meon fradre Karlo. & in ad iudha. & in cad huna cosa. sic

Pour de Dieu l' amour et pour du chrétien peuple et le notre commun salut, de ce jour en avant, en quant que Dieu savoir et pouvoir me donne, assurément sauverai moi ce mon frère Charles, et en aide, et en chacune chose, ainsi comme homme par droit son frère sauver doit, en cela que lui a moi pareillement fera: et avec Lothaire nul traité ne onques prendrai qui, à mon vouloir, à ce mien frère Charles en dommage soit.

ū om p dreit son fradra faluar dist. Ino quid il mialtre si faz&. Et abludher nul plaid nūquā prindrai qui meon uol cist. meonfradre Karle in damno sit.

Serments de 842.
Texte mis en ordre.
Serment de Louis le Germanique.

Pro Deo amur et pro xristian poblo et nostro commun salvament, d' ist di en avant, in quant deus savir et podir me dunat, si salvarai eo cist meon fradre Karlo, et in ajudha et in cadhuna cosa, si cum om per dreit son fradra salvar dist; in o quid il mi altresi fazet: et ab Ludher nul plaid nunquam prindrai qui, meon vol, cist meon fradre Karle in damno sit.

Traduction du serment de Louis le Germanique.

Pour de Dieu l' amour et pour du chrétien peuple et le notre commun salut, de ce jour en avant, en quant que Dieu savoir et pouvoir me donne, assurément sauverai moi ce mon frère Charles, et en aide, et en chacune chose, ainsi comme homme par droit son frère sauver doit, en cela que lui a moi pareillement fera: et avec Lothaire nul traité ne onques prendrai qui, à mon vouloir, à ce mien frère Charles en dommage soit.



Serment du peuple Français.

Silodhu uigs sagrament. que son fradre Karlo iurat conservat. Et Karlus meos sendra desuo part ñ lostanit. si ioreturnar non lint pois. neio neneuls cui eo returnar int pois. in nulla aiudha contra lodhu uuig nunli iuer.

Si Louis le serment, qu' à son frère Charles il jure, conserve; et Charles, mon seigneur, de sa part ne le maintient; si je détourner ne l' en puis, ni moi, ni nul que je détourner en puis, en nulle aide contre Louis ne lui irai.
Serment du peuple Français.

Si Loduuigs sagrament, que son fradre Karlo jurat, conservat; et Karlus, meos sendra, de suo part non lo stanit; si io returnar non l' int pois, ne io, ne neuls cui eo returnar int pois, in nulla ajudha contra Lodhuwig nun li iver.


Traduction du Serment du peuple Français.

Si Louis le serment, qu' à son frère Charles il jure, conserve; et Charles, mon seigneur, de sa part ne le maintient; si je détourner ne l' en puis, ni moi, ni nul que je détourner en puis, en nulle aide contre Louis ne lui irai.

Poëme sur Boece.

Monuments de la langue romane.

Monuments de la langue romane.


Après avoir présenté ces notions sur les troubadours et sur les cours d' amour, je terminerai ce discours préliminaire par l' indication des monuments de la langue romane, soit en prose, soit en vers, qui ont précédé (1) les ouvrages qui nous restent de ces poëtes.

(1) Quelque desir que j' aie de m' autoriser de monuments qui servissent à prouver l' existence ancienne de la langue romane, je croirais manquer aux devoirs de l' impartialité et aux règles de la critique, si je ne rejetais les pièces qui ne me paraissent pas assez authentiques. Ainsi parmi ces monuments je ne comprendrai pas cette épitaphe du comte Bernard:
Aissi jai lo comte Bernad
Fisel credeire al sang sacrat,
Que sempre prud hom es estat:
Preguem la divina bountat
Qu' aquela fi que lo tuat
Posqua soy arma aber salvat. (*:
Ici gît le comte Bernard
Fidèle croyant au sang sacré,
Qui toujours preux homme a été:
Prions la divine bonté
Que cette fin qui le tua
Puisse son ame avoir sauvé.)

On faisait remonter la date de cette épitaphe à l' an 844, époque où le comte Bernard fut tué par l' ordre de Louis-le-Débonnaire.
Borel (a) l' avait publiée avec le fragment d' une chronique attribuée à Odon Aribert. L' académie de Barcelonne (b) avait reproduit ces vers comme un monument de 844, et dom Rivet (c) les avait cités à son tour. Mais l' antiquité de cette épitaphe a été justement suspectée par les savants auteurs de l' histoire générale de Languedoc, par Lafaille dans ses annales de Toulouse, par Baluze lui-même, qui avait voulu d' abord se servir du fragment de la chronique, et enfin par l' abbé Andrès (d) et par l' abbé Simon Assemani (e).
(a) Antiquités de Castres, p. 12, Dictionnaire des termes du vieux français.
(b) Real Academia de Barcelona, t. I, 2e partie, p. 575.
(c) Hist. Litt. de la France, t. 7, avert., p. LXVIII.
(d) Dell' origine, de' progressi e dello stato d' ogni litteratura, t. I, p. 267.
(e) Se gli Arabi ebbero alcuna influenza sull' origine della poesia moderna in Europa.
Aux raisons données par ces divers critiques, j' ajouterai
1° que ce fragment de chronique n' est connu que par la publication faite par Borel;
2° que celui-ci n' a pas tenu l' engagement qu' il avait pris de publier le texte entier du manuscrit;
3° qu' on ignore aujourd'hui si le manuscrit existe encore;
4° que le prétendu auteur de la chronique, Odon Aribert, n' a été cité ni connu par aucun écrivain;
5° enfin que le style même m’ a paru n' être pas antérieur au douzième siècle.


Serments de 842.

J' ai parlé précédemment (1: Voyez t. I, p. xxij.) de ce précieux et antique monument de la langue romane, je me borne ici à une seule observation: il n' existe qu' un seul manuscrit de l' ouvrage de Nithard, qui a conservé ces serments en langue originale. C' est sur ce manuscrit qu' a été copié le texte que je publie en conservant la place exacte des lettres et des mots. Comme il a été précédemment gravé deux fac-simile (1: Par MM. de Roquefort et de Moursin) de ce texte, je n' ai pas cru nécessaire d' en publier un troisième.

Poëme sur Boece.

Après le serment de 842, le poëme sur Boece est, sans contredit, le plus ancien des monuments de la langue romane qui sont parvenus jusqu' à nous.
Il paraît que ce poëme était d' une longueur considérable; avant de décrire le manuscrit unique qui en a conservé un fragment de deux cent cinquante sept vers, je crois convenable de parler de l' abbaye de Fleury ou Saint-Benoît-sur-Loire, et de sa fameuse bibliothèque, dans laquelle ce manuscrit était encore déposé, lors de la suppression des
monastères.
Il a été fait mention pour la première fois de ce manuscrit précieux dans l' une des dissertations sur l' histoire ecclésiastique et civile de Paris, par l' abbé Lebœuf, où se trouvent deux passages de ce poëme; ils y sont intitulés: “Fragment de poésie, en langage vulgaire usité, il y a environ sept cents ans, dans les parties méridionales de la France, tiré d' un manuscrit de la bibliothèque de Saint-Benoît-sur-Loire, qui paraît être du XIe siècle.”
Il dit plus bas: “Ce que j' ai vu en 1727 dans un des volumes de la fameuse bibliothèque de l' abbaye de Fleury ou Saint-Benoît-sur-Loire.” (1: Tome II, p. 409.)
Cette abbaye fondée dans le VIe siècle, sous le règne de Clovis II, devint une des principales abbayes de la France; elle possédait le corps de saint Benoît, qui y avait été transféré du mont Cassin (2: Joan. a Bosco, Floriac. vet. Bibliot., p. 409.) en 660; et il existe des monuments historiques qui attestent qu' elle jouissait de très grands revenus.
Dans le Xe siècle, lorsque Odon, abbé de Cluni, eut réformé les moines de cette abbaye, elle devint célèbre par son école et par sa bibliothèque.
Léon VII, qui avait appelé Odon à Rome, établit le monastère de Fleury chef de l' ordre de Saint-Benoît, l' exempta de la juridiction épiscopale, et déclara l' abbé chef de tous les abbés de France.
Abbon, né à Orléans, fit ses études dans l' école de Fleury; il en fut abbé, sous le règne de Hugues Capet, jusqu' en 1004.
Il contribua beaucoup à maintenir et à propager les bonnes études.
Gauzlin, fils naturel de Hugues Capet, fut confié par son père à Abbon: ce jeune prince, élevé dans le monastère de Fleury, acquit beaucoup d' instruction, devint abbé en 1005, après la mort d' Abbon, et ensuite archevêque de Bourges, en 1013.
A cette époque on comptait cinq mille étudiants, soit religieux, soit externes, dans l' école de Fleury.
Tous les ans chaque écolier était tenu de donner deux manuscrits pour honoraires ou rétribution; ce qui rendit bientôt la bibliothèque de Fleury l' une des plus riches de la France.
Elle était pourvue non-seulement des livres que l' état religieux exigeait, mais encore des auteurs classiques; on y trouvait le traité de la République par Cicéron, traité qui a été ensuite perdu pour les lettres. (1: Hist Litt. de la France, t. V, p. 36.)
Veran qui fut abbé de Fleury, depuis 1080 jusqu' en 1095, prit soin d' entretenir les richesses de la bibliothèque. (2: Hist. Litt. de la France, t. VII, p. 102.)
Peu de temps après, et sous le règne de Louis-le-Jeune, Machaire, alors abbé, voyant que les livres dépérissaient, imposa une taxe dont le produit fut destiné à acheter du parchemin pour recopier les vieux manuscrits, et à se procurer des manuscrits nouveaux.
Voici l' ordonnance capitulaire:
“Moi abbé, voyant que les manuscrits de notre bibliothèque dépérissent par l' effet de la vétusté, par les attaques du ciron et de la teigne, voulant y remédier, et acheter soit de nouveaux manuscrits, soit des parchemins pour recopier les anciens, j' ai, dans mon chapitre, avec le consentement, et même à la prière de tout le monastère, établi et ordonné que moi et les prieurs qui relèvent de ce monastère, payerons une contribution annuelle, au jour de la Saint-Benoît d' hyver, pour ce projet si nécessaire, si utile, si louable.” (1: Joan. a Bosco, Flor. vet. Bibliot., p. 302.)
Que de richesses littéraires et dans tous les genres étaient conservées dans l' abbaye de Fleury! Malheureusement Odet de Coligni, cardinal de Châtillon, qui en fut abbé dans le XVIe siècle, ayant embrassé la réforme, les gens de son parti enlevèrent en 1561 et 1562 une grande partie des manuscrits.
Un religieux bénédictin de la congrégation de Saint-Maur dit à ce sujet: (2: Notice des manuscrits de la bibliothèque de l' église de Rouen, par l' abbé Saas, revue et corrigée par un religieux bénédictin (*), etc. Rouen, 1747, p. 12. (*) Dom Fr. René Prosper Tassin.)
“L' abbaye de Saint-Benoît-sur-Loire fut exposée au pillage comme les autres. Une moitié de la célèbre bibliothèque de Fleury tomba entre les mains de M. Petau, et l' autre moitié entre celles de M. Bongart. Ce dernier s' étant retiré à la cour de l' électeur Palatin, y laissa ses richesses littéraires, et donna par-là naissance à la fameuse bibliothèque d' Heidelberg. Les manuscrits de M. Petau furent achetés par Christine, reine de Suède. Tous ces livres se trouvent aujourd'hui dans la bibliothèque du Vatican; et la France est dépouillée de ce précieux trésor, amassé par les moines de Fleury.”
Instruit que le manuscrit qui contenait les fragments d' un poëme sur Boece se trouvait encore dans la bibliothèque de Fleury en 1740, je mis les soins les plus actifs et les plus constants à en faire la recherche.
J' espérais peu de réussir, ayant eu souvent occasion de me convaincre des dilapidations et des destructions qu' avaient occasionnées les déplacements des grandes bibliothèques, sur-tout de celles des monastères.
Au mois d' octobre 1813, je découvris que ce manuscrit avait passé dans la bibliothèque de la ville d' Orléans; bientôt je pus l' examiner, le copier à loisir. (1: Je saisis avec empressement l' occasion d' offrir à M. Septier, bibliothécaire d' Orléans, l' expression publique de ma reconnaissance pour tous les soins qu' il a bien voulu prendre à ce sujet, et pour la confiance dont il m' a donné des preuves réitérées.)
Aujourd'hui il m' a été confié de nouveau, et je l' ai sous les yeux en le décrivant.
Ce manuscrit, cinquième volume de la collection intitulée Diversa Opera de l' ancienne abbaye, forme un volume in-4° en parchemin de 275 pages.
Les premières pièces de ce manuscrit sont d' une écriture qui appartient au XIIIe siècle, et même à une époque postérieure; mais comme le volume est formé de plusieurs pièces différentes, copiées à diverses époques, on trouve à la page 224 quelques sermons dont l' écriture est peut-être plus ancienne encore que celle du Poëme sur Boece.
Au milieu de la page 269, verso de la page 268, commence le fragment du Poëme sur Boece, qui remplit les pages 269 à 275.
La suite du poëme manque, et le fragment se termine au commencement d' un vers par ces mots: DE PEC...
Les connaisseurs jugeront par le fac-simile d' une ligne de l' écriture des sermons, et de quelques lignes du poëme sur Boece, que la date ancienne, accordée par l' abbé Lebœuf et autres au manuscrit, est confirmée par les règles de la diplomatique.
On peut confronter ce fac-simile avec les Specimen publiés par le P. Mabillon dans son savant ouvrage De re diplomatica.
Une circonstance très-remarquable dans le manuscrit du poëme sur Boece, c' est que plusieurs mots sont marqués d' un accent; je regarde ce signe comme une preuve d' antiquité.
Mais l' examen du langage prouve encore mieux l' époque très ancienne de la composition du poëme. J' ai cru devoir faire imprimer en entier ce qui en reste.
L' abbé Lebœuf avait dit: “L' écriture m' a paru être du XIe siècle, mais la composition du poëme peut être encore de plus ancienne date.”
Les vers imprimés par l' abbé Lebœuf sont au nombre de vingt-deux, et ils offrent deux fragments: l' un appartient au commencement du poëme, l' autre appartient au milieu de ce qui reste du manuscrit.
Court de Gebelin, dans son discours préliminaire du Dictionnaire étymologique de la langue française, avait parlé du poëme sur Boece en ces termes: “IXe siècle. On conçoit qu' il doit rester bien peu de monuments français d' un temps aussi reculé, et où la langue française était si peu cultivée. Mais moins il en reste, plus ils doivent être recueillis précieusement. De ce nombre, outre le serment de Louis-le-Germanique, est une pièce en vers, qui se trouve à la fin d' un manuscrit de Saint-Benoît-sur-Loire, p. 269 à 275. Le style raboteux et informe dans lequel elle est écrite, prouve sa haute antiquité. Elle a pour objet Boece, et commence ainsi: Nos jove omne, etc.”
Il est certain que Court de Gebelin avait jugé cet ouvrage autrement que par les fragments publiés par l' abbé Lebœuf. Plusieurs raisons ne permettent pas d' en douter.
Les savants bénédictins, auteurs de l' Histoire littéraire de la France, ont eu plus d' une fois l' occasion de s' expliquer sur l' ancienneté de ce poëme. Dans l' avertissement du tome VII, qui traite du XIe siècle, ils disent page XLVIII: “Entre les autres poésies de même nature qui nous restent du même siècle, il faut mettre celles que M. L' abbé Lebœuf a déterrées dans un très ancien manuscrit de Saint-Benoît-sur-Loire, et dont il a publié des fragments.”
Et ensuite à la page CXII du même tome VII:
“Celui en vers tiré d' un manuscrit de Fleury, et publié par M. L' abbé Lebœuf, est entièrement différent de tous les autres dont nous avons connaissance; il est vrai qu' il nous paraît plus ancien que le siècle qui nous occupe... On y découvre un dialecte qui nous montre visiblement l' origine de la langue matrice, c' est-à-dire du latin.”
Enfin dans le même avertissement de ce tome VII, page XXX, on lit:
“M. L' abbé Lebœuf, cet auteur si judicieux, nous a donné de son côté des lambeaux d' autres monuments en vers qu' il a tirés d' un manuscrit de Saint-Benoît-sur-Loire qui a été fait au XIe siècle, mais il soupçonne avec raison que les pièces en roman qu' il contient sont plus anciennes.” “Effectivemant leur rudesse et leur grossièreté montrent qu' elles appartiennent au moins au Xe siècle.”
Les bénédictins auraient pu ajouter que ce poëme est seulement en rimes masculines.
Mais pour éviter à ce sujet une discussion qui ne tournerait pas au profit de la science, je me borne à le présenter comme de la fin de ce Xe siècle. (1: L' examen des vers du poëme sur Boece prouve assez évidemment qu' ils ne sont pas les premiers qu' on ait composés en langue romane. Dans une églogue latine que rapporte Paschase Ratbert, mort en 865, à la suite de la vie de saint Adhalard, abbé de Corbie, mort en 826, les poëtes romans sont invités, ainsi les poëtes latins, à célébrer les vertus d' Adhalard:
RUSTICA concelebret ROMANA latinaque lingua (: et latina lingua)
Saxo qui, pariter plangens, pro CARMINE dicat:
Vertite huc cuncti cecinit quam maximus ille,
Et tumulum facite, et tumulo super addite CARMEN.
Act. SS. Ord. S. Bened. sæc. IV, pars I, p. 340.)

La captivité de Boece est évidemment le sujet du poëme; les imitations que l' auteur a faites quelquefois de l' ouvrage De consolatione philosophiæ, ne sont tirées que des premières pages de ce traité, circonstance qui permet de conjecturer que le poëme sur Boece était un ouvrage très étendu; les avantages que nous offre le fragment qui nous est parvenu, doivent faire vivement regretter la perte du reste.
L' extrême soin que je mets non-seulement à communiquer en entier aux savants ce monument si précieux de la littérature romane, mais encore à le leur présenter dans ses formes identiques, soit en donnant un fac-simile de quelques lignes, pour juger de l' époque du manuscrit qui le contient, soit en faisant imprimer le texte dans le même ordre qu' il s' y trouve, méritera peut-être et obtiendra sans doute quelque indulgence pour mon travail. La manière dont les lettres et les mots sont disposés dans les pages intitulées Texte du manuscrit, permettra aux personnes versées dans cette partie, de lire ce texte de la manière qui leur offrira un sens plus propre et plus clair.

Actes et titres depuis l' an 960 et suivants.

Les fragments nombreux et importants de la langue romane que j' ai recueillis dans les actes latins des Xe et XIe siècles, et que j' ai rapprochés, prouveront que l' idiôme roman était depuis long-temps la langue populaire de la France méridionale. Ces fragments sont presque tous des formules romanes insérées dans les actes de foi et hommage, afin que les parties connussent et exprimassent dans leur propre idiôme les obligations qu' elles contractaient.
On ne peut considérer sans étonnement que la plupart de ces fragments disséminés dans les actes latins par divers officiers publics, en différents temps et en différents lieux, sont en général conformes aux règles de la grammaire romane.

Poésies des Vaudois.

Si l' on rejetait l' opinion de l' existence d' une langue romane primitive, c' est-à-dire d' un idiôme intermédiaire qui, par la décomposition de la langue des Romains, et l' établissement d' un nouveau système grammatical, a fourni le type commun d' après lequel se sont successivement modifiés les divers idiômes de l' Europe latine, il serait difficile d' expliquer comment, dans les vallées du Piémont, un peuple séparé des autres par ses opinions religieuses, par ses mœurs, et sur-tout par sa pauvreté, a parlé la langue romane à une époque très ancienne et s' en est servi pour conserver et transmettre la tradition de ses dogmes religieux; circonstance qui atteste la haute antiquité de cet idiôme dans le pays que ce peuple habitait.
Le poëme de La nobla leyczon porte la date de l' an 1100. (1)
La secte religieuse des Vaudois est donc beaucoup plus ancienne qu' on ne l' a cru généralement.
Bossuet a dit de leur doctrine: “Lorsqu' ils se sont séparés, ils n' avaient que très peu de dogmes contraires aux nôtres, ou peut-être point du tout.”
(1) Ben ha MIL E CENT ancz compli entierament
Que fo scripta l' ora car sen al derier temps. (a:
Bien a mille et cent ans accomplis entièrement
Que fut écrite l' heure que nous sommes au dernier temps.)

“Conrad, abbé d' Usperg, qui a vu de près les Vaudois, a écrit que le pape Lucius (1: Lucius fut pape de 1181 à 1185.) les mit au nombre des hérétiques, à cause de quelques dogmes ou observances superstitieuses.” (2: Bossuet, Histoire des variations, liv. XI.)
Claude de Seyssel, archevêque de Turin, a déclaré que leur vie et leurs moeurs ont toujours été irréprochables parmi les hommes, et qu' ils observaient de tout leur pouvoir les commandements de Dieu.
Et Bossuet, en condamnant la Doctrine des Vaudois, a parlé de leurs mœurs en ces termes: “On me demandera peut-être ce que je crois de la vie des Vaudois, que Renier a tant vantée; j' en croirai tout ce qu' on voudra, et plus, si l' on veut; car le démon ne se soucie pas par où il tienne les hommes... Il ne faut donc pas s' étonner de la régularité apparente de leurs mœurs, puisque c' était une partie de la séduction contre laquelle nous avons été prémunis par tant d' avertissements de l' évangile.”
Quant aux livres des Vaudois, voici ce qu' en dit Bossuet:
“Au surplus, nous pourrions parler de l' âge de ces livres vaudois et des altérations qu' on y pourrait avoir faites, si on nous avait indiqué quelque bibliothèque connue où on les pût voir. Jusqu' à ce qu' on ait donné au public cette instruction nécessaire, nous ne pouvons que nous étonner de ce qu' on nous produit comme authentiques des livres qui n' ont été vus que de Perrin seul, puisque ni Aubertin, ni La Roque ne les citent que sur sa foi, sans nous dire seulement qu' il les aient jamais maniés.”
Bossuet s' exprimait ainsi en 1688, année où il publia son Histoire des variations: cependant deux ouvrages imprimés avaient indiqué les bibliothèques où se trouvaient les livres des Vaudois (1) en original.
(1) Dès 1658, Samuel Morland, dans son History of the evangelical churches of the valleys of Piemont, London, fol., avait fait imprimer le catalogue des manuscrits dont il s' était servi pour cet ouvrage, manuscrits qu' il avait déposés à la bibliothèque de l' université de Cambridge en août 1658. (a: Morland, introd.)
En 1669, Jean Léger, transcrivant, dans son Histoire générale des églises évangéliques des vallées du Piémont, Leyde, 1669 in-fol., des vers du poëme de La nobla leyczon, dit:
“Extrait d' un traité intitulé La nobla leyczon, daté de l' an 1100, qui se trouve tout entier dans un livre de parchemin, écrit à la main, en vieille lettre gothique, dont se sont trouvés deux exemplaires, l' un desquels se conserve à Cambridge, et l' autre en la bibliothèque de Genève.” (b: Léger, Hist. génér., p. 26.)
Outre ce poëme et autres qui y sont joints, la bibliothèque de Genève avait alors en dépôt divers manuscrits vaudois, ainsi que le prouve l' attestation suivante de M. Gérard, alors bibliothécaire de Genève, insérée dans l' histoire de Léger. (c: Léger, Hist. génér., p. 23.)
“Je soussigné déclare avoir reçu des mains de M. Léger, ci-devant pasteur ès vallées, i° un livre de parchemin manuscrit in-8°, contenant plusieurs traités de la doctrine des anciens Vaudois, en leur propre langue; 2° une liasse de plusieurs autres manuscrits, etc. que je conserve en la bibliothèque de cette cité, pour y avoir recours au besoin; en foi de quoi, etc., à Genève, le 10 novembre 1662, signé Gérard, pasteur du collége et bibliothécaire.”


La lecture des poésies religieuses que je publie, donnera une idée suffisante de leurs dogmes.
Quant à l' idiôme dans lequel elles sont écrites, on se convaincra que le dialecte vaudois est identiquement la langue romane; les légères modifications (1) qu' on y remarque, quand on le compare à la langue des troubadours, reçoivent des explications qui deviennent de nouvelles preuves de l' identité.
(1) Je crois convenable d' offrir le tableau des principales modifications.
Changements de voyelles.
O pour U.
Vaudois. Roman. Vaudois. Roman.
seo seu greos greus
vio viu breo breu
caitio caitiu deorian deurian
O pour A.
volrio volria
Voyelles ajoutées a la fin du mot, A, I et O.
sencza senz illi ill
aquisti aquist aiuto aiut, etc.
Suppresion de consonnes finales.
bonta bontat ma mas
verita veritat ca car, etc.
(N. E. Como ocurre en la lengua italiana, toscana, etc.)

Changement ou suppression de consonnes finales,
changement de voyelles finales dans les verbes.
Je place dans un seul tableau les modifications relatives aux verbes:
Infinitif. Vaudois. Roman.
Part. Passé. forma, salva format, salvat
compli complit
offendu, agu offendut, agut
Indicatif.
Présent.
3.e pers. Sing. po pot
1re pers. Plur. aman, sen, aven, deven amam, sem, avem, devem
2.e anna, vene annatz, venetz
3.e pon podon
Prétérit simple.
3.e pers. Sing. peche, manje pechet, manjet
Futur.
3.e pers. Sing. sere, penre, venre sera, penra, venra
1re pers. Plur. tenren, iren tenrem, irem
2.e sere, aure seretz, auretz
3.e seren, murren serem, murrem
Conditionnel.
1re pers. Plur. aurian, segrian auriam, segriam
Subjonctif.
Présent.
1re pers. Plur. faczan poisam, faczam, etc.

Il me reste à parler des manuscrits des ouvrages en dialecte vaudois.
Samuel Morland (1: Samuel Morland avait été l' envoyé de Cromwel (Cromwell) auprès du duc de Savoie.) avait déposé en 1658 à la bibliothèque de l' université de Cambridge plusieurs manuscrits dont le catalogue est au commencement de son histoire.
Ces manuscrits intéressants ne s' y trouvent plus depuis plusieurs années.
La bibliothèque de Genève possède trois manuscrits vaudois. Celui qui est coté n° 207 contient les poésies religieuses et morales; il m' a fourni les pièces qui sont imprimées de la page 73 à la page 133. (1: J' ai dû au zèle, à la sagacité et à la bienveillance de M. Favre- Bertrand de Genève une copie exacte des pièces que je publie, et quelques renseignements très détaillés et très utiles. Il me tardait d' offrir à ce littérateur distingué l' hommage public de ma juste reconnaissance.)

La nobla leyczon.

Ce poëme, qui est une histoire abrégée de l' ancien et du nouveau Testament, m' a paru assez important pour être inséré en entier. J' ai conféré le texte du manuscrit de Genève avec celui du manuscrit de Cambridge, publié par Samuel Morland. (2: Je suis porté à croire que le manuscrit de Cambridge avait été fait sur un exemplaire plus ancien que celui qui a servi pour la copie du manuscrit de Genève; dans le manuscrit de Cambridge on lit AU, avec, venant d' AB roman, et dans celui de Genève on lit CUM au lieu d' AU.)
La date de l' an 1100 qu' on lit dans ce poëme mérite toute confiance. Les personnes qui l' examineront avec attention jugeront que le manuscrit n' a pas été interpolé; les successeurs des anciens Vaudois, ni les dissidents de l' église romaine qui auraient voulu s' autoriser des opinions contenues dans ce poëme, n' auraient eu aucun intérêt à faire des changements; et s' ils avaient osé en faire, ces changements auraient bien moins porté sur la date du poëme que sur le fond des matières qu' il traite, pour les accommoder à leurs propres systêmes dogmatiques. Enfin le style même de l' ouvrage, la forme des vers, la concordance des deux manuscrits, le genre des variantes qu' ils présentent, tout se réunit en faveur de l' authenticité de ces poésies; M. Sennebier jugeait que le manuscrit de Genève est du XIIe siècle.

La barca.

C' est un poëme sur le Miserere et sur la brièveté de la vie; il contient trois cent trente-six vers; j' en rapporte quelques-uns.

Lo novel sermon.

Il contient quatre cent huit vers. Ceux que je publie donnent une idée du genre de ce poëme, qui est en grands vers. J' en cite des fragments considérables.

Lo novel confort.

Ce poëme est en stances de quatre vers qui riment toujours ensemble.

Lo payre eternal.

Il est en grands vers et divisé en stances de trois vers qui riment toujours ensemble.

Lo despreczi del mont.

Le poëme du mépris du monde ne contient que cent quinze vers.
Il ne se trouvait pas dans les manuscrits de Cambridge.

L' avangeli de li quatre semencz.

Cette pièce est de trois cents vers divisés en stances de quatre vers qui riment ensemble; elle ne se trouvait pas dans les manuscrits de Cambridge.
J. Léger aurait pu appliquer à tous ces divers poëmes ce qu' il dit spécialement de La nobla leyczon dans son Histoire des églises vaudoises, pag. 30: “Et ces sages Barbes ont voulu mettre en main de leurs peuples ce divin trésor en cette forme de rime ou de poésie en leur langue, pour en rendre la lecture plus agréable, et à ce que la jeunesse le pût plus facilement imprimer en sa mémoire.”
Je n' ai pas cru nécessaire de rapporter des fragments en prose des ouvrages dogmatiques des Vaudois (1); le traité de l' Ante-Christ porte la date de 1126. (1: Perrin, histoire des Vaudois, dans les ouvrages de Samuel Morland, de Jean Léger, etc.
La bibliothèque de Grenoble possède un manuscrit de la traduction du Nouveau-Testament en dialecte vaudois; la parabole de l' Enfant Prodigue, tirée de ce manuscrit, a été publiée par M. Champellion Figeac, dans ses Recherches sur les différents patois de la France.)

Pièces et fragments divers.

L' Oraison, la prière à la Vierge, l' extrait du mystère des vierges sages et des vierges folles, ont été tirés d' un manuscrit de la bibliothèque du Roi, coté n° 1139, dans le catalogue des manuscrits latins. Il avait appartenu jadis à l' abbaye de Saint-Martial de Limoges.
L' écriture du cahier qui contient ces pièces a paru à tous les connaisseurs être du XIe siècle (1), et même de la première moitié de ce siècle.
Il commence au fol. 32 du manuscrit, et finit au fol. 83.
L' une de ces pièces mérite une attention particulière; c' est le mystère des vierges sages et des vierges folles, dans lequel les interlocuteurs parlent tantôt latin, tantôt roman.

(1) L' abbé Lebœuf, État des sciences en France depuis le Roi Robert jusqu' à Philippe-le-Bel, page 68, donne à des vers qu' il cite de ce manuscrit la date du règne de Henri Ier, qui monta sur le trône en 1031.

Fragment de la vie de Sainte Fides d' Agen.

Fauchet l' a inséré dans son ouvrage De l' origine de la langue et poésie Françaises, 1581, in-4°, en l' intitulant: “Deux couples tirées d' un livre escrit à la main, il n' y a guieres moins de cinq cens ans, lequel le dict sieur Pithou m' a presté, contenant la vie de saincte Fides d' Agen.” (1:
La perte de ce manuscrit est à regretter; on verra dans les deux couplets que j' ai arrangés grammaticalement, sans me permettre de changer une seule lettre, que les règles de la grammaire ont été connues de l' auteur, sur-tout celle qui distingue les sujets et les régimes.
La Bibliothèque historique de la France cite, sous le n° 4412, t. I, p. 286, cette remarque tirée des recueils de M. Falconet:
“Vie de sainte Fides d' Agen, en vers rimés en
langue provençale, semblable à la catalane, écrite en 1080.”
On trouve dans Catel, Histoire des Comtes de Toulouse, p. 104, un fragment considérable d' un poëme relatif à sainte Foy de Rouergue.
Je me borne à l' indiquer.)

Planch de Sant Esteve.

L' ancien rit gallican ordonnait que les vies des saints seraient récitées à la messe du jour consacré à leur fête. Quand Pepin et Charlemagne introduisirent la
liturgie romaine, il fut permis aux églises de France de conserver du rit gallican les usages qui ne contredisaient pas le rit romain.

Ce rit défendait de faire pendant la messe toute autre lecture que celle de l' écriture sainte; de sorte que ces vies ne furent plus lues que pendant l' office de la nuit.
Mais le récit du martyre de saint Etienne se trouvant dans les actes des apôtres, les églises de France continuèrent de le chanter à la messe; et pour le mettre à la portée du peuple, il fallut le traduire en idiôme vulgaire; on le distribua en couplets, qu' on chantait alternativement avec les passages latins qu' ils expriment; ce qui fit donner à ce genre le nom de Farsia, d' Epitre Farcie. (1: Voyez Ducange, au mot Farsia.)
On retrouve encore aujourd'hui plusieurs Plaints, Complaintes de saint Etienne en vieux langage. (2: Mémoires de l' académie des inscriptions et belles-lettres, t. 17, p. 716. - Lebœuf, Traité historique et
pratique sur le chant ecclésiastique. Almanach de Troyes pour l' année 1767.)
Les Planch de Sant Esteve que je publie, sont un monument ancien de la langue romane. On en jugera par le style. Des preuves matérielles confirment cette assertion. (3: Le texte du Planch de sant Esteve a été pris 1° sur un MS. du chapitre d' Aix en Provence; ce texte était joint à un vieux martyrologe recopié en 1318, et au sujet duquel on lisait dans le MS. même: Anno domini 1318, capitulum ecclesiæ Aquensis et... voluerunt et ordinaverunt quod martyrologium VETUS scriberetur et renovaretur de novo.”
2° Sur un des processionnaux manuscrits du chapitre d' Agen.
Les deux manuscrits presque entièrement conformes n' offraient aucune différence remarquable.
(N. E. Véase Viaje literario a las iglesias de España, tomo 6, apéndice 9,
Paraphrasis epistolae, quae in die S. Stephani Protomartyris
vernaculo sermone in nonnullis ecclesiis Cataloniae populo legebatur. (V. pág. 96.) - Ex cod. epist. MS. sec. XIII. in eccl. Ageren. n. 2563. (Ager),
Aquest es lo plant de Sent Esteve

AQUEST ES LO PLANT DE SENT ESTEVE.

Lectio actuum apostolorum.

Esta liço que legirem,

dels fayts dels apostols la traurem:

lo dit Sent Luch recomptarem:

de Sent Esteve parlarem.

In diebus illis.

En aycel temps que Deus fo nat,

e fo de mort resucitat,

e pux al cel sen fo puyat,

Sent Esteve fo lapidat.

Stephanus autem plenus gratiâ et fortitudine, faciebat prodigia et signa magna in populo.

Auyats, Seyors, per qual rayso

lo lapidaren li felo,

car viron que Deus en el fo,

e feu miracles per son do.

Surrexerunt autem quidam de synagoga, quae appellatur Libertinorum, et Cyrenensium, et Alexandrinorum, et eorum qui erant a Cicilia (sic) et Asia, disputantes cum Stephano.

En contra el coren e van

li felo libertinian,

e li cruel cecilian,

els altres dalexandria.

Et non poterant resistere sapientiae, et spiritui, qui loquebatur.

Lo sant de Deu e la vertut

los mençonges a coneguts,

los pus savis a renduts muts,

los pochs els grans a tots vençuts.

Audientes autem haec, dissecabuntur cordibus suis, et stridebant dentibus in eum.

Cant an ausida sa rayso,

conegron tots que vencuts son,

dira los inflan los polbon,

les dens cruxen com a leon.

Cum autem esset Stephanus plenus Spiritu Sancto, intendens in coelum vidit gloriam Dei, et Iesum stantem a dextris virtutis Dei, et ait.

Lo Sant conec sa volentat,

no vol son cors dome armat;

mas sus el cel a esgardat.

Auyats, Seyors, com a parlat.

Ecce video coelos apertos, et filium hominis stantem a dextris virtutis Dei.

Escoltatme, nous sia greu:

la sus lo cel ubert vey eu,

e conec be lo fyl de Deu

que crucifigaren li Judeu.

Exclamantes autem voce magna, continuerunt aures suas, et impetum fecerunt unanimiter in eum.

Per co que a dit son tots irats

los fals Jueus, e an cridat:

prengamlo, que prou a parlat,

e gitemlo de la ciutat.

Et eiicientes eum extra civitatem lapidabans.

No si pot mays lerguyl celar:

lo Sant prenen per turmentar,

fors la ciutat lo van gitar,

e pensenlo dapedregar.

Et testes deposuerunt vestimenta sua secus pedes adolescentis, qui vocabatur Saulus.

Depuys als peus dun bacalar

pausan los draps per miyls lancar:

Saul lapelonli primer,

Sent Paul cels qui vingron derer.

Et lapidabant Stephanum invocantem, et dicentem.

Cant lo Sant viu las pedras venir,

dolces li son, no volch fugir:

per son Seyor sofit martir,

e comencet axi a dir:

Domine Ihesu, accipe spiritum meum.

Seyer, ver Deus, qui fist lo mon,

e nos tragist dinfern pregon,

e puys nos dest lo teu sant nom,

rech mon sperit... a mon.

Positis autem genibus clamavit voce magna, dicens.

Apres son dit sadenoylet,

don a nos exemple donet;

car per sos enemichs preget,

e co que volc el acaptet.

Domine, ne statuas illis hoc peccatum.

O ver Deus, payre glorios,

quil fiyl donest a mort per nos,

est mal quem fan perdonal los,

no nayen pena ni dolor.

Et cum hoc dixisset, obdormivit in Domino.

Cant est sermo el ac fenit,

el martiri fo aconplit,

recapta co ques volch ab Deu,

e puyesen al regne seu.

En lo qual nos dey acoylir

Jhus. qui volch per nos morir:

quens acompay ab los seus Sanç

e tots los fidels xpians.

Seyors, e dones, tuyt preguem

Sent Esteve, e reclamem,

quel nos vuyle recaptar

les animes puyam salvar. Amen. )

Ils étaient chantés dans des églises du midi de la France entre lesquelles il n' avait existé des relations d' hiérarchie, soit ecclésiastique, soit civile, que dans des temps très reculés, ce qui permet de croire que l' usage de les chanter remontait à cette époque ancienne.

Fragments de la traduction en vers de la vie de Saint Amant.
Deux ouvrages de Marc-Antoine Dominicy, jurisconsulte, né à Cahors, ont conservé divers fragments de cette traduction. (1: “Disquisitio de prærogativâ allodiorum in provinciis Narbonensi et Aquitanicâ quæ jure scripto reguntur.” Paris, 1645, in-4°. “Ansberti familia rediviva, sive superior et inferior Stemmatis beati Arnulfi linea... vindicata.” Paris, 1748 (1648), in-4°.)
Dans son traité de Praerogativa allodiorum, publié en 1645, il cite l' ancienne vie de saint Amant, évêque de Rodez, écrite en langue romane, et en vers, depuis
plus de cinq cents ans. (2: “Vetus vita sancti Amantii Ruthenorum episcopi ante quincentos annos versibus rhythmicis linguâ romanâ conscripta.” Page 55.)
Et dans sa dissertation intitulée Ansberti familia rediviva (3), publiée en 1648, il dit: “Un ancien auteur qui, depuis
six cents ans, a traduit d' un vieux auteur latin, en langue romane rustique et en vers rimés, la vie de saint Amant, évêque de Rodez, atteste, etc.
(3) “Asserit vetus auctor qui B. Amantii Ruthenensis episcopi vitam versibus rhythmicis jam
a sexcentis annis ex veteri latino auctore in rusticam romanam linguam transtulisse metrico sermone testatur; sic enim se habet.”

Si l' on adoptait cette dernière assertion de Dominicy, il faudrait admettre que la traduction en
vers romans date de la première moitié du XIe siècle. Et cette assertion n' est pas contredite par la précédente, puisque, d' une part, la dissertation Ansberti familia, etc., étant postérieure, et énonçant non une époque vague de plus de cinq cents ans, mais une époque positive et déterminée de six cents, il est évident que cette dernière assertion était le résultat des opinions de l' auteur.
Il y a plus; d' après les expressions de Dominicy, on pourrait croire que c' est dans la traduction même qu' on trouve la preuve qu' elle datait alors de six cents ans: Auctor qui... a sexcentis annis ex
veteri latino auctore in rusticam romanam linguam transtulisse metrico sermone testatur.
Je ne ferai pas à ce sujet d' autres observations, parce que l' inspection du manuscrit d' où ces fragments ont été tirés, me serait nécessaire pour arrêter une détermination; car je suis persuadé qu' en général les vers de ces fragments ont été mal copiés. Il est permis de présumer que Dominicy, ne les citant que comme preuves de faits historiques, n' aura mis ni beaucoup de soin ni beaucoup d' importance à reproduire le texte avec une rigoureuse exactitude; on en sera presque convaincu, quand
on saura qu' il s' excuse d' employer un tel langage dans la haute discussion qui l' occupe. “Je ne rougirai pas, dit-il, de produire le langage usuel et antique de ces pays, quoique barbare, puisqu' il me fournit une si noble preuve.” (1: “Nec pudebit usualem et antiquam harum regionum sermonem, licet barbarum, proferre, dum tam nobile suppeditat argumentum.” De Prærog. Allod., P. 55.)

Grammaires Romanes.

Les fragments en vers tirés de la vie de cet illustre évêque de Rodez, sont le dernier des monuments de la langue romane que j' ai cru convenable de faire connaître (2: J' ai regretté de ne pouvoir insérer une pièce que je crois appartenir au commencement de l' époque des troubadours.
C' est la Cantinella de La Santa Maria Magdalena, qu' on chantait autrefois à Marseille, et qui commence ainsi:
Allegron si los peccador
Lauzan sancta Maria
Magdalena devotament.
Ella conoc lo sieu error,
Lo mal que fach avia,
Et ac del fuec d' enfer paor
Et mes si en la via;
Per que venguet a salvament.
Allegron si, etc.

Réjouissent soi les pécheurs
En louant sainte Marie
Magdeleine dévotement.
Elle connut la sienne erreur,
Le mal que fait avait,
Et eut du feu d' enfer peur
Et mit soi en la voie;
C' est pourquoi vint à salut.
Réjouissent soi, etc.
Ce cantique contenant vingt-trois couplets, toujours terminés par le refrain
allegron si etc., était chanté, toutes les années, au jour de la seconde fête de pâques, dans la chapelle de sainte Magdeleine, où le chapitre de la cathédrale se rendait en procession. L' illustre évêque de Marseille, M. de Belzunce, supprima l' usage de chanter ces vers.
Ils sont imprimés dans l' almanach historique de Marseille de 1773, mais il m' a paru que le style en a été un peu retouché; comme je n' ai pu me procurer le texte primitif, j' ai cru ne devoir pas insérer cette pièce qui, par son ancienneté, aurait mérité un rang parmi les monuments de la langue romane que j' ai rassemblés.)

et dont la réunion forme une sorte d' introduction à la littérature des troubadours; mais, avant d' expliquer les divers genres de leurs ouvrages, il est indispensable de donner une idée des grammaires et des dictionnaires qu' a possédés cette littérature, à une époque où aucun monument des autres langues de l' Europe latine n' avait encore mérité un rang dans l' estime publique.
Il existe deux
grammaires romanes anciennes. L' une est appelée Donatus Provincialis, Donat Provençal, dont on connaît trois manuscrits, l' un à la bibliothèque Laurenziana à Florence (1: A la fin du manuscrit de la Laurenziana, on lit: “Et hæc de rhythmis dicta sufficiant; non quod plures adhuc nequeant inveniri, sed ad vitandum lectoris fastidium, finem operi meo volo imponere; sciens procul dubio librum meum emulorum vocibus lacerandum quorum esse proprium reprehendere quis ignorat? Sed si quis invidorum in mei presentia hoc opus redarguere præsumpserit, de scientiâ meâ tantum confido, quod ipsum convincam coràm omnibus manifestè. Sciens quod nullus ante me tractatum ita perfectè super his vel ad unguem ita singula declaravit: cujus Ugo nominor qui librum composui precibus Jacobi de Mora et domini Coradi Chuchii de Sterleto, ad dandam doctrinam vulgaris provincialis et ad discernendum verum a falso in dicto vulgare.”
Et au commencement du manuscrit de la bibliothèque Ambroisienne D. n° 465, on lit: “Incipit liber quem composuit Hugo Faidit precibus Jacobi de
Mona et domini Conradi de Sterleto ad dandam doctrinam vulgaris provincialis, ad discernendum inter verum et falsum vulgare.”)

l' autre à la bibliothèque Riccardi dans la même ville, et le troisième à la bibliothèque Ambroisienne à Milan.
Cette grammaire avait été citée par Bastero dans son dictionnaire intitulé: La Crusca Provenzale.
(N. E. Es mucho más que un diccionario. La Crusca Provenzale - Antonio Bastero
Antonio Bastero, catalán. Cito sólo un lugar donde afirma que la
lengua catalana era la misma que el provenzal.
“E tanto più me se ne accese il desiderio, quanto che rifletteva, che noi
Catalani non abbiamo alcuna Gramatica, o Dizionario di questa Lingua, spiegata nel nostro Volgare; ma in questa materia, vaglia il vero, confesso, che siamo stati troppo trascurati, imperciocchè (quel che è peggio) nè pure abbiamo alcuna sorte di libri, o Autori, che per via di regole gramaticali, o altramenti ci 'nsegnino a ben parlare la nostra propia, e naturale, se non se ' l Donatus Provincialis, o chiunque sotto tal nome, e titolo, alludendo a quel Donato, ch' alla prim' arte degnò poner mano scrisse la breve, ed antica Gramatica Provenzale, o Catalana, ch' è tutt' uno, che manoscritta si conserva nella Libreria Medicea Laurenziana, e in Santa Maria del Fiore di Firenze, della quale fanno menzione, e si vagliono della sua autorità i primi Letterati d' Italia (2))

La bibliothèque Laurenziana possède aussi en manuscrit une traduction latine du Donatus Provincialis; et un autre manuscrit de cette traduction se trouve à Paris dans la bibliothèque du Roi, sous le n° 7700.
L' autre grammaire, composée par
Raymond Vidal, est l' exposé de quelques règles grammaticales; et l' auteur indique par des exemples des plus célèbres troubadours, comment elles ont été observées ou négligées. C' est sur-tout aux poëtes qu' il s' adresse:
“Attendu que moi
Raimond Vidal ai vu et connu que peu d' hommes savent et ont su la droite manière de trouver, je compose ce livre, pour faire connaître et savoir lesquels des troubadours ont mieux trouvé et mieux enseigné, et pour l' instruction de ceux qui voudront apprendre comment ils doivent suivre la droite manière de trouver. (1: “Per so quar ieu Raimonz Vidals ai vist et conegut qe pauc d' omes sabon ni an saubuda la dreicha maniera de trobar, voill eu far aqest libre, per far conoisser et saber quals dels trobadors an mielz trobat et mielz ensenhat, ad aqelz q' el volran aprenre, com devon segre la dreicha maniera de trobar.”)
L' un et l' autre ouvrage reconnaissent huit parties d' oraison; ils indiquent la règle qui distingue les sujets et les régimes soit au singulier, soit au pluriel. Dans le Donatus Provincialis sont quelques parties des conjugaisons et une nomenclature considérable de verbes indiqués comme appartenant à l' une de ces conjugaisons.
Mais il y a beaucoup à desirer; les auteurs ne parlent ni des prépositions, ni des degrés de comparaison, ni d' aucune règle de syntaxe, etc. etc.
Ce qui rend le Donatus Provincialis un monument très précieux et très utile, c' est qu' il y est joint un dictionnaire de rimes pour la poésie romane; non seulement il indique un très grand nombre de mots romans, mais encore il présente, dans la plupart des rimes, différentes inflexions des verbes, et toutes les terminaisons qui fournissent les rimes sont distinguées en brèves, Estreit, et en longues, Larg.
De telles circonstances, et plusieurs autres que je ne puis indiquer ici, ne laissent aucun doute sur l' état de perfection et de fixité auquel était parvenue la langue des troubadours, regardée alors comme classique dans l' Europe latine. Et pourrait-on en être surpris quand on voit, pendant les quatre siècles antérieurs, les monuments de cette langue se succéder, sans offrir de variations notables dans les formes grammaticales?

Manuscrits des pièces des troubadours.

J' ai précédemment indiqué (1: Tome I, page 440.) les divers manuscrits où se trouvent les poésies des troubadours qui sont parvenues jusqu' à nous. Je me suis procuré des Fac Simile qui représentent l' écriture de la plupart de ces manuscrits; je me borne à joindre ici la note des renvois aux planches gravées qui sont à la fin de ce volume.

Planche I.

Cette planche offre deux écritures. L' une est celle du manuscrit à la suite duquel a été copié le manuscrit du poëme sur Boece, et l' autre est l' écriture des vers de ce poëme. J' ai déja donné à l' égard de ce manuscrit des détails que je crois suffisants. (2: Ci-dessus, page CXXXI).

Planche II.

I. Manuscrit, grand format in-folio, de la bibliothèque du Roi, n° 2701, jadis de d' Urfé et ensuite de La Vallière; ce manuscrit précieux offre la musique de beaucoup de pièces, et dans la plupart de celles où l' air n' est pas noté, le vélin est réglé et disposé pour recevoir les notes. Il est de 143 feuillets; il contient 989 pièces; chaque pièce commence par une grande lettre ornée de dessins ou ornements coloriés. L' écriture est sur deux colonnes jusqu' au folio 108 inclusivement; depuis le folio 109, l' écriture est tour-à-tour sur trois, quatre, cinq, six, et même sept colonnes. Au verso du folio 135, col. 2, et au folio 136, on trouve une écriture plus moderne, ainsi que dans une partie de la colonne du folio 4. Dans les quatre premiers feuillets sont des notices biographiques sur vingt-sept troubadours. Ce manuscrit est l' un des plus complets; mais il y a beaucoup de fautes dans le texte.
II. Manuscrit de la bibliothèque du Roi, n° 7225, format in-folio; il est de 199 feuillets, et divisé en trois parties; dans la première sont 651 pièces amoureuses, de 86 troubadours; dans la seconde 52 tensons; la troisième partie contient 159 sirventes, de 46 troubadours. Dix-huit des sirventes de Bertrand de Born sont suivis chacun d' une explication en prose. La première pièce de chaque troubadour commence par une grande lettre dans laquelle il est représenté en miniature coloriée sur un fond d' or; et ses poésies sont précédées d' une notice biographique écrite en encre rouge. On lit que l' une de ces notices, celle de Bernard de Ventadour, a été composée par Hugues de Saint-Cyr, troubadour lui-même. (1: Cette notice biographique est ainsi terminée: “Et ieu 'N Ucs de saint Circ de lui so qu' ieu ai escrit si me contet lo vescoms N Ebles de Ventedorn que fo fils de la vescomtessa qu' En Bernartz amet.”
MS. R. 7225, fol. 26, v°.)
III. Manuscrit de la bibliothèque du Roi, n° 7226, format in-folio, de 396 feuillets, ayant deux tables, l' une où les pièces sont indiquées sous le nom de leurs auteurs, et l' autre où elles le sont par lettres alphabétiques; il contient des poésies de 155 troubadours, et plusieurs pièces sans nom d' auteur. Ce manuscrit dont les derniers feuillets manquent, est le meilleur de ceux qui sont parvenus jusqu' à nous. Malheureusement il a été lacéré en beaucoup d' endroits, pour prendre les miniatures dessinées en couleur sur un grand nombre des lettres initiales de la première pièce de chaque troubadour; le premier feuillet est presque entièrement coupé.
C' est le manuscrit dont l' orthographe a été ordinairement préférée.
IV. Manuscrit de la bibliothèque du Roi, n° 7698, de 232 pages, format grand in-4°. Il n' a point de table; jusqu' à la page 188 inclusivement, il contient 362 pièces de 50 troubadours. De la page 189 à la page 210 inclusivement, sont des notices biographiques sur 22 troubadours; de la page 211 jusqu' à la fin, il contient 33 tensons et 13 pièces sans nom d' auteur; il est terminé par deux pièces d' un troubadour connu.
Ce manuscrit, comme le précédent, a été mutilé pour en prendre des vignettes qui n' offraient que des ornements très-ordinaires, à en juger par celles qui restent.
V. MS. de la bibliothèque du Vatican, n° 3205. M. de Sainte-Palaye a jugé que ce MS. était une copie du MS. n° 3794 du Vatican; il contient de plus quelques traductions en italien.
On lit sur le premier feuillet de ce manuscrit FUL. URS., c' est-à-dire Fulvio Orsini, à qui il a sans doute appartenu.

Planche III.

I. Ce manuscrit coté n° 3794 est de format in-4°, de 268 feuillets.
Jusqu' au folio 206 inclusivement, il contient des pièces amoureuses, de 51 troubadours; du folio 207 au folio 247, sont 83 sirventes, suivis de 5 descorts et de 27 tensons qui terminent le manuscrit.
Ce manuscrit très bien conservé a peu de vignettes; on y voit quelques notes marginales en italien.
II. Manuscrit de la bibliothèque du Roi, ancien n° 3204, format in-folio, de 185 feuillets.
Ce manuscrit paraît être une copie du n° 7225 de la même bibliothèque; les vignettes sont plus grandes, et le dessin n' en est point pareil.
Il est moins complet que le n° 7225. Celui-ci contient, aux folios 149 v° et 150, une pièce du roi d' Aragon, avec la réponse de Pierre Salvaire, ainsi que des couplets du comte de Foix qui ne sont pas dans l' autre manuscrit; il en est de même d' une tenson licencieuse entre le seigneur Montan et une Dame; cette tenson se trouve au folio 163 du n° 7225.
L' écriture de ces pièces est identiquement la même que celle des autres poésies du manuscrit, circonstance qui doit le faire regarder comme l' original du manuscrit 3204; ce dernier est terminé par deux pièces sans nom d' auteur, qui ne sont pas dans le n° 7225; mais elles ont été ajoutées très postérieurement, et l' écriture en est moderne.
Ce manuscrit, ancien n° 3204, contient plusieurs notes marginales de Pétrarque et du Cardinal Bembo, comme l' atteste le passage suivant, en écriture moderne, qu' on lit au verso du feuillet en papier qui précède la table: “Poesie di cento venti poeti provenzali tocco nelle margini di mano del Petrarca et del Bembo.” Et à la suite de cette note est écrit de la même main FUL. URS., ce qui permet de présumer que la note est de Fulvio Orsino (Orsini), à qui ce manuscrit a sans doute appartenu.

III. Manuscrit de la bibliothèque du Roi, n° 1091 supplément, jadis de Caumont; format in-8°, de 280 feuillets.
Les 68 premiers feuillets contiennent une partie du roman de Merlin en français. Au verso du feuillet 68, commencent les pièces en langue romane.
Au feuillet 89, le texte est d' une écriture plus ancienne et plus belle jusqu' au feuillet 111, après lequel l' écriture est à-peu-près la même qu' au commencement du texte qui est difficile à lire et très-souvent fautif.
Ce manuscrit n' a point de table.

IV. Manuscrit de la bibliothèque du Roi, n° 7614, format in-4°, de 119 feuillets, très bien conservé, sans vignettes; on y trouve des notices biographiques, en tête des pièces de chaque troubadour: ces notices sont en encre rouge.
Il contient 187 pièces amoureuses, de 34 troubadours, et 18 sirventes. La table indique 21 tensons qui ne sont pas dans le manuscrit, et qui en ont sans doute été arrachées avant la reliure, qui est très moderne.

V. Ce manuscrit était autrefois dans la bibliothèque de M. Mac-Carty à Toulouse. Il est de format in-4°, composé de plusieurs cahiers réunis, et dont l' écriture n' est pas la même. On trouve quelquefois aux marges des figures coloriées qui ont rapport aux passages à côté desquels elles sont placées.
Le texte, quoique souvent fautif, fournit des variantes très utiles.
(1: Il a été acquis en 1816 par M. Richard Heber de Londres, lors de la vente de la bibliothèque Mac-Carty. M. Heber m' a permis de le garder pendant tout le temps nécessaire pour y prendre les variantes et les pièces qui pouvaient m' être utiles.)

VI. Manuscrit cod. 43, plut. XLI de la bibliothèque Laurenziana à Florence, de 142 feuillets, format petit in-4°, avec les initiales coloriées et les titres en rouge. Il est de l' ancien fonds de la bibliothèque Médicis.

Planche IV.

I. Manuscrit qui se trouve à Londres dans la bibliothèque de sir Francis Douce. (2: Je n' avais vu de ce manuscrit que deux copies modernes, lorsque j' ai appris que l' original était dans la bibliothèque de sir Francis Douce. Il a bien voulu me le faire passer en France, et je l' ai gardé pendant quelques mois.)
Il est de format in-8°. Ce manuscrit avait appartenu à Peiresc; il contient 126 feuillets.

II. Manuscrit du Vatican 3206. C' est le plus ancien manuscrit des troubadours qui se trouve à Rome. Il est en très petit format.

III. Manuscrit du Vatican 3207; il est de 134 feuillets, format in-4°.
Il contient des notices biographiques sur plusieurs troubadours, écrites en encre rouge.

IV. Manuscrit du Vatican n° 3208, de 96 pages, format in-folio. Une note placée au haut de la première page apprend qu' il a appartenu à Fulvio Orsino.
V. Manuscrit du Vatican n° 5232, format grand in-folio (1: On croit que le manuscrit de la Saïbante à Vérone, coté n° 410, est une copie de ce manuscrit, en tête duquel on lit le procès-verbal qui suit:
“Il libro de' poeti provenzali del sig
e Aldo era tanto celebrato da lui et dal sige cavalier Salviati, che il sige Aluise Mocenigo si mosse a volerlo vedere, et conferire col suo, che hora si trova in potere del sige Fulvio Orsino. Et si trovo molto inferiore al suo, et di diligenza et di copia di poesie; di poeti non mi ricordo, ma di poesie certo. Nella corretione non v' era comparazione, per quel poco di prova che se ne fece in alcuni versi, et nelle vite de' poeti scritte con rosso, le quali parevano abbreviate in alcuni luoghi. Il volume ben e piu grosso, per essere scritto di lettera tondotta piu tosto italiana che francese o provenzale. Et hæc acta sunt presente me notario specialiter rogato del sige Mocenigo, nel portico da basso d' esso sige Aldo, essendovi anco alcuni Bolognesi hospiti, venuti alla scensa.”). Les lettres initiales des pièces offrent des miniatures représentant des troubadours. Il contient des notices biographiques.

VI. Manuscrit n° 42, plut. XLI de la bibliothèque Laurenziana à Florence, de 92 feuillets, à deux colonnes, format in-4°, très bien conservé, avec les titres et les initiales en rouge. Il vient de l' ancien fonds de la bibliothèque de Médicis.

VII. Manuscrit n° 26 de la bibliothèque Laurenziana, format in-4°, de 90 feuillets, belle écriture et belle conservation. Il avait d' abord appartenu à Benedetto Varchi, et ensuite à Carolo Strozzi.


Après avoir indiqué les monuments qui nous restent de la littérature romane, et les divers manuscrits des poésies des troubadours que j' ai consultés, je regarde comme un devoir d' exprimer ma reconnaissance envers les personnes qui ont secondé mes recherches et mes travaux.

Je dois au zèle bienveillant de M. Le comte de Blacas, ambassadeur de France à Rome, une copie de toutes les pièces des manuscrits du Vatican dont j' ai eu besoin, les fac-simile de l' écriture de ces manuscrits, et plusieurs renseignements que m' a procurés une correspondance suivie, qu' il a bien voulu entretenir avec moi. Ce n' est pas seulement comme héritier d' un nom honorablement célèbre dans l' histoire des troubadours, que M. Le comte de Blacas m' a accordé le vif intérêt dont j' ai obtenu des témoignages réitérés; ses connaissances philologiques, son goût éclairé, eussent suffi pour exciter cet intérêt en faveur d' une collection qu' il regarde comme un monument de la littérature nationale. C' est avec une vraie satisfaction que je consigne l' hommage de ma reconnaissance dans l' ouvrage même qui devra à ses bons offices une partie du succès qu' il pourra obtenir.
M. Amati, bibliothécaire du Vatican, a mis autant d' activité que d' intelligence à faire la copie des poésies des troubadours qui m' était destinée, et à la conférer avec les divers manuscrits de la célèbre bibliothèque confiée à ses soins.
J' ai à remercier pareillement M. François del Furia, bibliothécaire de la Laurenziana à Florence.
Précédemment j' ai eu occasion de dire combien je suis redevable à M. Septier, bibliothécaire à Orléans, et à M. Favre-Bertrand de Genève.
M. Fauris de Saint-Vincent m' a fourni toutes les pièces et toutes les notices qu' il a trouvées dans le précieux cabinet qu' il possède à Aix.
MM. Dacier, Langlès, et Gail, conservateurs des manuscrits de la bibliothèque du Roi, ont mis la plus grande obligeance à me communiquer les manuscrits et les renseignements qui pouvaient m' être utiles; la bienveillance accoutumée avec laquelle ils accueillent tous les gens de lettres a été pour moi plus particulière; elle est devenue un nouveau gage de leur estime et de leur amitié.
M. Méon, employé aux manuscrits du moyen âge, m' a donné plusieurs preuves de son zèle pour notre ancienne littérature, et de l' intérêt qu' il prend au succès de cette collection.
J' ai regretté que la distance des lieux ne m' ait permis que de traiter par correspondance divers points avec M. de Rochegude, ancien contre-amiral, résidant à Albi. Il publiera bientôt un recueil intitulé:
Le Parnasse Occitanien.
De tous les étrangers avec lesquels j' ai parlé de la littérature romane, M. A. W. de Schlegel est celui qui m' a paru l' avoir étudiée avec le plus de succès. Il a entrepris un essai historique sur la formation de la langue française; je ne doute pas qu' on n' y trouve et beaucoup d' érudition et beaucoup d' esprit.
Je remercie M. Firmin Didot du zèle actif et persévérant qu' il met à diriger l' impression de cette collection; grammairien exercé, littérateur distingué, il a réussi bientôt à connaître la langue romane.
M.
Fauriel, qui prépare un ouvrage sur la littérature provençale, m' a communiqué quelques-unes de ses propres recherches; j' ai eu par-fois à examiner avec lui des difficultés, et j' ai été toujours rassuré, quand mes opinions ont été d' accord avec les siennes: je l' invite à terminer et à publier cet ouvrage dont j' ose prédire l' utilité et le succès.
Enfin je nomme, avec amitié et reconnaissance, M. Pellissier, qui, depuis cinq ans, étant occupé auprès de moi à travailler sur la langue romane et sur les poésies des troubadours, est facilement parvenu à entendre la langue, à juger les auteurs, à déchiffrer et à conférer les manuscrits: il sera désormais pour moi un zélé, un savant collaborateur.

sábado, 25 de noviembre de 2023

Chronique des Albigeois.

Chronique des Albigeois.

Ce poëme est à la fois un monument historique et un monument littéraire: il peut donc être l' objet d' un double examen.

Il n' entre pas dans mon plan de l' apprécier sous le premier rapport: je laisse ce soin aux éditeurs qui sentiront l' avantage de le publier pour compléter la collection des documents historiques relatifs aux guerres contre les Albigeois. (1) C'est seulement comme œuvre littéraire, comme monument de la langue des troubadours, que j' essaie de faire connaître cette importante composition.

Dans ce dessein, j' ai dû me borner à en extraire les fragments les plus remarquables sous le rapport de la langue et sous le rapport des formes littéraires. Quoique ces fragments contiennent le récit d' événements réels et bien connus, néanmoins, l' imperfection du manuscrit exigeant parfois que les formes littéraires fussent sacrifiées à la pureté du langage, j' ai pensé que je ne devais pas me dispenser de les lier entre eux par l' analyse succincte des faits intermédiaires. La traduction, presque littérale, qui accompagne le texte, facilitera au lecteur l' intelligence et l' appréciation des passages que j'ai choisis, et, en le mettant à même de former son jugement, remplacera les observations générales que je pourrais faire sur le mérite et l' importance de l' ouvrage.

(1) J' appelle de tous mes vœux cette publication, dont j'ai déjà signalé l' utilité dans le Journal des Savants. Je m' exprimais ainsi dans le n° de novembre 1833: “Les continuateurs du Recueil des Historiens de France ont reconnu qu' il manque à la collection la Chronique rimée, ou poëme de Guillaume de Tudela, qui a célébré la guerre des Albigeois...
M. Fauriel, dans son travail sur la littérature des troubadours, a donné une exacte analyse du poëme, et en a traduit en prose divers passages, qui font regretter qu' il n' en ait pas traduit et publié un plus grand nombre.”

J' ai parlé de l' imperfection du manuscrit; cette imperfection porte principalement sur le langage, qui souvent y est fortement altéré. Cette altération toutefois ne doit point être imputée à l' auteur. Les productions des troubadours, ses contemporains, sont encore trop pures, trop correctes, pour admettre qu'à cette époque déjà la langue commençait à se corrompre; mais on peut, sans hésiter, l' attribuer à l' ignorance et à la négligence des copistes. Deux fragments que je possède donnent la preuve de ce que j' avance. Ces deux fragments m' ont fourni des variantes heureuses, ce qui permet de supposer que, si l' on avait plusieurs manuscrits de ce poëme, il serait peut-être possible de rectifier la majeure partie des incorrections qui se sont glissées dans le seul qui soit actuellement connu. (1: Il ne s' agit pas toutefois des mots qui terminent les vers, attendu que les formes grammaticales de ces mots sont systématiquement sacrifiées à l' exigence de la rime.)

L' un de ces fragments, quoique fort défectueux et d' une écriture assez moderne, m' a cependant fourni, dans le début du poëme, une leçon que j'ai cru devoir adopter. A la place de ces trois vers du manuscrit complet:


Mot es savis e pros, si cum l' estoria dit;

Per clergues e per laycs fo el forment grazit,

Per comtes, per vescomtes amatz e obezit,

on lit dans ce fragment:

Pois vint a Montalba, si cum l' hestoria dit;

S' i estet onze ans, al dotze s' en issit.

Ces deux vers m' ont paru offrir un sens bien préférable, et se lier plus naturellement avec les mots qui suivent: per la destructio, etc. 

Ils se rattachent d' ailleurs parfaitement à cet autre vers qu'on lit plus loin dans le poëme:

Maestre W. la (chanso) fist a Montalba, on fo.

Le même fragment m' a encore permis de faire des changements ou suppressions de lettres, et même de bonnes corrections qu'on pourra apprécier en les comparant aux passages correspondants du manuscrit complet. 

Il contient en outre quelques vers qui ne se trouvent pas dans le manuscrit de la Bibliothèque du Roi, et que je rapporte ici textuellement malgré leur défectuosité, (1) parce qu' ils fournissent des détails précieux sur la vie de l' auteur:


Per so se n' issit il, cum avez oit,

Al comte Baudoi, cui Jesus gard e guit;

Vint el a Brunequel, qu' e mon (2) goy l' aculhit,

Puis lo fist far canonge, ses negut (3) contradict,

Del borc sainct Anthoni, qu' i l' avoit (4) establit

Ab maestre Tecin que fort o enantit,

E Jaufre de Peitius, qui lui pas non oblit;

Adonc fit el cest libre, etc.


Le second fragment a trait à la condamnation prononcée dans le concile d' Arles (5); il est tiré d' une histoire manuscrite du Quercy, par Guyon de Maleville, sieur de Casals, qui écrivait en 1600, et qui mourut vers 1630. On lit dans cette histoire le passage suivant, après lequel est rapporté le texte de la décision:

“Les premières conditions de la susdite paix du comte de Toulouse, à lui présentées, sont contenues emmy un nombre de chansons qui furent faites sur les plus importantes occurrences et factions de la guerre Albigotte (Albigeoise). Celle qui porte ladite proposition, qui avoit été envoyée fraîchement audit comte par le légat apostolique, dit ainsi, etc.”

Ce fragment m' a fourni également des variantes heureuses, sous le rapport de la langue.


(1) Ces vers font suite aux treize premiers que je publie. 

(2) (sic) Lisez mot. 

(3) (sic) Lisez negun. 

(4) (sic) Lisez avia. 

(5) Je dois la communication de ce fragment à l' obligeance de M. Lacabane, employé aux manuscrits de la Bibliothèque du Roi, qui s' est empressé de m' en fournir une copie.

On retrouve deux vers de cette même décision du concile d' Arles dans Antoine Dominicy; (1: De Praerogativâ allodiorum, p. 163, édit. de 1645) mais loin de servir à corriger le texte, ils démontrent que les copistes et les citateurs se mettaient peu en peine de défigurer la langue. 

Voici ces vers:

Et tuts li renoves lo renou laissaran,

Et, se gazanh an pres, tot premier lo rendran.

Les fautes graves indiquées par les caractères italiques sont ainsi rectifiées dans le passage rapporté par Guyon de Maleville:

E tug li renoer lor renou laissaran,

E, si gazanh an pres, tot premier lo rendran.

Il me reste à dire quelques mots sur les formes métriques de cet ouvrage. 

Il contient environ neuf mille six cents vers, divisés par stances monorimes, de longueurs inégales. Chaque stance se termine par un vers de six syllabes; ce petit vers final rime ordinairement avec la suivante; quelquefois même il est répété au commencement en entier ou en partie.

L' auteur a eu soin de fournir des détails sur lui-même et sur son poëme, qu' il n' appelle jamais que canso ou gesta. C'est en 1210 qu' il commença cet ouvrage, qui ne retrace que des événements accomplis dans l' espace de temps compris entre cette époque et l' an 1219 inclusivement. Il s' arrête au moment où Louis, fils de Philippe-Auguste, va mettre le siége devant Toulouse. 

Voici comment il débute:

El nom del Payre e del Filh e del Sant Esperit,

Comensa la cansos que maestre Guilhem fit,

Us clercs qui fo en Navarra, a Tudela, noirit,

Au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit, commence la chanson que fit maître Guillaume, un clerc qui fut élevé en Navarre, à Tudèle, puis vint à Montauban, comme dit l' histoire. Il y resta onze ans; au douzième, il en sortit, à cause de la destruction qu' il connut et vit dans la géomancie, qu' il eut long-temps étudiée. Et il connut que le pays serait brûlé et détruit pour la folle croyance qu'on avait admise; et que les riches bourgeois seraient appauvris de leurs grands biens dont ils étaient enrichis; et que les chevaliers bannis, chétifs, s' en iraient en d' autres terres soucieux et marris... Alors il fit ce livre, et lui-même l' écrivit. Depuis qu' il fut commencé jusqu'à ce qu' il fut fini, il ne mit son application en autre chose, même à peine il dormit. Le livre fut bien fait et composé de bons termes; et, si vous le voulez entendre, les grands et les petits, vous pourrez y apprendre beaucoup de bon sens et de belles paroles … Seigneurs, cette chanson est faite de la même manière que celle d' Antioche, et se versifie de même, et elle a tout-à-fait le même air...

Pois vint a Montalba, si cum l' hestoria dit.

S' i estet onze ans, al dotze s' en issit,

Per la destructio que el conog e vit

En la geomancia, qu' el ac lonc temps legit.

E conoc qu' el pais er ars e destruzit

Per la fola crezensa qu' avian consentit;

E que li ric borzes serian enpaubrezit

De lors grans manentias don eran eriquit;

E que li cavalier s' en irian faizit,

Caitiu, en autras terras, cossiros e marrit...

Adoncs fet aquest libre, e el meteish l' escrit.

Pos que fo comensatz entro que fo fenit,

No mes en als sa entensa, neis a pena s dormit.

Lo libres fo be faitz e de bos motz complit;

E, si 'l voletz entendre, li gran e li petit, 

I poires mot apenre de sen e de bel dit...

Senhors, esta canso es facha d' aital guia

Com sela d' Antiocha, e ayssi s versifia,

E s' a tot aital so... 

Que trastot Albeges avia en sa bailia,

Carcasses, Lauragues, tot la major partia,

De Bezers tro Bordel...

… L' avesque d' Osma ne tenc cort aramia...

Lai dins a Carcassona, on mota gent avia,

Qu'el reis d' Arago y era ab sa gran baronia...

E l' abas de Cistel, cui Dieus amava tant,

Que ac nom fraire .A., primier el cap denant,

A pe e a caval, anava disputan

Contra 'ls felos eretges...

E 'ls va 'n de lors paraulas mot forment encausant...

Peire del Castelnou es vengutz ab aitant

Ves Rozet, en Proensa, ab so mulet amblant.

Lo comte de Tolosa anet escumeniant

Car mante los roters, qu' el pais van raubant.

Ab tant us escudiers qui fo de mal talant...

L' aucis en traicio dereire en trespassant,

E 'l ferit per la esquina am son espeut trencant,

E pueish si s' enfugit...

Cant l' apostolis saub, cui hom ditz la novela,

Que sos legatz fo mortz, sapchatz que no 'lh fo bela.

De mal talent que ac, se tenc per la maichela,

E reclamet sant Jacme, aisel de Compostela

E sant Peire de Roma, que jatz en la capela.


Il entre ensuite en matière, et rapporte que l' hérésie s' était tellement répandue qu'elle avait tout l' Albigeois en sa puissance, le Carcassès, le Lauragais, toute la plus grande partie, de Béziers jusqu'à Bordeaux...

L' évêque d' Osma en tint une cour convoquée... là-dedans à Carcassonne, où avait moult de gent, vu que le roi d' Aragon y était avec sa grande noblesse... Et l' abbé de Cîteaux, que Dieu aimait tant, qui eut nom frère .A., le premier en tête devant, à pied et à cheval, allait disputant contre les félons hérétiques... et il va en les poursuivant très fortement de leurs paroles... Pierre de Castelnau est venu en même temps vers Rousset, en Provence, avec son mulet amblant. Il alla excommuniant le comte de Toulouse, parce qu' il maintient les routiers, qui vont dérobant le pays. En même temps un écuyer qui fut de mauvais vouloir... l' occit en trahison en passant par derrière, et le frappa par l' échine avec son épieu tranchant, et puis s' enfuit...

Quand le pape, à qui on conta la nouvelle, sut que son légat fut mort, sachez qu' elle ne lui fut pas belle. Du mauvais vouloir qu' il eut, il se tint par la mâchoire, 

Il y eut une assemblée.


Lai fo lo cosselhs pres per que s moc la fiela

Dont motz homes son mortz fendutz per la buela,

E manta rica dona, mota bela piuzela...

Cant l' abas de Cistel, la onrada persona...

Lor ac dat lo coselh, negus mot no i sona,

Mas cant del apostoli, que mot fetz cara trona:

“Fraire, so ditz lo papa, tu, vai vas Carcassona

E a Toloza la gran, que se (1) sobre Guarona, (1) (sic) Lisez set.

E conduiras las ostz sobre la gent felona;

De part de Jhesu Crist, lor pecatz lor perdona,

E de las mias partz, lor prega e 'ls sermona

Qu' encausan los eretges de mest l' autra gent bona.”

Ab tant el s' en depart cant venc a la hora nona,

E ichit de la vila e fortment esperona.

Ab lui va l' arcevesque que es de Tarragona,

E aisel de Lerida e cel de Barsolona,

E de vas Montpeslier, aicel de Magalona,

E, d' otra 'l portz d' Espanha, aicel de Pampalona,

E l' evesques de Burcs e cel de Terrasona...


et réclama saint Jacques, celui de Compostelle, et saint Pierre de Rome qui gît dans la chapelle...

Là fut pris le conseil par qui se mut la haine dont moult d' hommes sont morts fendus par la bedaine, et mainte puissante dame, moult belle damoiselle...

Quand l' abbé de Cîteaux, l' honorable personne... leur eut donné le conseil, nul n' y sonne mot, excepté le pape, qui fit imposante figure: “Frère, ce dit le pape, toi, va vers Carcassonne et à Toulouse la grande, qui est assise sur Garonne, et tu conduiras les armées sur la gent félonne; de la part de Jésus-Christ, pardonne-leur leurs péchés, et de la mienne part, prie-les et sermonne-les afin qu' ils chassent les hérétiques du milieu de l' autre bonne gent.” En même temps il s' en sépare quand vint la neuvième heure, et sortit de la ville, et éperonne fortement. Avec lui va l' archevêque qui est de Tarragone, et celui de Lérida et celui de Barcelone, et du côté de Montpellier, celui de Maguelonne,


L' abbé se rend à Cîteaux, et dénonce la croisade.


... Se crozan en Fransa e per tot lo regnat,

Cant sabon que seran dels pecatz perdonat.

Ancmais tan gran ajust no vis, pos que fus nat,

Co fan sobr' els eretgez e sobr' els sabatatz;

Car lo duc de Bergonha s' en es ladoncs crozat,

E lo coms de Nevers e manta poestatz...

Quant lo coms de Toloza, e li autre baro,

E 'l vescoms de Bezers an auzit lo sermo

Que los Frances se crozan, no cug lor sapcha bo,

Ans ne son mot irat, si cum ditz la canso.

A un parlamen que feiro li clerc, sela sazo,

Lai sus a Albenas, venc lo comte Ramon.

Aqui, s' agenolhec e fes sa fliction

Denant mosenher l' abas, e 'lh prega que 'lh perdon;

El, ditz que no fara, que no n' avia don,

Si lo papa de Roma e 'ls cardinals que i son

No 'lh fazian primier calque solucion...

Lo coms s' en retornet a coita d' esperon.

Lo vescomte, son bot, merceia e somon

Que no guerrei' ab lui, ni no 'lh mova tenson,

E que sian amdui a la defension...

Senhors, oimais s' esforsan li vers de la chanso,

Que fon ben comenseia l' an de la encarnatio

Del senhor Jhesu Crist, ses mot de mentizo,

C'avia M CC e X ans que venc en est mon;

E si fo l' an e mai, can floricho l' boicho.

Maestre W. la fist a Montalba, on fo.

Certas, si el agues aventura o do,

Co an mot fol jotglar e mot avol garso,

Ja no 'lh degra falhir negus cortes prosom,

Que no 'lh dones caval o palafre breton,

Que 'l portes suavet amblan per lo sablon

O vestimen de seda, pali o sisclato.

Mas tant vezem qu' el setgles torna en cruzitio,

Que 'lh ric home, malvatz que deurian estre pro,

Que no volon donar lo valent d' un boto;

N' ieu no lor quier pas lo valen d' un carbo

De la plus avol cendre que sia el fogairo.

Domni Dieus los confonda, que fetz lo cel e 'l tro,

E santa Maria maire!

et, d' outre les ports d' Espagne, celui de Pampelune, et l' évêque de Burgos et celui de Terrassa... (Tarazona?) Ils se croisent en France et par tout le royaume, quand ils savent qu' ils seront pardonnés des péchés. Oncques plus je ne vis, depuis que je fus né, aussi grande réunion, comme ils font contre les hérétiques et contre les ensabatés; car le duc de Bourgogne s' en est alors croisé, et le comte de Nevers et maint puissant seigneur...

Quand le comte de Toulouse, et les autres barons, et le vicomte de Béziers ont entendu la nouvelle que les Français se croisent, je ne pense pas qu' il leur sache bon, au contraire, ils en sont très attristés, ainsi que dit la chanson.

A un parlement que firent les clercs, cette saison, là sus à Aubenas, vint le comte Raimond. Là, il s' agenouilla, et fit sa flexion devant monseigneur l' abbé; el il prie qu' il lui pardonne; lui, dit qu' il ne fera, vu qu' il n' en avait pas le don, si le pape de Rome et les cardinaux qui y sont ne lui faisaient premièrement quelque solution... Le comte s' en retourna à presse d' éperon. Il supplie et sollicite le vicomte, son neveu, qu' il ne fasse la guerre avec lui, ni lui suscite dispute, et qu' ils soient tous deux sur la défense...

Seigneurs, désormais se renforcent les vers de la chanson, qui, sans mot de mensonge, fut bien commencée l' an de l' incarnation du seigneur Jésus-Christ, qu' il y avait 1210 ans qu'il vint en ce monde; et l' année fut en mai, quand fleurissent les buissons. Maître Guillaume la fit à Montauban, où il fut. Certes, s' il avait bonne fortune ou don, comme ont maints extravagants jongleurs et maints vils goujats, nul prudhomme courtois ne devrait jamais faillir à lui donner cheval ou palefroi breton, qui le portât doucement amblant par le sablon, ou vêtement de soie, pâli ou brocard. Mais nous voyons que le siècle tourne tant en rudesse, que les hommes puissants, mauvais lorsqu'ils devraient être preux, ne veulent donner la valeur d' un bouton; et moi je ne leur demande pas la valeur d' un charbon de la plus vile cendre qui soit au foyer. Que le seigneur Dieu, qui fit le ciel et le tonnerre, et sainte Marie mère, les confonde!

Cependant le comte de Toulouse parvient à se réconcilier avec l' église; mais cela n' empêche pas l' armée des croisés de se mettre à la poursuite des hérétiques. Elle va faire le siége de Béziers:

So fo a una festa c'om ditz la Magdalena...

Trastota, entorn Bezers, alberga, sus l' arena...

C' anc la ost Menelau, cui Paris tolc Elena,

No fiqueron tant trap els portz, desotz Miscena...

Com cela dels Frances...

Non ac baro en Fransa no i fes sa carantena.

Als baros de la vila fo donc malvada estrena...

Ar auiatz que fazian aquesta gens vilana,

Que son plus fol e nesci que no es la balena.

Ab lors penoncels blancs, que agron de vil tela,

Van corren per la ost, cridan en auta alena.

Cuio 'ls espaventar c'om fai auzels d' avena,

Can los crida e 'ls uca, e sos drapels demena

Maiti, can fai jorn clar.

Can lo rei dels arlotz los vit paloteiar

Contra l' ost dels Frances, e braire e cridar,

E un crozat frances aucire e pesseiar,

Cant l' agron fait d' un pont per forsa trabucar,

Totz sos truans apela e fa 'ls esems justar,

En auta votz escridan: “Anem los esarrar.”

Tan tost com o ag dit, s' en van aparelhar;

Cascus d' una masseta, c'al res no an, so m par.

Plus son de XV melia, que no an que causar.

En camisas e en bragas comensan a anar

Trastotz entorn la vila, per los murs derocar.

Ins els valatz s' abaton e prezo (1) s' a picar

E 'ls autres a las portas franher e peceiar.

Li borzes, cant o viro, prezo s' a espaventar;

E cels de la ost cridan: “Anem nos tuit armar.”

Ladoncs viratz tal preicha a la vila intrar,

Per forsa fan los murs al dins dezamparar,

(1) (sic) Plusieurs fois. L' exactitude grammaticale exige preno; prezo n' est pas dans la langue avec ce sens-là.

E femnas e efans se prendo a portar,

E van s' en a la gleiza, e fan los senhs sonar:

No an plus on gandir.

Li borzes de la vila viro 'ls crozatz venir

E lo rei dels arlotz, qui los vai envazir,

E 'ls truans els fossatz de totas partz salhir, 

E los murs pessiar, e las portas ubrir,

E los Frances de l' ost a gran preissa garnir.

Be sabon e lor cor que no s poiran tenir.

Al moster general van ilh plus tost fugir;

Li prestre e li clerc s' anero revestir,

E fan sonar los senhs, cum si volguessan dir

Messa de mortuorum, per cors mort sebelir.

Cant venc a la parfi, no 'l o s pogron sofrir

Que 'l truans no i intresson, qu' els ostals van sazir,

Aitals co 'l i s volon; que be i pogron causir,

Cadaus, si s' o vol, X, si'l ve a plazer.

Li ribaut foron caut; no an paor de morir:

Tot cant pogron trobar, van tuar e aucir, (tuer francés)

E las grans mamentias e penre e sazir.

Totztemps ne seran ric, s' o podon retenir;

Mas en breu de termini lor o er obs a gurpir,

Qu'el barnatges de Fransa s' en voldra revestir.


Ce fut à une fête qu'on appelle la Madeleine... Tout entière, elle campe, autour de Béziers, sur le sable... que jamais l' armée de Ménélas, à qui Pâris ravit Hélène, ne planta autant de pavillons aux ports, sous Mycènes... que celle des Français... Il n' y eut baron en France qui n' y fît sa quarantaine. Ce fut donc mauvaise étrenne aux barons de la ville... Or oyez ce que faisait cette vilaine gent, qui est plus folle et ignorante que n' est la baleine. Avec leurs pennonceaux blancs, qu' ils eurent de vile toile, ils vont courant par l' armée, criant à haute haleine. Ils pensent les épouvanter, comme un homme fait les oiseaux de l' avoine, quand il leur crie et les huche, et qu' il agite ses drapeaux le matin, lorsqu'il fait jour clair.

Quand le roi des ribauds les vit escarmoucher contre l' ost des Français, et brailler et crier, et tuer et mettre en pièces un croisé français, quand ils l' eurent fait par force trébucher d' un pont, il appelle tous ses truands, et les fait assembler, criant à haute voix: “Allons les envelopper.” Aussitôt comme il l' eut dit, ils s' en vont se munir chacun d' une petite masse, vu qu' ils n' ont autre chose, ce me semble. Ils sont plus de quinze mille qui n' ont quoi chausser. 

En chemises et en braies, ils commencent à aller tous autour de la ville pour renverser les murs. Ils s' abattent dans les fossés et se prennent à piocher, et les autres à briser et fracasser les portes. Les bourgeois, quand ils virent cela, se prennent à s' épouvanter, et ceux de l' armée crient: “Allons nous tous armer.” Alors vous verriez telle presse entrer (en marche) vers la ville, qu' ils font par force abandonner les murs au-dedans, et ils se prennent à emporter femmes et enfants, et s' en vont à l' église, et font sonner les cloches: ils n' ont plus où se préserver. Les bourgeois de la ville virent venir les croisés et le roi des ribauds, qui les va envahir, et les truands sauter de toutes parts dans les fossés, et briser les murs et ouvrir les portes, et les Français de l' armée se garnir en grande hâte. Bien ils savent dans leur coeur qu' ils ne pourront tenir. Ils vont se réfugier au plus tôt dans l' église cathédrale; les prêtres et les clercs allèrent se revêtir, et font sonner les cloches, comme s' ils voulaient dire une messe des morts, pour ensevelir corps mort. Quand vint à la parfin, ils ne purent empêcher cela, que les truands n' y entrassent, en sorte qu' ils vont s' emparer des hôtels, tels qu' ils les veulent, vu qu' ils purent bien en choisir, chacun dix, s' il le veut, si cela lui vient à plaisir. Les ribauds furent ardents; ils n' ont pas peur de mourir: tout ce qu' ils purent trouver, ils vont le tuer et occire, et prendre et saisir les grandes richesses. Ils en seront riches à tout jamais, s' ils le peuvent garder; mais en peu de temps force leur sera de le déguerpir, vu que le baronnage de France voudra s' en emparer.

Vu que croix, autel ni crucifix ne les put garantir. Et les fous ribauds mendiants tuaient les clercs et femmes et enfants, en telle sorte, que je ne crois pas qu'oncques un seul en sortît. Que Dieu reçoive, s' il lui plaît, les âmes en paradis! vu que je ne pense pas que jamais tant cruel massacre ait été fait, du temps des Sarrazins, ni qu'on le consentît. Les goujats se sont établis dans les hôtels qu' ils ont pris, qu' ils trouvent tous et abondants et farcis de richesses; mais les Français, quand ils le virent... les jettent dehors avec des pieux, comme s' ils fussent des mâtins...

Le roi et les ribauds crurent être joyeux et riches à tout jamais des biens qu' ils ont pris. Quand ceux-ci les leur ont enlevés, tous s' écrient à la fois: “À feu! À feu!” s' écrient les goujats fripons, punais. Alors ils apportent les torches... 

Les croisés étaient convenus de faire passer par les armes tout ce qui ne se rendrait pas. La ville fut mise à feu et à sang; on n' épargna même pas ceux qui s' étaient réfugiés dans les églises:


Que no 'ls poc gandir crotz, autar ni cruzifis.

E los clercs aucizian li fol ribautz mendics

E femnas e efans, c'anc no cug us n' ichis.

Dieus recepia las armas, si'l platz, en paradis!

C'ancmais tan fera mort, del temps Sarrazinis,

No cuge que fos faita, ni c'om la cossentis.

Li gartz per los osdals c'an pres se son assis,

Que trobon totz d' aver e manens e farsis;

Mas Frances, cant o viron...

Fors los giatan ab pals, com si fossan mastis...

Le Reis e li arlot cuieren estre gais

Dels avers que an pres e ric per totstemps mais.

Quant sels lor o an tolt, tug escrian a fais,

“A foc! a foc!” escrian li gartz tafur, pudnais.

Doncs aporton las falhas...


La ciutatz s' en espren, e leva s l' esglais.

La vila ars trastota de lonc e de biais.

Aisi ars e ruinet Raolf, cel del Cambrais,

Una rica ciutat, que es de pres Doais; 

Poichas l' en blasmet fort sa maire N' Alazais,

Per o el la 'n cuget ferir sus en son cais.

Cant cel sentiro 'l foc, cascus areire s trais.

Donc arson las maizos e trastotz los palais;

Mot gonios i ars, mot elme e mot gambais...

E mota bona rauba, c'om cove que la lais.

E ars totz lo mostiers que fetz maestre Gervais;

Pel mieg loc se fendec per la calor, e frais

En cazeron dos pans.


Au bout de trois jours les croisés se dirigent sur Carcassonne, où se trouvait le vicomte de Béziers.


E lo vescoms estet pels murs e pels ambans...

A l' aspect de l' armée il réunit ses hommes.

“Senhors, ditz lo vescoms, totz vos aparelhatz.

Anatz pendre las armas, en los cavals montatz...” 

- “Per fe, ditz P. Rotgiers...

Per cosselh qu' ieu vos do, la fors non issiratz...

Qu'els Frances, al mati, can se seran dinnatz,

S' apropjaran vas vos, josta vostres fossatz;

L' aiga vos voldran tolre don vos tuit abeuvatz...”

A sest cosselh s' acordan trastotz les plus senatz.

La gaita fan fors faire dels cavaliers armatz,

Trastot entorn la vila, que es mot fort asatz,

Que Karles, l' emperaire, le fortz reis coronatz,

Los tenc plus de VII mes, so dison, asetjatz,

Qu'anc no 'ls poc conquerre...

So fo en aquel mes c'om apela aost

Que fo a Carcassona trastot entorn la ost.

Lo reis P. d' Arago i es vengutz mot tost,

Ab lui C cavaliers qu' amena a son cost.

Cels de la ost se dinnan e mangen carn en rost...

En un prat, dessotz l' aiga, e latz un boi folhut,

Ac lo coms de Tolosa son riche trap tendut;

Lai es mo senhe 'l reis, e li seu, dechendut...

Can se foron dinnat e que agron begut,

Monta el palafre que era bais, crenut,

E intra en la vila ses arma e ses escut...


La cité s' enflamme et l' épouvante se répand. La ville brûle tout entière en long et en biais. Ainsi Raoul, celui de Cambrai, brûla et ruina une riche cité, qui est pres de Douai; puis l' en blâma fort sa mère, la dame Alazaïs, à cause de quoi il pensa la frapper sur sa joue. Lorsque ceux-ci sentirent le feu, chacun se retire en arrière. Alors brûlent les maisons et tous les palais; mainte gonnelle y brûle, maint heaume et maint gambeson... et maint bon vêtement, vu qu' il faut qu'on l' abandonne. Et brûle tout le moutier que fit maître Gervais; il se fendit par le milieu par la chaleur, et deux pans brisés en tombèrent.

Et le vicomte se tint par les murs et par les retranchements...

“Seigneurs, dit le vicomte, apprêtez-vous tous; allez prendre les armes, et montez sur les chevaux...” - “Par la foi, dit Pierre Rogiers... Par le conseil que je vous donne, vous ne sortiriez pas là dehors... vu que les Français, au matin, quand ils auront dîné, s' approcheront vers vous, contre vos fossés; ils voudront vous ôter l' eau dont vous vous abreuvez tous...” 

Tous les plus sensés s' accordent à ce conseil. Ils font faire le guet dehors par des chevaliers armés, tout autour de la ville, qui est moult forte beaucoup, vu que Charles, l' empereur, le fort roi couronné, les tint plus de sept mois, ce dit-on, assiégés, qu'oncques il ne put les conquérir...

Ce fut dans ce mois qu'on appelle août que l' armée fut à Carcassonne tout autour. Le roi Pierre d' Aragon y est venu moult tôt, avec lui cent chevaliers qu' il amène à son coût. Ceux de l' armée dînent et mangent chair en rôti...

Dans un pré, sous l' eau, et le long d' un bois feuillu, le comte de Toulouse eut sa riche tente tendue; là est descendu monseigneur le roi, et les siens...

Quand ils eurent dîné et qu' ils eurent bu, il monte sur le palefroi, qui était bai, à tous crins, et il entre dans la ville sans arme et sans écu... Le vicomte, quand 

Lo vescoms, cant lo vi, contra lui es corrut...

Lo vescoms lh'a comtat co li es avengut

De la mort de Beziers, e com ilh l' an perdut,

E com lh'an son pais gastat e cofondut...

“Vescomte, ditz lo reis, de vos ai gran pezansa,

Car etz en tal trebal ni en aital balansa

Per unas folas gens e per lor fola erransa.

Aras no sai ieu als, mas cant de la acordansa,

Si o podem trobar, ab los barons de Fransa...”

- “Senher, ditz lo vescoms, aissi co vos plaira,

Podets far de la vila e de tot cant i a...”

Ab aquestas paraulas el palafre monta,

E retorna en l'ost; am los Frances parla...

Le reis lor a retrait aisso que parlat a

La dins ab lo vescomte, e for los ne preia...

Anc tant no s n' entremes, ni anet sa e la,

C' anc venc a la parfi. Re als no i acaba,

Mas per amor de lui la ost aitant fara:

Lo vescoms, si dotzes d' aicels que il voldra,

Ne laicharan ichir ab l' arnes que i aura,

E tot lo sobreplus a lor voler sera.

Lo reis ditz entre dens: “Aisso s' acabara

Aisi tost co us azes sus el cel volara.”

Felos e corrossos en la ciutat torna;

Al vescomte e als seus la causa devisa...

Lo reis P. d' Arago felos s' en es tornatz,

E pesa 'l en son cor, car no 'ls a delivratz...

Cel de la ost s' acesman per umplir los valatz,

E fan franher las brancas, e far gatas e gatz... 

Si no fos grans lo pobles que i era amassatz...

No foran ja per lor d' un an pres ni forsatz,

Que las tors eran autas e los murs dentelhatz;

Mas l' aiga lor an touta, e los potz son secatz...

Anc no triguet VIII jorns qu' els reis s' en fon tornatz,

Que 'l mandec parlamen I rics hom dels crozatz...

Lo vescoms de Bezers issig a parlament...


il le vit, est accouru vers lui... Le vicomte lui a conté comment il lui est advenu du massacre de Béziers, et comme ils l' ont perdu, et comme ils lui ont gâté et confondu son pays... “Vicomte, dit le roi, j' ai grand souci de vous, parce que vous êtes en pareil tracas et en pareille balance pour de folles gens et pour leur folle erreur. Je ne sais maintenant autre chose, excepté de l' accord, si nous pouvons le trouver, avec les barons de France...” - “Seigneur, dit le vicomte, ainsi qu' il vous plaira, vous pouvez faire de la ville et de tout ce qu' il y a...” Avec ces paroles il (le roi) monte sur le palefroi, et retourne à l' armée; il parle avec les Français... Le roi leur a rapporté ce qu' il a conféré là-dedans avec le vicomte, et fort les en prie...

Oncques tant il ne s' en entremit, ni alla çà et là, que oncques il vint à la parfin. Rien autre il n' y termine, excepté que par amour de lui l' armée fera autant: le vicomte, lui douzième de ceux qu' il voudra, ils en laisseront sortir avec le harnois qu' il y aura, et tout le surplus sera à leur volonté. Le roi dit entre les dents: 


Et commit l' imprudence de se mettre entre les mains des croisés.


Li borzes de la villa e 'ls cavaliers qu' i son,

E donas e donzelas, cascus per contenson,

C' anc no i remas lains ni sarjant, ni garson,

Ni om petitz ni grans, femna, ni donzelon;

Trastuit nut s' en isiron a coita d' esperon,

En camisas e en bragas, ses autra vestizon;

No lor laicheron traire lo valent d' un boton.

Li un van a Tholosa, li autre en Aragon,

E l' autre en Espanha, qui aval qui amon.

En la ciutat s' en intran li crozat abandon,

Et garnisson la sala e las tors e 'l domjon...

Carcassona fon preza, si cum avetz auzit...

Li abas de Cistel non cuietz que s' oblit; 

Messa lor a cantada del santesme Esperit,

Pois ditz que el pais c'an crozat comquerit,

Vol c'aia mantenent I bon senhor eslit.

Lo comte de Nivers el n' a asomonit;

Mas no i volc anc remandre ni estar ab nulh guit,

Ni lo coms de Sant-Pol que a n' apres cauzit...

Lai en aicel consili et en cel parlament,

A un riche baron qui fon pros e valent,

Arditz e combatens, savis e conoissent,

Bos cavaliers e larcs, e bels e avinent,

Dous e francs e suaus, ab bo entendement...

Senher fo de Monfort, de la honor que i apent...

Aicel voldran pregar trastut cominalment

Que prenda 'l vescomtat trastot enteirament,

E tota l' autra terra de la gen mescrezent...

“Si farai, ditz lo coms, amb aital covinent (N. E. Sí, y no Oc.)

Qu'els princep qu' aisi son me fassan sagrament

Que si coita m venia, en mon defendement,

Me venran tuit secorre a mon somoniment.”

- “Nos vos o autreiam, dison tuit, leialment...” 

Cant lo coms de Monfort fo en l' onor assis...

Remas a Carcassona, sos companhos somon...

Per la terra gardar vas lai on li saub bon;

E lo coms de Monfort, qui a cor de leon,

Remas a Carcassona e garda son prison, 

Lo vescoms, que mori apres de menazon;

E li malvatz tafur e l' autre fol garson,

Que no sabon l' afaire, co si va ni co non,

So dizo, qu' om l' aucis de noitz a traicion.


“Cela s' achèvera aussitôt qu'un âne sus au ciel volera.” Outré de colère et courroucé, il retourne à la ville; il devise la chose au vicomte et aux siens... 

Le roi Pierre d' Aragon, outré de colère, s' en est retourné, et il lui pèse dans 

son cœur de ce qu' il ne les a pas délivrés... Ceux de l' armée se préparent 

pour remplir les fossés, et font briser les branches, et faire chattes et chats... 

Si ne fût le grand peuple qui y était amassé... ils ne seraient déjà par eux pris 

ni forcés d' un an, vu que les tours étaient hautes et les murs crénelés; mais ils leur ont ôté l' eau, et les puits sont desséchés... Oncques il ne tarda huit jours que le roi s' en fut retourné, qu'un puissant homme des croisés lui (au vicomte) demanda une entrevue... Le vicomte de Béziers sortit pour l' entrevue...

Les bourgeois de la ville et les chevaliers qui y sont, et dames et damoiselles,

chacun à l' envi, vu qu'oncques il n' y demeura là-dedans ni sergent, ni garçon, 

ni homme petit ni grand, femme, ni damoiselet; tous s' en sortirent nus en toute hâte, en chemises et en braies, sans autre vêtement; ils ne leur laissèrent emporter la valeur d' un bouton. Les uns vont à Toulouse, les autres en Aragon, et les autres en Espagne, qui aval qui amont. Les croisés entrent librement dans la cité, et garnissent la sale et les tours et le donjon...

Carcassonne fut prise, ainsi que vous avez ouï... Ne pensez pas que l' abbé de 

Cîteaux s' oublie; il leur a chanté une messe du très saint Esprit, puis il dit qu' il veut que le pays que les croisés ont conquis ait maintenant un bon seigneur élu. Il en a fait la proposition au comte de Nevers; mais il n' y voulut oncques demeurer ni rester d' aucune manière, ni le comte de Saint-Pol, qu' il en a choisi après... Là, dans ce conseil et dans cette délibération, il y a un puissant baron qui fut preux et vaillant, hardi et valeureux, sage et instruit, bon chevalier et généreux, et beau et avenant, doux et franc et paisible, avec bonne intelligence... il fut seigneur de Montfort, du domaine qui en dépend... Ils voudront prier 


Dans cette occurrence, le comte Raimond se décide à faire un voyage à Rome.


Lo pros coms de Tolosa aizina son afar

Per la gran via longa que cug que voldra far.

Primier ira en Fransa, ab son cozi parlar,

E pois al emperaire, si el lo pot trobar;

Apres ab l' apostoli: totz los vol asaiar... 


celui-ci tous communément qu' il prenne le vicomté tout entièrement, et toute 

l' autre terre de la gent mécréante... “Si ferai, dit le comte, avec telle convention que les princes qui sont ici me fassent serment que, s' il me venait presse, en ma défense, ils viendront tous me secourir à mon invitation.” 

- “Nous vous l' octroyons, disent-ils tous, loyalement..." Lorsque le comte de Montfort fut établi dans la possession... il demeure à Carcassonne, invite ses amis... pour garder la terre là vers où il lui sut bon; et le comte de Monfort, qui a cœur de lion, demeure à Carcassonne et garde son prisonnier, le vicomte, qui 

mourut apres de dysenterie; et les mauvais fourbes et les autres fous goujats, qui ne savent l' affaire, comment elle va et comment non, ce disent, qu'on l' occit de nuit, par trahison.

Le preux comte de Toulouse prépare son affaire pour le grand et long voyage 

que je pense qu' il voudra faire. Premièrement il ira en France, parler avec son cousin, et puis à l' empereur, s' il peut le trouver; après au pape: il veut tous les éprouver...

Premièrement il s' en va en France, et ils trouvèrent joyeux le puissant roi 

Philippe; mais puis il fut soucieux; à cause de l' empereur Othon, il leur fut apres félon. La comtesse de Champagne, qui est courtoise et pleine de mérite, celle-là les reçut bien, ainsi que moult d' autres barons, et le preux duc de Bourgogne, qui lui présente maints dons; et le comte de Nevers lui fut très affectionné, et lui fit maint bon accueil.

Le pape de Rome et tous les cardinaux le reçurent moult bien, comme baron 

naturel. Le pape lui donna un manteau principal et un anneau d' or fin, dont 

seulement la pierre vaut cinquante marcs d' argent, et puis un cheval. Alors ils 

devinrent moult bons amis de cœur... Quand le comte de Toulouse eut fait ce qu' il voulait, il prend congé du pape, et tint moult tôt son chemin... 


L' abbé de Cîteaux cherche à l' en dissuader, mais il persiste, et part avec les consuls de Toulouse:


Primer s' en vai en Fransa, e troberon joios

Lo riche rei Felip; mas pois fo cossiros;

Per l' emperador Otes, lor fo apres felos. (Otón)

La comtessa de Campanha, qu' es corteza e pros,

Sela los receub ben e motz d' autres baros,

E 'l pros dux de Bergonha, que 'lh presenta mans dos;

E lo coms de Nivers li fo mot amoros,

E 'l fe mant bo ostal.

L' apostolis de Roma e tuit li cardenal

Lo receubro mot be, cum baro natural.

Lo papa li donet un mantel principal

E un anel d' aur fi, que sol la peira val

L marcs d' argent, e pochas un caval.

Ladonc devengro els mot bo amic coral...

Cant lo coms de Tolosa ac fait so que volia,

Pren comjat de lo papa, e tenc mot tost sa via...


A son retour, le comte eut une conférence avec Montfort, le légat et d' autres ecclésiastiques. Sans défiance, il livra le château Narbonnais au légat et à l' évêque de Toulouse.

Le roi d' Aragon eut aussi une entrevue avec le légat et Montfort; mais il n' y eut rien de conclu.

Au printemps, Montfort assiége et prend Minerve; on y brûle beaucoup d' hérétiques. Il se rend ensuite à Penautier, où il fait venir la comtesse sa femme. On y décide, en conseil, qu'on attaquera le château de Terme. A cet effet Simon envoie chercher à Carcassonne les machines nécessaires au siége. Un espion en informe la garnison du château de Cabaret. Pierre Rogiers, commandant de cette place, prend avec lui trois cents hommes, et va se mettre en embuscade. Le gouverneur de Carcassonne, qui l' avait prévu, arrive à temps pour obliger Pierre Rogiers à abandonner son entreprise. Le convoi se rend à sa destination. Le siége de Terme dure huit mois, sans qu'on puisse s' en rendre maître. Mais une épidémie s' étant déclarée parmi les assiégés, ils se 

décident à sortir de nuit en trompant la surveillance des assiégeants. Ils s' étaient tous échappés très heureusement, lorsque Raimond, commandant du château, voulut revenir sur ses pas, et fut surpris par les croisés. La fuite des assiégés fut découverte. On se mit à leur poursuite tandis qu'on prenait possession du château, où on ne trouva que les femmes, qui furent bien traitées. Cette circonstance fut cause de la reddition de plusieurs places.

Peu de temps après, le légat Milon étant mort, le comte de Toulouse se rendit à Saint-Gilles, sur l' invitation d' Arnaud; mais s' étant aperçu qu'on lui tendait des embûches, il se retira. Il assista aussi aux conciles d' Arles et de Narbonne. 


Pois fo lo coms .R. a autre parlament

Que fo faitz a Narbona, pres de la S. Vincent.

Lo reis d' Arago i fo e mota rica gent;

Oncas no i acabero que valha un aiguilent. 

Pois ne foro a autre a Arle, mon ecient.

Lai escriusen en carta trastot lo jutgament

Que bailaran al comte, que defors los atent

Ab lo rei d' Arago, ab fort freit e ab vent.

L' abas la lh' amarvic, vezent tota la gent...

Can lo coms tenc la carta, trastot celadament

Apelet l' escriva, e, cant el la entent...

Lo rei d' Arago apela, iratz per mal talent...

“Auiaiz esta carta e l' estranh mandament

Que m mandan li legat, que i sia obedient.”

Lo reis la fai legir autra vetz mantenent,

E cant la ac auzida, ditz em patz, simplamen:

“Be fa i a milhorar, pel paire omnipotent!”

Lo coms totz cossiros, si que comjat no prent,

La carta e son punh, que no 'l respont nient,

S' en vai en ves Tolosa, on plus pot tost, corrent,

E pois a Montalba, a Moisac e Agent...

Lo pros coms de Tolosa, s' en torna en Tolzan,

E intra a Tholosa e pois a Montalban,

A Moissac, a Agen, la carta en sa man.

Per tot la fai legir, que o sapchan de plan...

La carta ditz aisi, en lo mot primairan:

Que lo coms tenga patz e cel qu' ab lui seran,

E laisse los roters o anoit o deman;

Reda lors dreits als clercs, que sian sobiran

De tota aicela ren que li demandaran;

E giet de sa bailia totz los juzieus trafan;

E 'ls crezens dels eretges, aqui on els seran,

Que los lor renda totz, e so tro a un an,

Per far tot lor plazer e so que il voldran.

E mas de doas carns nuls temps no manjaran,

Ni ja draps de paratge poichas no vestiran,

Mas capas grossas brunas, que mais lor duraran.

Los castels e las forsas totas deroquaran;

Ni jamais cavalers no n' estara en plan,

Mas deforas, els camps, co li autre vilan.

E negun mal peatge els camis no prendran,

Mas cant los velhs usatges que foron ancian.

Catre diners Tolzas a cascun an daran

Als paziers de la terra que els establiran. (pahers)

Et tuit li renoier lo renou laissaran;

E, si gazanh an pres, tot primier lo rendran.

E si 'l coms de Monfort ni 'l crozat que vendran,

Cavalgan sobre lor, coma prob home fan,

E si prendran del lor, ja no 'ls o defendran,

Per laus del rey de Fransa del trastot passaran.

E 'l coms, que pas la mar, lai vas lo flum Jordan,

E que estia lai tant co li monge voldran,

O 'l cardenal de Roma, o cel qu' els i metran.

E pois que s meta en orde, al Temple o a Sant Joan.

Cant aiso aura fait, sos castels li rendran;

E si aiso no fai, del tot lo cassaran,

Que no 'l remandra res.

Li cazal de la terra, cavaler e borzes,

Cant auziron la carta que legida lor es,

Dizon que mais voldrian estre tuit mort o pres...

Doncs serian tuit sers o vila o pages.

Li borzes de Moichac e sels de Agenes

Dizon c'ans fugirian per l' aiga en Bordales...

O s' en iran estar, si lo coms o volgues,

Ab lui en autra terra, on que a lui plagues.

E lo coms, cant o au, lor ne ret grans merces. 


Puis fut le comte Raimond à une autre assemblée qui fut tenue à Narbonne vers la Saint-Vincent. Le roi d' Aragon y fut et maint puissant personnage; oncques ils n' y conclurent rien qui vaille un fruit d' églantier. Puis ils furent à une autre à Arles, je crois. Là ils écrivirent sur charte toute la décision, qu' ils baillèrent au comte, lequel les attend dehors, ainsi que le roi d' Aragon, avec 

froid vif et avec vent. L' abbé la lui livra, au vu de tout le monde... Quand le comte tint la charte, aussitôt en cachette il appela l' écrivain; et, quand il l' entend... outré de colère, il appelle le roi d' Aragon... “Écoutez cette charte et l' ordre étrange que les légats m' envoient afin que j' y sois soumis.” Le roi la 

fait lire sur-le-champ une autre fois, et quand il l' eut entendue, il dit avec calme, simplement: “Par le Père tout puissant, bien il y fait à améliorer!” 

Le comte, tout marri, tellement qu' il ne prend pas congé (du roi), la charte à la main, sans lui rien répondre, s' en va vers Toulouse, le plus vite qu' il peut, en courant, et puis à Montauban, à Moissac et à Agen... 

Le preux comte de Toulouse s' en retourne en Toulousain, et entre à Toulouse, 

et puis à Montauban, à Moissac, à Agen, la charte en sa main. Partout il la fait lire, pour qu' ils la connaissent parfaitement... La charte dit ainsi, dès le 

premier mot: que le comte garde paix, ainsi que ceux qui seront avec lui, et 

qu' il abandonne les routiers ou aujourd'hui ou demain; qu' il rende leurs droits 

aux clercs, de sorte qu' ils soient maîtres de tout ce qu' ils lui demanderont; et qu' il chasse de son territoire tous les juifs perfides; et les croyants des hérétiques, là où ils seront, qu' il les leur livre tous, et cela dans le délai d' un an, pour en faire tout leur plaisir et ce qu' ils voudront. Et en aucun temps ils ne mangeront que de deux viandes, et jamais ensuite ils ne vêtiront étoffes de distinction, mais grosses capes brunes, qui leur dureront davantage. Ils détruiront tous chateaux et citadelles; et jamais chevalier n' en sera (chevauchant) en plaine, mais (sera) dehors, aux champs, comme les autres vilains; et ils ne lèveront aucun mauvais péage sur les chemins, excepté les vieux usages qui furent anciens. Ils donneront chaque année quatre deniers toulousains aux receveurs de la paix du pays qu ils institueront. Et tous les usuriers abandonneront l' usure, et, s' ils ont fait profit, tout d' abord ils le rendront. Et si le comte de Monfort et les croisés qui viendront, chevauchent sur eux (sur leurs terres), comme font des hommes honnêtes, et, s' ils prennent du leur, ils ne le leur défendront jamais. Ils en passeront du tout par les décisions du roi de France. Et le comte, qu' il passe la mer, là vers le fleuve Jourdain, et qu' il reste là tant que voudront les moines ou les cardinaux de Rome, ou ceux qu' ils y commettront. Et puis qu' il se mette dans un ordre, au Temple ou à Saint-Jean; quand il aura fait cela, on lui rendra ses châteaux; et, s' il ne le fait, on le chassera du tout, tellement qu' il ne lui restera rien.

Les habitants du pays, chevaliers et bourgeois, quand ils ouïrent la charte qui leur est lue, disent qu' ils aimeraient mieux être tous morts ou prisonniers... Ainsi ils seraient tous serfs ou vilains ou paysans. Les bourgeois de Moissac et ceux de l' Agénois disent qu' ils fuiraient plutôt par eau en Bordelais... ou ils s' en iront demeurer, si le comte le voulait, avec lui dans une autre contrée, où qu' il lui plairait. Et le comte, quand il entend cela, leur en fait grands remercîments. 


Encouragé par cette déclaration, Raimond se prépare à la résistance. Le légat en étant instruit, fait prêcher une nouvelle croisade. Après plusieurs incidents, les croisés font le siége de Lavaur. D'un autre côté, le comte de Foix marche contre cinq mille Allemands qui se rendaient auprès du comte de Montfort, les taille en pièces, et échappe aux croisés qui venaient à leur secours. A la prise de Lavaur Simon se venge cruellement de cet échec. Peu de temps après tout le pays se soumet, à l' exception de Montferrant, où commandait Baudouin, frère de Raimond; mais le chef des croisés circonvient si bien ce seigneur, qu' il parvient à lui faire trahir son frère.

Des renforts étant survenus, les croisés tentent inutilement le siége de Toulouse; ils l' abandonnent bientôt, et se séparent à l' approche de l' hiver. Sans les prêtres, il est probable que Raimond et le comte de Montfort auraient fait la paix; mais rien n' ayant encore été conclu au printemps, les hostilités recommencèrent. La campagne fut favorable au comte de Toulouse, en telle sorte, que, vers la fin de la saison tout le pays était rentré sous sa domination, et que Simon s' était vu forcé de se retirer en Agenois, où il passa son hiver à faire le siége de Saint-Marcel. L' année d' après, sa troupe s' étant accrue d' un grand nombre de nouveaux croisés, il reprit la plupart des villes et des châteaux qui lui avaient été enlevés. Il tint ensuite une assemblée à Pamiers, 

où il fixa les coutumes du pays.

Au retour de la belle saison, le roi d' Aragon, mécontent des ravages causés par les croisés, et voyant qu'on ne tenait aucun compte des remontrances qu' il avait faites, voulut s' en venger par la force, et, à cet effet, partit pour assiéger Muret:


El bos reis d' Aragon, desus son mialsoldor, (milsoudor, milsoldor)

Es vengutz a Murel, e pauza i l' auriflor,

E a l' asetjat ab mot ric valvassor,

Qu' els i a amenat e trais de lor honor.

De cels de Catalonha i amenet la flor,

E de lai, d' Arago trop ric combatedor.

Ben cuian ja no trobon en loc contrastador,

Ni aus ab lor combatre nulhs om garreiador; 

E tramet a Toloza, al marit sa seror,

C'ades venga a lui, ab lui sei valedor,

E que venga la osts e li combatedor;

Qu'el es aparelhatz qu' elh renda sa honor

Al comte de Cumenge e al seu parentor;

Puis ira a Bezers, per forsa e per vigor; 

No laissara crozat en castel ni en tor,

De lai de Montpesler entro a Rocamador,

Que no 'ls fassa morir a dol e a tristor...

Al capitol s' en vai lo coms, dux e marques;

A lor dig e retrait del rei, que vengutz es,

E que amena gens e que s' a seti mes,

Deforas, a Murel: “Son las tendas espes.

Que el a ab sa ost asetjatz los Frances...

E can la vila er preza, irem en Carcasses,

E cobrarem las terras, si Dieus o a promes.”

Cel i respondero: “Senher coms, so es bes,

S' aisi s pot acabar co ilh o an empres;

Mas li Frances so mal e dur en totas res,

E an durs los coratges, e an cor leones, 

E so forment iratz, car ta mal lor es pres

D' aicels que als Pujols avem mortz e malmes;

E fassam o de guiza que no siam mespres.”

Ab tant cornan la ost li cornador cortes,

C'ades n' iesquen trastuit, ab trastotz lors arnes...

E eison per los pons cavaer e borzes,

E 'l pobles de la vila. Viatz e endemes,

Son vengud a Murel, on laiseron l' arnes

E trop bos garnimens e trop ome cortes;

De que fon grans pecatz, si m' ajut Dieus ni fes,

E 'n valg mens totz lo mons.

Totz lo mons ne valg mens, de ver o sapiatz;

Car paradis ne fo destruitz e decassatz,

E totz crestianesmes aonitz e abassatz.

Aras auiatz, senhors, co fo, e escoutatz.

Lo bos reis d' Arago fo a Murel asesmatz,

E lo coms de Sant Geli, e trastotz sos barnatz,

E 'ls borzes de Tolosa, e la cominaltaz.

Bastiren los peirers e an los redressatz,

E combaton Murel tot entorn, per totz latz,

Que dins la vila nova son tuit essems intratz,

E 'ls Frances, que lai eran, an de guiza coitatz,

Que el cap del castel s' en son trastotz puiatz.

Ab tant es us mesatges escontra 'l rei anatz:

“Senher reis d' Aragon, de vertat sapiatz

Que l' ome de Tolosa son d' aitant avantatz

Que an presa la vila, si vos o autreiatz,

E trencatz los solers e 'ls albercs barreiatz; 


E an si los Frances de maneira encausatz,

Que el cap del castel se son tuit amagatz.”

Cant lo reis o auzi, no s' en te per pagatz;

Als cossols de Tolosa el es viatz anatz,

E de la sua part los a amonestatz

Que 'ls omes de Murel laisso estar em patz...

Li Donzel van tost diire al cosselh principal

Qu'els fassan de Murel issir l' ost comunal,

E que no i trenquen plus ni barreira ni pal,

Mas qu' els laisso lains estar totz de cabal,

E que s' en torn cascus als traps per so cabal;

Qu'el bos reis lor o manda ab cor emperial;

Qu' En Simos i vindra avan del avesprar,

E vol lo lains pendre, mais qu'en autre logal.

Els baros, cant o auzo, eisson tuit comunal,

E van s' en per las tendas, cascus vas son fogal...

E, cant agron manjat, viron per un costal

Lo comte de Montfort venir, ab so senhal,

E motz d' autres Frances, que tuit son a caval.

La ribeira resplan, co si fosso cristalh,

Dels elmes e dels brans, qu' ieu dig, per san Marsal:

Anc en tan pauca gent no vis tan bon vassal!

E intran a Murel per mei lo mercadal,

E van a las albergas, com baron natural;

E an pro atrobat pa e vi e carnal.

E puis, a lendema, can viro lo jornal,

Lo bos reis d' Arago e tuit li seu capdal

Eison a parlament defora, en I pradal;

E lo coms de Tholoza e de Foih atertal, 

E lo coms de Cumenge, ab bon cor e leial,

E mot d' autre baro, e 'N Ugs, lo senescal,

E 'ls borzes de Tolosa e tuit li menestral...

Le bon roi d' Aragon, sur son milsoudor, est venu à Muret, et y plante l' oriflamme, et l' a assiégé avec moult de puissants vavasseurs, qu' il y a amenés et tirés de leurs fiefs. Il y amena la fleur de ceux de Catalogne et de là, d' Aragon, beaucoup de puissants guerriers. Ils pensent bien qu' ils ne trouvent jamais d' adversaires nulle part, et qu'aucun homme de guerre n' ose combattre avec eux; et il mande à Toulouse, au mari de sa soeur, qu' il vienne à lui sur-le-champ, avec lui ses partisans, et que vienne l' armée ainsi que les combattants; qu' il est disposé afin qu' il rende son fief au comte de Comminge et à sa parenté. Puis il ira à Béziers, par force et par vigueur; il ne laissera croisé en château ni en tour, depuis Montpellier jusqu'à Rocamadour, qu' il ne les fasse mourir avec douleur et avec tristesse...

Au capitoulat s' en va le comte, duc et marquis; il leur a dit et rapporté, touchant le roi, qu' il est venu, et qu' il amène gens, et qu' il a mis le siége en dehors, à Muret: “Les tentes sont épaisses, en sorte qu' il a assiégé les Français avec son ost... Et quand la ville sera prise, nous irons en Carcassais, et nous recouvrerons les terres, si Dieu l' a promis.” Ceux-ci lui répondirent: “Seigneur comte, cela est bien, s' il se peut ainsi achever comme ils l' ont entrepris; mais les Français sont méchants et durs en toutes choses, et ils ont dures leurs volontés, et ils ont cœurs de lions, et ils sont fortement courroucés, car grand mal leur a pris de ceux qu'aux Pujols nous avons tués et maltraités; et faisons cela de manière que nous ne soyons déçus.” En même temps les corneurs courtois cornent l' armée, afin que incessamment tous sortent, avec tous leurs bagages... Et chevaliers et bourgeois sortent par les ponts, et le peuple de la ville. Prompts et empressés, ils sont venus à Muret, où ils laissèrent le harnais et beaucoup de bons équipements et beaucoup d' hommes courtois; de quoi fut grand péché, si m' aide Dieu et la foi; et tout le monde en valut moins. Tout le monde en valut moins, sachez-le de vrai, car le paradis en fut déchu et dépouillé, et toute la chrétienté honnie et abaissée. 

Or oyez, seigneurs, comment ce fut, et écoutez. Le bon roi d' Aragon fut disposé à Muret, et le comte de Saint-Gilles et tout son baronnage, et les bourgeois de Toulouse et l' universalité. Ils bâtirent les pierriers et les ont dressés, et combattent Muret tout autour, de tous côtés, tellement qu' ils sont tous entrés ensemble dans la ville neuve, et ils ont pressé les Français, qui étaient là, de sorte qu' ils sont tous montés au sommet du château. En même temps un messager est allé au devant du roi: “Seigneur roi d' Aragon, sachez vraiment que les hommes de Toulouse sont avancés d' autant qu' ils ont pris la ville, si vous l' octroyez, et coupé les planchers et détruit les habitations, et ils ont poursuivi les Français de telle manière que tous se sont cachés au sommet du château.” Quand le roi entendit cela il ne s' en tient pour satisfait: il est allé promptement aux consuls de Toulouse, et de son autorité les a avertis qu' ils laissent être en paix les hommes de Muret...

Les Damoiseaux vont tôt dire au conseil principal qu' ils fassent sortir de Muret 

l' armée commune, et qu' ils n' y brisent plus ni barrière ni pieu, mais que là- 

dedans ils les laissent être entièrement tous, et que chacun, de son chef, s' en 

retourne aux tentes; que le bon roi le leur mande avec volonté impérative; vu 

que le seigneur Simon y viendra avant la vesprée, et qu'il veut le prendre là dedans plus qu'en autre lieu. Les barons, quand ils entendent cela, sortent tous ensemble et s' en vont par les tentes, chacun vers son foyer... Et, quand ils eurent mangé, ils virent venir par une côte le comte de Montfort, avec sa bannière, et beaucoup d' autres Français, qui sont tous à cheval.

La plaine resplendit, comme si ce fussent cristaux, par les heaumes et les 

épées, en sorte que je dis, par saint Marsal: Oncques en si petite troupe je ne 

vis si bon guerrier! Et ils entrent à Muret parmi le marché, et vont aux habitations, comme barons naturels; et ils ont trouvé abondamment pain et vin et viande. Et puis, le lendemain, quand ils virent le jour, le bon roi d' Aragon et tous ses chefs sortent à une assemblée dehors, en un pré; et le comte de Toulouse et de Foix également et le comte de Comminge, avec cœur bon et loyal, et beaucoup d' autres barons, et le seigneur Hugues, le sénéchal, et les bourgeois de Toulouse et tous les artisans...




Le roi prend la parole:


“Senhors, so lor a dit, auiatz, qu' o us vulh monstrar:

Simos es lai vengutz e no pot escapar; 

Mas pero eu vos vulh d' aitant asabentar,

Que la batalha er abans del avesprar.

E vos autres siats adreit per capdelar,

Sapiatz los grans colps e ferir e donar;

Que, si eran X tans; si 'ls farem trastornar.”

E lo coms de Tolosa se pres a razonar:

“Senher reis d' Arago, si m voletz escoutar...

Fassam entorn las tendas las barreiras dressar,

Que nulhs om a caval dins non puesca intrar;

E si veno ilh Frances, que ns vulhan asautar,

E nos, ab las balestas los farem totz nafrar...

E poirem los trastotz aisi desbaratar.”

So ditz Miquel de Luzia: “Jes aiso bo no m par

Que ja 'l reis d' Arago fassa cest malestar;

E es mot grans pecatz, car avetz on estar;

Per vostra volpilha us laichatz deseretar.”

- “Senhors, so ditz lo coms, als non pusc acabar;

Er ssia co us vulhatz, c'abans del anoitar

Veirem be cals s' ira darriers, al camp levar.”

Ab tans cridan ad armas e van se tuit armar;

Entro sus a las portas s' en van esperonar,

Si que an los Frances trastotz faits ensarrar,

E per meia la porta van las lansas gitar,

Si qu' el dins e 'l defora contendon su 'l lumdar,

E s gieten dartz e lansas, e s van grans colps donar.

D'entr'ambas las partidas ne fan lo sanc rajar,

Que trastota la porta viratz vermeilhejar.

Can aicels de la fora no pogron dins intrar,

Dreitament a las tendas s' en prendo a tornar;

Ve'l vos asetiatz totz essems al dinnar.

Mas Simos de Montfort fai per Murel cridar,

Per trastotz los osdals, que fassan enselar

E fassan las cubertas sobr'els cavals gitar,

Que veiran dels defora si'ls poiran enganar...

E cant foron defora, pres se a sermonar:

“Senhors baro de Fransa, no us sei nulh cosselh dar,

Mas qu' em vengutz trastuit per nos totz perilhar.

Anc de tota esta noit no fi mas perpessar,

Ni mei olh no dormiron, ni pogron repauzar;

E ai aisi trobat e mon estuziar:

Que per aquest semdier nos covindra passar,

C' anem dreit a las tendas, com per batalha dar; 

E, si eison deforas, que ns vulhan asaltar,

E si nos de las tendas no 'ls podem alunhar,

No i a mas que fugam tot dreit ad Autvilar.”

Ditz lo coms Baudois: “Anem o esaiar;

E si eisson defora, pessem del be chaplar;

Que mais val mortz ondrada, que vius mendiguejar.”

Ab tant Folquets, l' avesques, los a pres a senhar;

Guilheumes de la Barra los pres a capdelar,

E fe'ls en tres partidas totz essems escalar,

E totas las senheiras el primer cap anar;

E van dreit a las tendas.

Tuit s' en van a las tendas, per meias las palutz,

Senheiras desplegadas e 'ls penos destendutz...

El bos reis d' Arago, cant los ag perceubutz,

Ab petits companhos es vas lor atendutz,

E l' ome de Tolosa i son tuit corregutz; 

Que anc ni coms, ni reis non fon de ren creutz,

E anc non saubon mot, tro 'ls Frances son vengutz;

E van trastuit en lai on fon reis conogutz;

E 'l, escrida: “Eu so 'l reis!” Mas no i es entendutz,

E fo si malament e nafratz e ferutz,

Que per mieia la terra s' es lo sancs espandutz; 

E l' ora s cazec mortz aqui totz estendutz.

E l' autre, cant o viron, teno s per deceubutz.

Qui fug sa, qui fug la, us no s' es defendutz...

E l' ome de Toloza, c'als traps son remazutz,

Estero tuit essemps malament desperdutz... 

E 'l pobles de Toloza, e lo grans e 'l menutz,

S'en son trastuit essems ves l' aiga corregutz...

L' aiga, qu' es rabineira, n' a negatz...

Mot fo grans lo dampnatges e 'l dols e 'l perdementz,

Cant lo reis d' Arago remas mort e sagnens,

E mot d' autres baros; don fo grans l' aunimens

A tot crestianesme e a trastotas gens.

E 'ls omes de Tholoza, totz iratz e dolens,

Aicels qui son estortz, que no son remanens,

S'en intran a Toloza, dedins los bastimens.

En Symos de Montfort, alegres e jauzens,

A retengut lo camp, don ac mans garnimens...

E lo coms de Tolosa es iratz e dolens,

E a dig al capitol, e aquo bassamens,

Qu'al mielhs que els puescan fassan acordamens;

Que el, ira al papa far sos querelhamens,

Qu' En Simos de Montfort, ab sos mals cauzimens,

L' a gitat de sa terra ab glazios turmens.

Pueih issic de sa terra, e sos filhs ichamens.

E 'ls homes de Toloza, cum caitieus e dolens,

S' acordan ab En Simo, e li fan sagramens,

E redo s' a la gleiza a totz bos cauzimens.


“Seigneurs, ce leur a-t-il dit, oyez, vu que je vous le veux montrer: Simon 

est venu là, et ne peut échapper; mais pourtant je vous veux instruire d' autant que la bataille sera avant la vesprée. Et vous autres soyez habiles pour diriger, sachez et frapper et donner les grands coups, vu que s' ils étaient dix fois autant, nous les ferons encore tourner le dos.” Et le comte de Toulouse se prit à parler: “Seigneur roi d' Aragon, si vous me voulez écouter... Faisons autour des tentes dresser les barrières, de sorte que nul homme à cheval ne puisse entrer dedans; et si viennent les Français, qu' ils nous veuillent donner assaut, et nous, avec les balistes nous les ferons tous navrer... Et nous pourrons ainsi les mettre tous en déroute.” Ce dit Michel de Luzian: “Ceci ne me paraît pas bon que jamais le roi d' Aragon fasse cette inconvenance, et c'est fort grande faute, puisque vous avez où tenir; par votre lâcheté vous vous laissez dépouiller.” - “Seigneurs, ce dit le comte, je ne puis achever (de dire) autre chose; qu' il soit maintenant comme vous voudrez, vu qu' avant qu' il fasse nuit nous verrons bien lequel ira le dernier au lever du camp.” 

Alors ils crient aux armes et vont tous s' armer; jusque sus aux portes ils s' en vont éperonner, tellement qu' ils ont fait enfermer tous les Français, et ils vont jeter les lances parmi la porte, de sorte que le dedans et le dehors combattent sur le seuil, et se jettent dards et lances, et se vont donner de grands coups. D'entre les deux parties ils en font ruisseler le sang, tellement que vous verriez toute la porte devenir vermeille. Quand ceux de là dehors ne purent entrer dedans, directement aux tentes ils se prennent à retourner; vous les voilà tous assis ensemble pour dîner. Mais Simon de Montfort fait crier par Muret, par 

tous les logis, qu' ils fassent seller et qu' ils fassent jeter les couvertures sur les chevaux, qu' ils verront de ceux de dehors s' ils pourront les surprendre... Et, quand ils furent dehors, il se prit à dire: “Seigneurs barons de France, je ne sais vous donner aucun conseil, si ce n' est que nous sommes tous venus pour nous mettre tous en péril. Oncques de toute cette nuit je ne fis que réfléchir, et 

mes jeux ne dormirent ni purent reposer; et j'ai imaginé ainsi dans mon méditer: qu' il nous conviendra passer par ce sentier, afin que nous allions droit aux tentes, comme pour livrer bataille; et s' ils sortent dehors, qu' ils veuillent nous assaillir, et si nous ne pouvons les éloigner des tentes, il n' y a plus qu'à fuir tout droit à Hautvilars.” Le comte Baudoin dit: “Allons essayer cela; et, s' ils sortent dehors, pensons à bien chapler; car mieux vaut mort honorable que de mendier vivant.” Alors Folquet, l' évêque, les a pris à bénir; Guillaume de la Barre les prit à organiser, et les fit tous échelonner en trois parties, et marcher les bannières au premier rang; et ils vont droit aux tentes.

Ils s' en vont tous aux tentes, à travers les marais, bannières déployées et penons étendus... Le bon roi d' Aragon, quand il les eut aperçus, avec un petit nombre de compagnons s' est dirigé vers eux, et les hommes de Toulouse y sont tous courus; vu qu'oncques ni comte, ni roi il ne fut cru en aucune manière, et ils n' en surent mot oncques, jusqu'au moment où les Français sont venus; et (ceux-ci) vont tous par là où il fut reconnu roi; et lui, il s' écrie: “Je suis le roi!” Mais il n' y est pas entendu, et il fut si malement et blessé et frappé que le sang s' est répandu parmi la terre; et alors il tomba mort là, tout étendu. Et les autres, quand ils virent cela, se tiennent pour déçus. Qui fuit çà, qui fuit là; pas un ne s' est défendu...; et les hommes de Toulouse, qui sont demeurés aux tentes, furent tous ensemble malement éperdus...; et le peuple de Toulouse, et le grand et le menu, s' en sont tous ensemble courus vers l' eau... l' eau, qui est rapide, en a noyé...

Très grand fut le dommage et la douleur et la perte, quand le roi d' Aragon resta mort et saignant, et beaucoup d' autres barons; dont fut grande la honte pour toute la chrétienté et pour toutes gens. Et les hommes de Toulouse, tous courroucés et dolents, ceux-là qui sont échappés, qui ne sont pas restants, rentrent à Toulouse, dans les maisons. Le seigneur Simon de Montfort, alègre et joyeux, a retenu le camp, dont il eut maints équipements... Et le comte de Toulouse est courroucé et dolent, et il a dit au capitoulat, et cela tout bas, que au mieux qu'ils pourront ils fassent accord; que lui, il ira au pape faire ses plaintes de ce que le seigneur Simon de Montfort, avec ses mauvais procédés, l' a chassé de sa terre avec douloureux tourments. Puis il sortit de sa terre, et son fils également. Et les hommes de Toulouse, comme chétifs et dolents, s' accordent avec le seigneur Simon, et lui font serments, et se rendent à l' église avec toutes sortes de bons égards.

Avant de prendre possession de Toulouse, Simon envoie un message au fils du roi de France, qui vient, et entre triomphalement dans la ville, à la tête des croisés. On comble ensuite les fossés, et le prince retourne auprès de son père, qui ne se montre pas très satisfait.

Pendant que les choses vont ainsi à Toulouse, le comte et son fils arrivent à Rome, au moment où allait se tenir le concile de Latran de 1215.


Cant la cortz es complida, es mot grans lo ressos.

Del senhor apostoli, qu' es vers religios,

Lai fo faitz lo concilis, e la legacios

Dels prelatz de glieza, que lai foron somos

Cardenals e avesques, e abatz e priors,

E comtes e vescomtes de motas regios.

Lai fo 'l coms de Tholosa e sos fils bels e bos,

Qu'ez vengutz d' Englaterra ab petitz cumpanhos;

E trespassec per Fransa, per motz locs perilhos;

Car gent N Arnaut Topina l' i menet a rescos,

E s' es vengutz a Roma, on es sagracios,

E mandec l' apostolis que reconciliatz fos; 

Qu'anc no nasquec de maire nulhs plus avinens tos,

Qu'el es adreitz e savis e de gentils faisos,

E del milhor linage que sia ni anc fos... 

E fo i 'l coms de Foih qu' es avinens e pros.

E denant l' apostoli gietan s' a genolhos

Per recobrar las terras que foron dels pairos.

L' apostolis regarda l' efant e sas faisos,

E conosc lo linatge, e saub las falhizos...

De pietat e d' ira n' a 'l cor tant doloiros

Qu'en sospira e 'n plora de sos olhs ambedos.

Mas lai no val als comtes dreitz ni fes ni razos...

Mas denant l' apostoli, car es temps e sazos,

Se leva 'l coms de Foih; e aonda 'l razos...

Cant lo coms se razona desobre 'l paziment,

Tota la cortz l' escouta e l' esgarda e l' entent.

E ac la color fresca e lo cors covinent,

E venc al apostoli, e dih li belament:

“Senher dreitz apostolis, on totz lo mon apent,

Et el loc de sent Peire e 'l seu governament,

On tuit li pecador devon trobar guirent,

E deu s tener drechura e patz e judjament,

Per so car i est pauzatz al nostre salvament;

Senher, mos diitz escota e totz mos dreit me rent;

Qu' ieu me posc escondire e far ver sagrament

C' anc non amei eretges ni nulh hom mescrezent,

Ni volh ja lor paria, ni mos cors no 'ls cossent.

E pos la santa glieza me troba obedient,

Soi vengutz en ta cort per jutjar leialment,

Eu, e 'l rics coms mos senher, e sos filhs ichament,

Qu'es bels e bos e savis e de petit jovent,

E anc no fe ni dig engan ni falhiment.

E pos dreh no l' encuza, ni razos no 'l reprent,

Si non a tort ni colpa a nulha re vivent,

Be m fai grans meravilhas per que ni per cal sent

Pot nulhs prosom suffrir son dezeretament.

E lo rics coms mos senher, cui grans honors apent,

Se mezeis e sa terra mes el teu cauziment,

Proensa e Tholosa e Montalba rendent;

E poih foron lhivrat a mort e a turment,

Al peior enemic e de peior talent,

A 'N Simon de Montfort, que 'ls lhia e los pent

E 'ls destrui e 'ls abaicha, que merces no lh'en prent.

E pos se foron mes el teu esgardament,

So vengutz a la mort e al perilhament.

E ieu meteis, ric senher, per lo tieu mandament,

Rendei 'l castel de Foih, ab lo ric bastiment;

E 'l castels es tant fortz, qu' el mezeis se defent;

E avia i pa e vi pro e carn e froment,

E aiga clara e dousa jos la rocha pendent,

E ma gentil companha e mot clar garniment;

E no 'l temia perdre per nulh afortiment.

E sap o 'l cardenals, si m' en vol far guirent,

Si cum eu lo lhivrei; qui aital no 'l me rent,

Ja nulhs om no s deu creire e nulh bel covenent.”

Lo cardenals se leva e respondet breument,

E venc al apostoli, e dig li belament:

“Senher, so qu' el coms ditz, de sol I mot no i ment,

Qu' ieu receubi 'l castel, e 'l lhivrei verament;

E la mia prezensa i mes son establiment

L' abas de sent Tuberi.

L' abas de sent Tuberi es pros e gent abitz,

E 'l castels es mot fortz e ben e gent garnitz;

E 'l coms a bonament Dieu e tu obezit.”

Ab tant se leva em pes, car estec ben aizitz,

L' evesques de Tholosa, de respondre amarvitz:

“Senhors, so ditz l' avesques, tug auzetz que 'l coms ditz,

Qu'el s' es de la eretgia delhivratz e partitz:

Eu dic que de sa terra fo la mager razitz;

E el los a amatz e volgutz e grazitz,

E totz lo seus comtatz n' era ples e farzitz.

E 'l pog de Montsegur fo per aital bastitz

Qu'el los pogues defendre, e 'ls hi a cossentitz.

E sa sor fo eretja, cant moric sos maritz,

E estec poih a Pamias plus de III ans complitz;

Ab sa mala doctrina, n' i a mans convertitz.

E los teus peregris, per cui Dieus fo servitz, 

Que cassavan eretges e rotiers e faizitz,

N'a tans mortz e trencatz e brizatz e partitz,

Que lo cams de Montjoy ne remas si crostitz

Qu'encara 'n plora Fransa, e tu 'n remas aunitz.

Lai, foras, a la porta, es tals lo dols e 'l critz

Dels orbs e dels faiditz e d' aicels meg partitz,

Que negus no pot ir, si no lo mena guitz.

E cel que los a mortz ni brizatz ni cruichitz

Ja no deu tenir terra, c' aitals es sos meritz.”

N. Arnaud de Vilamur es sus em pes salhitz,

E fo ben entendutz e gardatz e auzitz;

Pero gent se razona; no s' es espaorzitz:

“Senhors, s' ieu saubes qu' el dans fos enantitz

Ni qu'en la cort de Roma fos tant fort enbrugitz

Mais n' i agra per ver ses olhs e ses narritz.”

- “Per Dieu, ditz l' us a l' autre, est es fols et arditz!”

- “Senher, so ditz lo coms, mos grans dreitz m' esconditz,

E ma leial drechura, e mos bos esperitz;

E, qui per dreg me jutja, hieu so sals e guaritz;

Qu' anc non amei eretges, ni crezens, ni vestitz,

Enans me soi rendutz e donatz e ufritz,

Dreitamens a Bolbona, on ieu fui ben aizitz,

On trastotz mos lhinatges es datz e sebelhitz.

Del pog de Montsegur es lo dreg esclarzitz,

Car anc no 'n fui I jorn senher poestaditz.

E si ma sor fo mala, ni femna pecairitz,

Ges, per lo sieu pecatz, no dei estre peritz.

Car estec en la terra, es lo dreitz devezitz,

E car lo coms, mos paire, dih, ans que fo fenitz,

Que si el efant avia qu' e nulh locs fos marrit,

Que tornes en la terra en que era noiritz,

E qu' el agues sos ops e fos be reculhitz.

E jur vos, pel Senhor...

Que anc bos peregris ni lunhs romeus aizitz,

Que serques bos viatges, que Dieus ha establit,

No fo per me destruitz ni raubatz ni fenitz,

Ni per ma companhia lor camis envazitz.

Mas d' aquels raubadors, fals trachos, fe mentitz,

Que portavan las crotz, per qu' ieu fos destrusit; 

Per me ni per los meus, no 'n fo nulhs cosseguitz

Que no perdes los olhs e 'ls pes e 'ls punhs e 'ls ditz.

E sab me bo de lor que ai mortz e delitz,

E mal d' aquels que son escapatz e fugitz.

E dic vos, del avesque, que tant n' es afortitz,

Qu'en la sua semblansa es Dieus e nos trazitz;

Qu'ab cansos messongeiras e ab motz coladitz,

Dont totz hom es perdutz que 'ls canta ni los ditz,

E ab sos reproverbis afilatz e forbitz,

E ab los nostres dos, don fo enjotglaritz,

E ab mala doctrina, es tant fort enriquitz

C'om non auza ren diire a so qu' el contraditz.

Pero, cant el fo abas ni monges revestitz,

En la sua abadia fo si 'l lums escurzitz

Qu'anc no i ac be ni pauza tro qu' el ne fo ichitz.

E cant fo de Tholosa avesques elegitz,

Per trastota la terra es tals focs espanditz

Que jamais per nulha aiga no sira escantitz; 

Que plus de X milia, que de grans que petitz,

I fe perdre las vidas e 'ls cors e 'ls esperitz.

Per la fe qu' ieu vos deg, al seus faitz e als ditz

E a la captenensa, sembla mielhs Antecrist

Que messatges de Roma.

Qu'el messatge de Roma m' a dig e autreiat

Qu'el senher apostolis me rendra ma eretat;

E ja nulhs hom no m tenga per nesci ni per fat,

S' ieu lo castel de Foih volia aver cobrat;

Que Dieus ne sab mon cor, co 'l tendria membrat.

Lo cardenals, mo senher, ne sab la veritat,

Co 'l rendei bonament e ab sen e ab grat.

E aicel que rete so c'om lh'a comandat,

Per dreg e per razo, li deu estre blasmat.

- “Coms, so ditz l' apostolis, mot as gent razonat

Lo teu dreg, mas lo nostre as I un petit mermat.

Eu saubrei lo teu dreg e la tua bontat;

E si tu as bon dreg, cant o aurei proat,

Cobraras ton castel aisi co l' as lhivrat.

E si la santa gleiza te recep per dampnat,

Tu deus trobar merce, si Dieus t'a espirat.

Tot pecador maligne, perdut e encadenat,

Deu be recebre glieiza, si 'l troba perilhat.

Si s penet de bon cor ni fa sa volontat.”

E puis a dig als autres: “Entendetz est dictat,

Car a totz vulh retraire so c'ai ordenat:

Que tug li meu dissiple anon enluminat,

E porto foc e aiga e perdo e clartat

E dossa penedensa e bona humilitat,

E porto crotz e glavi, ab que jutjo membrat,

E bona patz en terra, e tengan castetat,

E que porto dreitura e vera caritat,

E nulha re no fassan que Dieus aia vedat.

E qui mais n' i aporta, ni plus n' a prezicat,

Non o a ab mon dig ni ab ma volontat.”

Ramons de Rocafolhs a en aut escridat:

“Senher dreitz apostols, merce e pietat

Aias d' un effan orfe, jovenet ichilat,

Filh del onrat vescomte que an mort li crozatz

E 'N Simos de Montfort. Cant hom l' i ac lhivrat,

Ladoncs baichet paratges lo tertz o la mitat,

E cant el pren martiri a tort e a pecat;

E no as en ta cort cardenal ni abat

Agues milhor crezensa a la crestiandat.

E poi es mort lo paire, e 'l filh dezeretat,

Senher, ret li la terra; garda ta dignitat.

E si no la ih vols rendre, Dieus te do aital grad

Que sus la tua arma aias lo sieu pecat.

E si no la li lhivras en breu jorn assignat,

Eu te clami la terra e 'l dreg e la eretat

Al dia del judici, on tuit serem jutjat.”

- “Baros, ditz l' us a l' autre, mot l' a gent encolpat!”

- “Amix, ditz l' apostols, ja er be emendat.”

E son palaitz s' en intra, e ab lui sei privat;

E los comtes remazo sus el marbre letrat.

Ditz Ar. de Cumenge: “Gent avem espleitat;

Oimais podem anar, car tant es delhivrat

Qu' intra s' en l' apostolis.”

L' apostolis s' en intra del palaitz en I ort,

Per defendre sa ira e per pendre deport.

Li prelat de gleiza vengro a un descort,

Tuit denan l' apostoli, per traire I bel conort,

E encusan los comtes mot durament e fort:

“Senher, si lor rens terra, nos em tuit de meg mort;

Si la datz a 'N Simo, em gueritz e estort.”

- “Baros, ditz l' apostols, no us pes si m' en acort.”

El a ubert I libre, e conosc I sort

Qu'el senher de Toloza pot venir a bon port.

“Senhors, ditz l' apostols, en aiso m dezacort:

Ses dreg e ses razo, cum farei tant gran tort

Qu'el coms, qu' es vers catholics, dezerete a tort,

Ni que 'lh tolha sa terra, ni que son dreit trasport?...”

Folquet, lo nostre evesque, es denant totz prezens,

E parla am l' apostoli, tan com pot, umialmens:

“Senher dreitz apostols, cars paire Innocens,

Co potz dezeretar aisi cubertamens

Lo comte de Montfort, qu' es vers obediens

E filhs de santa glieiza, e lo teus bevolens...

E tu tols li la terra... e 'ls bastimens... 

E aisso que lh' autreias es dezeretamens...

E aiso que tu li donas, es non res e niens!

Mas lhivra li la terra tota cominalmens,

E a lhui e al lhinatge, ses totz retenemens.

E si no la 'lh das tota, qu' el ne sia tenens,

Eu volh que per tot passe glazis e focs ardens.

Si la 'lh tols per catolic, ni per lor la 'lh defens,

Eu, que so tos avesques, te jur be veramens

C'us d' els non es catholic, ni no te sagramens.

E si per aiso 'l dampnas, tu fas be a parvens

Que no vols sa paria, ni t membra chauzimens.”

Ditz l' arsevesques d' Aug: “Senher rics, car, manens,

Aiso que ditz l' avesques, qu' es savis e sabens,

Si 'N Simos pert la terra, tortz er e dampnamens.”

Cardenals e avesques, arsevesques, III cens,

Dizo al apostoli: “Senher, totz nos desmens;

Nos avem prezicat e retrahit a las gens

Qu'el coms R. es mals e sos captemens,

Per que no escairia que fos terra tenens.”

L' arquidiagues se leva, que esta ensezens,

Del Leo sobr'el Roine, e ditz lor duramens:

“Senhors, no platz a Dieu aquest encuzamens,

Car lo coms R. pres la crotz primeiramens,

E defendec la glieiza, e fetz sos mandamens.

E si glieiza l' encuza, que'lh degra esser guirens,

Ela n' er encolpada, e nos valdrem ne mens!...”

- “Senher, ditz l' apostols...

Ni dels vostres prezics engoichos e cozens,

Que faitz outra mon grat...

Ni dels vostre talens non deu esser sabens;

Que anc, per la fe qu' ie us dei, no m' ichic per las dens

Que lo comte R. fos dampnatz ni perdens.

Senhors, ja recep glieiza pecadors penedens;

E si es encuzatz pel nescis non sabens,

Si anc fetz re vas Dieu que 'lh sia desplazens,

El s' es a mi rendutz, sospirans e planhens,

Per far los nostres digs e los meus mandamens.”

Apres venc l' arsevesques de Narbona, dizens:

“Senher rics, paire digne, ara t' aonda sens;

E jutja e governa, e no sias temens,

Ni no t fassa desperdre temensa ni argens.”

- “Baro, ditz l' apostols, faitz es lo jutjamens:

Que lo coms es catolix e s capte leialmens;

Mas En Simos tenga la terra.

Simos tenga la terra, si Dieus l' o a promes;

E nos, jutgem lo dreit aisi com es empres:”

E el dicta e jutja si que tug l' an entes:

“Baro, ieu dic del comte que vers catolix es,

E si'l cors es pecaire ni de re sobrepres,

Que l' esperit s' en dolha, ni s' en clame, ni'lh pes.

Si 'l cors dampna la colpa, be lhi deu esser pres;

E fas me meravilhas per que m' avetz comes

C'al comte de Montfort assignes lo pays,

Que no vei dreitura per que far o degues.”

Ditz Maestre Tezis: “Senher, la bona fes

Del comte de Montfort, a cui tan be es perpres,

Can cassec la eretgia, e la glieiza defes,

Li devria valer que la terra tengues.”

- “Maestre, ditz lo papa, el fa ben contrapes,

Que destrui los catolics engal dels eretges:

Grans clams e grans rancuras m' en ven e cada mes,

Tant que lo bes abaicha e lo mals es eces.” (de excelsis)

Per mei la cort, se levan cadados, cadatres,

Tuit denant l' apostoli, e poig an lo enques:

“Senher rics apostoli, ara saps tu com es;

Que lo coms de Montfort remas en Carcasses,

Per destruire los mals, e que i mezes los bes,

E casses los eretges e 'ls rotiers e 'ls Valdres,

E pobles los catolics e 'ls Normans e 'ls Frances.

E poichas, ab la crotz, el a o tot comques:

Agen e Caerci, Tolzan e Albeges,

E 'l fortz Foig, e Tholoza, e Montalba, qu' el mes

E ma de senta glieiza, e la gleiza l' a pres.

E pos tans colps n' a datz e receubutz e pres,...

E en tantas maneiras s' en es fort entremes,

Non es dreitz ni razos c'om ara lo ilh tolgues...” 

- “Baro, ditz l' apostoli, no pos (1) mudar non pes, (1) (sic) Lisez posc.

Car ergolhs e maleza es entre nos ases.

Nos degram governar, per bon dreit, tot cant es;

E recebem los mals, e fam perir los bes.

E si'l coms dampnatz era, aiso qu' el pas non es,

Sos filhs, per que perdra la terra ni l' eres?

E ja, ditz Jhesu Christ, que reis e senher es,

Que, pel pecat del paire, lo filhs non es mespres.

E si el o autreia, diirem nos que si es?

E no i a cardenal ni prelat, tan plaides,

S' aquesta razo dampna, qu' el no 'n sia mespres.

Enquera i a tal prolec que a vos no membra ges:

Que cant las crotz primeiras vengon en Bederres, (2: (sic) Lisez vengron.) 

Per destruire la terra, e que Bezers fo pres,

L' efans era tant joves e tant nescia res,

Que el pas no sabia que s' era mals ni bes;

Mais volgra I auzelo o I arc o I bres,

Que no feira la terra d' un duc o d' un marques.

E cal de vos l' encuza, si el pecaire non es,

Qu'el deia perdre terra ni la renda ni 'l ces?...” (censo, censal) 

De totas partz li dizon: “Senher, no temiatz ges!

Anen lo paire e 'l filhs lai on promes li es,

E al comte Simo assignatz lo paes,

E qu' el tenga la terra.

Simos tenga la terra e sia capdelaire.”

- “Baros, ditz l' apostols, plus no la 'lh posc estraire;

Garde la be, si pot, c'om no l' en pusc' araire,

Car jamais, per mon grat, non er om prezicaire.”

Ab tant pres l' arsevesques d' Obezin' a retraire:

“Senher rics apostols, adreitz e bos salvaire,

Si 'N Simos de Montfort t'a sai trames so fraire,

Ni l' avesque Folquet que s' en fa razonaire,

Ja lo coms de Monfort no i eretara gaire,

Car l' onratz nebs del rei l' en pot ben, per dreg, raire;

E si el pert, per tort, la terra de son paire,

Ira doncs per lo mon, perilhatz coma laire?...”

- “No, so ditz l' apostols, car ges no s tang a faire;

Car ieu li darai terra aital co m' er veiaire,

Veneisi, e aquela que fo del emperaire.

E si el ama ben Dieu ni la gleiza, sa maire,

Qu'el no sia vas lor ergulhos ni bauzaire,

Dieus lhi rendra Tholosa e Agen e Belcaire.”

Dih l' abas de Belloc: “Senher enluminaire,

Lo teus filhs, reis engles, e lo teus cars amaire,

Qu'es devengutz tos hom, e t'ama ses cor vaire,

T'a trames so sagel e de boca mandaire,

Que te remembre merces e 'l jutjamen de Daire...”

- “N abas, ditz l' apostols, eu no i posc al res faire; 

Cascus dels meus prelatz es contra me dictaire...

Mas eu ai mantas vetz auzit dir e retraire:

Hom joves ab bon cor, can sab dar ni maltraire,

Ni es be afortitz, recobra so repaire.

E si l' efans es pros, sabra be que deu faire;

Car ja no l' amara lo coms de Montfort gaire,

Ni no 'l te per so filh, ni el lui per son paire...”

El senher apostols repaira del dictar,

E 'lh prelat de la glieiza que l' an fait acordar...

Vai lo coms de Tholoza per acomjadar;

Lo comte de Foig mena, que sab ben dir e far,

E troban l' apostoli adreit per escoutar;

E lo coms s' umilia, pres se a razonar:

“Senher dreitz apostols, cui Dieus ama e ten car,

Be m fas grans meravilhas cals boca poc parlar

Que nulhs hom me degues per dreit dezeretar,

Qu' ieu non ai tort ni colpa per que m deias dampnar.

En ton poder me mezi per ma terra cobrar;

Er son intratz en l' onda, on no posc aribar,

Qu' ieu no sai on me vire, o per terra o per mar...

Ara s pot totz lo mons a dreit meravilhar,

Car lo coms de Toloza es datz a perilhar;

Qu' ieu non ai borc ni vila on posca repairar.

Cant te rendei Tolosa, cugei merce trobar,

E si ieu la tengues, no m' avengra a clamar;

E car la t'ei renduda, e no la t vulh vedar,

Soi vengutz al perilih e al teu merceiar!

Anc no cugei vezer, ni m degra albirar

Qu' ieu ab la santa glieiza pogues tant mescabar.

Lo teus ditz e 'l meus sens m' a fait tant foleiar,

C'ara no sai on m' an, ni on posca tornar.

Ben dei aver gran ira, can m' ave a pessar

Que d' autrui m' er a penre, e ieu solia dar!

E l' efans, que no sab ni falhir ni pecar,

Mandas sa terra toldre, e lo vols decassar!

E tu, que deus paragte e merce gouvernar, (paratge)

Membre t Dieus e paratges, e no m laiches pecar;

Car tua n' er la colpa, s' ieu non ai on estar!...”

- “Coms, so ditz l' apostols, no t cal desconortar,

Que ben conosc e sai que m' en cove a far.

Si m laissas un petit revenir ni membrar,

Eu farai lo teu dreit e 'l meu tort esmendar.

S' ieu t'ai dezeretat, Dieus te pot eretar;

E si tu as gran ira, Dieu te pot alegrar;

E si tu as pergut, Dieus t'o pod restaurar;

Si tu vas en tenebras, Dieus te pod alumnar;

E pos Dieus a poder de toldre e de dar,

De nulha re no t vulhas de Dieu desesperar.

Si Dieus me laisa viure, que posc' a dreit renhar,

Tant farei lo teu dreit enantir e sobrar,

Que de re no poiras Dieu ni mi encolpar.

E dig te, dels felos que m volo encusar,

Ja no tarzara gaire que m' en veiras venjar.

En aital aventura t' en poscas retornar

Que, si tu as bon dreit, Dieus t' ajut e t'ampar!

E laissar m' as to filh, que m voldrei cosselhar

En cantas de maneiras lo poirai eretar...”

L' apostolis lo senha al seu comjat donar,

E 'l coms de Foig remas per sos dreitz demandar.

E manda 'l l' apostolis son castel recobrar.

Ladoncs se pres lo paire e 'ls filhs a sospirar:

Lo fils per lo remandre, e 'l paire per l' anar.

E lo coms eis de Roma, can venc al dia clar.


Quand la cour est réunie, grand est le retentissement. Du seigneur pape, qui est vrai religieux, là fut fait le concile, et la députation des prélats de l' église, vu que là furent appelés cardinaux et évêques et abbés et prieurs et comtes et vicomtes de maintes régions. Là fut le comte de Toulouse et son fils bel et bon, qui est venu d' Angleterre avec peu de compagnons, et traversa parmi la France, par maints lieux périlleux; car le seigneur Arnaud Topina l' y guida bien en secret, et il est venu à Rome, où est la sanctification; et commanda le pape qu' il fut réconcilié; vu que oncques ne naquit de mère aucun enfant plus avenant, vu qu' il est bien élevé et sage, et de gentilles façons, et du meilleur lignage qui soit ni fut jamais... Et y fut le comte de Foix, qui est avenant et preux. Et ils se jettent à genoux devant le pape pour recouvrer les terres qui furent des ancêtres. Le pape considère l' enfant et ses façons, et connut la race et sut les fautes... De pitié et de chagrin il en a le cœur si affligé qu' il en soupire et en pleure de ses deux yeux. Mais là ne vaut aux comtes droit, ni foi, ni raison...

Mais devant le pape, car c'est le temps et la saison, se lève le comte de Foixet raison lui abonde...

Lorsque le comte prend la parole sur le pavé, toute la cour l' écoute et le regarde et lui prête attention. Et il eut la couleur fraîche et le corps convenable; el il vint au pape, et lui dit bellement: “Seigneur juste pape, où tout le monde aboutit, ainsi qu'au lieu de saint Pierre et à son autorité, où tous les pécheurs doivent trouver protection, et doit se tenir droiture et paix et justice, parce que tu y es placé pour notre salut; seigneur, écoute mes paroles et me rends tous mes droits; vu que je puis me justifier et faire vrai serment qu'oncques je n' aimai hérétiques ni aucun homme mécréant, ni ne veux jamais leur société, ni mon cœur ne les approuve. Et puisque la sainte Église me trouve soumis, je suis venu en ta cour pour être jugé loyalement, moi, et le puissant comte mon seigneur, et son fils aussi, qui est bel et bon et sage et de tendre jeunesse, et oncques ne fit ni ne dit fourberie ni fausseté. Et puisque le droit ne l' accuse, ni raison ne le reprend, s' il n' a tort ni faute envers nulle chose vivante, bien me fait grandes surprises pourquoi, ni pour quel motif, aucun prudhomme peut souffrir son exhérédation. Et le puissant comte mon seigneur, de qui grands fiefs relèvent, se mit lui-même et sa terre à ta discrétion, rendant la Provence et Toulouse et Montauban; et puis ils furent livrés à mort et à tourment, au pire ennemi et de pire désir, au seigneur Simon de Montfort, qui les garrotte et les pend et les détruit et les abaisse, vu que merci ne lui en prend. Et après qu' ils se furent mis sous ta sauvegarde, ils sont venus à la mort et au péril. Et moi-même, puissant seigneur, par ton ordre, je rendis le château de Foix, avec le superbe bâtiment; et le château est si fort qu' il se défend lui-même; et il y avait pain et vin assez, et chair et froment, et eau claire et douce sous la roche pendante, et ma noble compagnie et mainte brillante armure; et je ne craignais de le perdre par aucun effort. 

Et le cardinal le sait, s' il veut m' en faire garantie, comment je le livrai; qui ne me le rend pas de même, jamais aucun homme ne doit avoir foi en aucune belle promesse.” Le cardinal se lève et répondit brièvement, et vint au pape, et lui dit bellement: “Seigneur, en ce que dit le comte, il n' y ment pas seulement d' un mot, vu que je reçus le château et le livrai véritablement; en ma présence l' abbé de Saint-Thibéry y mit sa garnison. L' abbé de Saint-Thibéry est preux et bien famé, et le château est très fort et bien et convenablement pourvu; et le comte a fidèlement obéi à Dieu et à toi.” 

Alors l' évêque de Toulouse, empressé de répondre, se lève sur pieds, car il se tint bien à l' aise: “Seigneurs, ce dit l' évêque, vous entendez tous ce que dit le comte, qu' il s' est détaché et séparé de l' hérésie: moi, je dis que la plus grande racine fut de sa terre; et il les a aimés et recherchés et agréés, et tout son comté en était plein et farci. Et le Puy de Montségur fut bâti de telle façon, qu' il les put défendre, et il les y a soufferts. Et sa soeur fut hérétique, quand mourut son mari, et elle resta depuis à Pamiers plus de trois ans accomplis; avec sa mauvaise doctrine, elle y en a converti plusieurs. Et tes pélerins, par qui Dieu fut servi, qui pourchassaient hérétiques et routiers et bandits; il en a tant tués et massacrés et mutilés et mis en pièces, que la campagne de Mont-joie en demeura tellement recouverte que la France en pleure encore, et tu en demeures honni. Là, dehors, à la porte, est tel le deuil et le cri des orphelins et des bannis et des mutilés, que nul ne peut aller, si ne le mène un guide. Et celui qui les a tués et brisés et écrasés ne doit désormais posséder terre: vu que tel est son mérite.” Le seigneur Arnaud de Vilamur s' est dressé sur ses pieds, et fut bien écouté et regardé et entendu; pourtant il parle gentiment; il ne s' est pas effrayé: “Seigneurs, si j' avais su que le dommage fût mis en avant, et qu'on en dût faire si grand bruit à la cour de Rome, en vérité il y en aurait plus sans yeux et sans narines.” - “Par Dieu! dit l' un à l' autre, celui-là est fou et téméraire!” - “Seigneurs, ce dit le comte, mon plein droit me justifie, ainsi que ma loyale droiture et ma bonne intention; et, si on me juge avec le droit, je suis sauvé et garanti, vu que jamais je n' aimai hérétiques, ni novices, ni profès; au contraire, je me suis rendu et donné et offert directement à Bolbonne, où j'ai été bien accueilli, où toute ma race est donnée et ensevelie. Quant au Puy de Montségur, le droit est clair, puisque oncques je n' en fus seigneur possesseur un seul jour. Et si ma sœur fut méchante et femme pécheresse, je ne dois point être perdu pour son péché. De ce qu' elle demeura sur ma terre, le droit est établi, puisque le comte, mon père, dit, avant qu' il fut mort, que s' il avait enfant qui fût marri en aucun lieu, il revînt dans la terre en laquelle il était élevé, et qu' il eût son nécessaire et fût bien accueilli. Et je vous jure, par le Seigneur..., que jamais bon pélerin ni aucun romieu accommodant, cherchant les bonnes voies que Dieu a établies, ne fut par moi détruit ni pillé ni occis, ni par ma compagnie leur chemin envahi. Mais de ces voleurs, faux traîtres, parjures, qui portaient les croix, par qui je fus perdu; par moi ni par les miens, n' en fut aucun atteint qu' il ne perdît les yeux et les pieds et les poings et les paroles. Et il me sait bon de ceux que j'ai tués et détruits, et mal de ceux qui se sont échappés et enfuis.

Et je vous dis, touchant l' évêque, qu' il en est tant fortifié, que par sa manière Dieu est trahi et nous; vu qu' avec chansons mensongères et avec paroles mielleuses, par lesquelles est perdu tout homme qui les chante et les dit, et avec ses proverbes affilés et polis, et avec nos présents, dont il fut fait jongleur, et avec doctrine perverse, il est si fort monté en puissance qu'on n' ose rien dire à ce qu' il contredit. Pourtant, quand il fut abbé et moine enfroqué, la lumière fut tellement obscurcie dans son abbaye qu'oncques il n' y eut bien ni repos jusqu'à ce qu' il en fût sorti. Et quand il fut élu évêque de Toulouse, par tout le pays est répandu tel feu que jamais par aucune eau il ne sera éteint; vu qu'à plus de dix mille, tant grands que petits, il fit perdre les vies et les corps et les âmes. Par la foi que je vous dois, à ses œuvres et aux paroles et à la conduite, il semble mieux Antechrist que messager de Rome.

Vu que le messager de Rome m' a dit et assuré que le seigneur pape me rendra mon héritage; et maintenant que nul homme ne me tienne pour sot ni pour fou, si je voulais avoir recouvré le château de Foix; vu que Dieu en sait mon cœur, comme je le tiendrais ressouvenant. Le cardinal, mon seigneur, en sait la vérité, comment je le rendis bonnement et avec sens et avec gré.

Et celui qui retient ce qu'on lui a confié, par droit et par raison, il doit être blâmé.” - “Comte, ce dit le pape, tu as très bien exposé ton droit, mais tu as un peu affaibli le nôtre. Je saurai ton droit et ta bonté; et si tu as bon droit, quand je l' aurai éprouvé, tu recouvreras ton château de même que tu l' as livré. Et si la sainte Église te reçut pour condamné, tu dois trouver merci, si Dieu t'a inspiré. Tout pécheur pervers, perdu et enchaîné, l' Église doit bien l' accueillir, si elle le trouve exposé, s' il se repent de bon cœur et fait sa volonté.” Et puis il a dit aux autres: “Écoutez ce discours, car je veux rappeler à tous ce que j'ai ordonné: que tous mes disciples aillent illuminés, et portent feu et eau et pardon et clarté et douce pénitence et bonne humilité, et portent croix et glaive, avec quoi ils jugent sagement, et bonne paix en terre, et tiennent chasteté, et qu' ils portent droiture et vraie charité, et ne fassent rien que Dieu ait défendu. Et celui qui plus y en apporte, et plus en a prêché, ne l' a (fait) par mon ordre ni avec ma volonté.” Raimond de Roquefeuil s' est écrié hautement: “Seigneur juste pape, ayez merci et pitié d' un enfant orphelin, tout jeune exilé, fils de l' honoré vicomte qu'ont fait périr les croisés et le seigneur Simon de Montfort. Quand on le lui eut livré, et quand il subit le martyre à tort et avec péché, alors noblesse déchut du tiers ou de la moitié; et tu n' as en ta cour cardinal ni abbé qui eût meilleure croyance au christianisme. Et puisque est mort le père, et le fils déshérité, seigneur, rends-lui la terre; garde ta dignité. Et si tu ne veux pas la lui rendre, que Dieu te donne telle situation que tu aies son péché sur ton âme. Et si tu ne la lui livres pas à jour prochain désigné, je te fais appel de la terre et du droit et de l' héritage au jour du jugement, où tous nous serons jugés.” - “Baron, dit l' un à l' autre, il l' a fort bien inculpé!" - “Ami, dit le pape, avant peu il sera bien amendé.” Il rentre dans son palais, et avec lui ses intimes; et les comtes demeurent sur le marbre gravé en lettres. Arnaud de Comminge dit: “Nous avons bien travaillé; désormais nous pouvons aller, car le pape est si délibéré qu' il rentre.”

Le pape se retire dans un jardin du palais, pour dissiper son chagrin et pour prendre distraction. Les prélats de l' Église vinrent à un discord, tous devant le pape, pour tirer un bel encouragement, et ils accusent les comtes très durement et fort: “Seigneur, si tu leur rends la terre, nous sommes tous à demi morts; si tu la donnes au seigneur Simon, nous sommes tous guéris et sauvés.”

- “Barons, dit le pape, qu' il ne vous pèse pas si je m' en accorde.” Il a ouvert un livre, et connut une destinée que le seigneur de Toulouse peut venir à bon port. “Seigneurs, dit le pape, en ceci je diffère: sans droit et sans raison, comment ferai-je si grande injustice que je déshérite à tort le comte, qui est vrai catholique, et que je lui enlève sa terre, et que je transporte son droit?...”

Folquet, notre évêque, est présent devant tous, et il parle avec le pape, autant qu' il peut, humblement: “Seigneur juste pape, cher père Innocent, comment peux-tu déshériter ainsi perfidement le comte de Montfort, qui est vrai obéissant et fils de sainte Église, et ton bienveillant... Et tu lui ôtes la terre...  et les bâtiments... Et ce que tu lui octroies est déshérence... Et ce que tu lui donnes, est un rien et néant! Mais livre-lui toute la terre entièrement, et à lui et à sa race, sans aucune réserve. Et si tu ne la lui donnes toute, de sorte qu' il en soit maître, je veux que partout passe glaive et feu ardent. Si tu la lui enlèves pour des catholiques, et si, à cause d' eux, tu la lui interdis, moi, qui suis ton évêque, je te jure bien véritablement qu'aucun d' eux n' est catholique et ne tient serments. Et si tu le condamnes pour cela, tu fais bien en apparence que tu ne veux pas son alliance, et ne te remémore le mérite.”

L' archevêque d' Auch dit: “Seigneur puissant, cher, opulent, ce que dit l' évêque, qui est sage et instruit, si le seigneur Simon perd la terre, ce sera tort et dommage.” Cardinaux et évêques, archevêques, (au nombre de) trois cents, disent au pape: “Seigneur, tu nous démens tous; nous avons prêché et raconté aux gens que le comte Raimond est méchant dans sa conduite, par quoi il ne conviendrait pas qu' il fut possesseur de terre.” L' archidiacre de Lyon sur le Rhône, qui se tient assis, se lève, et leur dit durement: “Seigneurs, cette accusation ne plaît pas à Dieu, car le comte Raimond prit la croix tout d' abord, et il défendit l' Église, et exécuta ses commandements. Et si l' Église, qui devrait lui être favorable, l' accuse, elle en sera blâmée, et nous en vaudrons moins!...” - “Seigneurs, dit le pape... ni de vos prédications affligeantes et cuisantes, que vous faites contre mon gré... ni de vos désirs je ne dois être instruit; car oncques, par la foi que je vous dois, il ne me sortit par les dents que le comte Raimond fût condamné ni dépossédé. Seigneurs, déjà l' Église accueille les pécheurs repentants; et s' il est accusé par les sots ignorants, si jamais il fit contre Dieu rien qui lui soit déplaisant, il s' est rendu à moi, soupirant et gémissant, pour exécuter nos paroles et mes commandements.” Après vint l' archevêque de Narbonne, disant: “Puissant seigneur, digne père, maintenant t' abonde le bon sens; et juge et gouverne, et ne sois pas craintif, et que ne te fasse égarer crainte ni argent.” - “Barons, dit le pape, le jugement est rendu: c'est que le comte est catholique et se conduit loyalement; mais que le seigneur Simon possède la terre. Que Simon possède la terre, si Dieu le lui a promis; et nous, jugeons le droit ainsi qu' il est commencé.” Et il prononce et juge de manière que tous l' ont entendu: “Barons, je dis du comte qu' il est vrai catholique, et si le corps est pécheur et en quelque chose compromis, que l' âme en souffre, et s' en plaigne, et lui pèse. Si le cœur condamne la faute, bien doit lui être pris; et je m' étonne pourquoi vous m' avez tourmenté afin que j' assignasse le pays au comte de Montfort, vu que je ne vois pas de droiture pour que je dusse le faire.” Maître Tezin dit: “Seigneur, la bonne foi du comte de Montfort, à qui tant de bien s' est attaché, quand il chassa l' hérésie et défendit l' Église, lui devrait mériter qu' il possédât la terre.” - “Maître, dit le pape, il fait bien contrepoids, vu qu' il détruit les catholiques à l' égal des hérétiques: grandes réclamations et grandes plaintes il m' en vient en chaque mois, tellement que le bien diminue et le mal est allumé.” Au milieu de la cour, ils se lèvent deux à deux, trois à trois, tous devant le pape, et puis ils l' ont requis: “Puissant seigneur pape, maintenant tu sais comment il en est; vu que le comte de Montfort demeura en Carcassais pour détruire les maux, et pour qu' il y mît les biens, et chassât les hérétiques et les routiers et les Vaudois, et propageât les catholiques et les Normands et les Français. Et puis, avec la croix, il a conquis tout cela: Agen et Quercy, Toulousain et Albigeois, et le fort de Foix, et Toulouse, et Montauban, qu' il mit en main de sainte Église, et l' Église l' a pris. Et puisqu' il en a donné et reçu et supporté tant de coups,... et s' en est fortement entremis en tant de manières, ce n' est droit ni raison que maintenant on le lui ôtat...” - “Barons, dit le pape, je ne puis changer que je ne pense qu' orgueil ainsi que perversité est assis parmi nous. Nous devrions gouverner, par le bon droit, tout ce qui est; et nous recevons les maux, et faisons périr les biens. Et si le comte était condamné, ce qu' il n' est pas, son fils, pourquoi perdra-t-il la terre et l' héritage? Et déjà Jésus-Christ, qui est roi et seigneur, dit que, par le péché du père, le fils n' est pas déchu. Et s' il octroie cela, dirons-nous (néanmoins) qu' il est ainsi? Et il n' y a cardinal ni prélat, tant qu' il plaide, s' il condamne cette affaire, qu' il n' en soit déchu. 

Il y a encore tel antécédent dont il ne vous souvient point: c'est que quand les premières croix vinrent dans le Biterrois, pour détruire le pays, et que Béziers fut pris, l' enfant était si jeune et chose si innocente, que lui pas ne savait ce qu' était mal ni bien; il aurait mieux aimé un oisillon ou un arc ou un siffletqu' il n' aurait fait la terre d' un duc ou d' un marquis. Et lequel de vous le dénonce, s' il n' est pas coupable, pour qu' il doive perdre la terre et le revenu et le cens?...” De toutes parts ils lui disent: “Seigneur, ne craignez pas! Que le père et le fils aillent là où il lui est promis, et assignez le pays au comte Simon, et qu' il possède la terre. Que Simon possède la terre et soit gouverneur.”

- “Barons, dit le pape, je ne puis plus la lui enlever; qu' il la garde bien, s' il peut, de manière qu'on ne puisse l' en arracher, car jamais, par mon consentement, il ne sera homme prêcheur.” Alors l' archevêque d' Osma se prit à dire: “Puissant seigneur pape, juste et bon sauveur, quoique le seigneur Simon de Montfort t'ait envoyé ici son frère, et (malgré) l' évêque Folquet, qui s' en fait le défenseur, le comte de Montfort n' y héritera guère, car l' honoré neveu du roi peut bien, par droit, l' en chasser; et s' il perd, à tort, la terre de son père, ira-t-il donc par le monde, exposé comme un voleur?...” - “Non, ce dit le pape, car cela ne convient à faire; car je lui donnerai terre telle qu' il me sera avis, le Venaissin, et celle qui fut de l' empereur. Et s' il aime bien Dieu et l' Église, sa mère, qu' il ne soit vers eux arrogant ni trompeur, Dieu lui rendra Toulouse et Agen et Beaucaire.” L' abbé de Beaulieu dit: “Seigneur éclaireur, le roi anglais, ton fils et ton cher ami, qui est devenu ton homme, et t'aime sans cœur changeant, t'a transmis son sceau et mandataire de bouche, pour qu' il te souvienne de merci et du jugement de Darius...” - “Seigneur abbé, dit le pape, je ne puis rien y faire autre chose; chacun de mes prélats est parlant contre moi... Mais j'ai maintes fois ouï dire et rapporter: Un homme jeune avec bon cœur, quand il sait donner et souffrir, et est bien déterminé, recouvre son repaire. Et si l' enfant est preux, il saura bien ce qu' il doit faire; car jamais le comte de Montfort ne l' aimera beaucoup, et il ne le tient pas pour son fils, ni lui pour son père...” Le seigneur pape cesse de parler, ainsi que les prélats de l' Église qui l' ont fait accorder... Le comte de Toulouse va pour prendre congé; il mène le comte de Foix, qui sait bien dire et agir, et ils trouvent le pape disposé à écouter; et le comte se prosterne, il se prit à parler: “Seigneur juste pape, que Dieu aime et tient cher, bien je me fais grand étonnement quelle bouche put dire qu'aucun homme me dut déshériter par droit, vu que je n' ai tort ni faute pour que tu me doives condamner. Je me mis en ton pouvoir pour recouvrer ma terre; maintenant je suis entré dans l' onde, où je ne puis aborder, tellement que je ne sais où je me tourne, ou sur terre ou sur mer...

Maintenant tout le monde peut justement s' émerveiller de ce que le comte de Toulouse est livré à péricliter; vu que je n' ai bourg ni ville où je puisse me retirer. Quand je te rendis Toulouse, je crus trouver merci, et si je la tenais, il ne m' arriverait pas de réclamer; et parce que je te l' ai rendue, et que je ne veux pas te la défendre, je suis venu au péril et à ton pardonner! Jamais je ne pensai voir, et je ne devais m' imaginer que je pusse tant déchoir avec la sainte Église. Ta parole et mon sens m' ont fait faire si grande folie, que maintenant je ne sais où je m' en aille, ni où je puisse retourner. Bien dois-je avoir grande peine, quand il m' advient à songer qu' il me faudra recevoir d' autrui, et moi, j' avais coutume de donner! Et l' enfant, qui ne sait ni faillir ni pécher, tu ordonnes de lui enlever sa terre, et tu veux le chasser! Et toi, que doit diriger honneur et merci, qu' il te souvienne de Dieu et de l' honneur, et ne me laisse pas pécher; car tienne en sera la faute, si je n' ai où me reposer!...” - “Comte, ce dit le pape, il ne faut pas te décourager; vu que je connais et je sais bien ce qu' il me convient de faire. Si tu me laisses un peu revenir et réfléchir, je ferai réparer ton droit et mon tort. Si je t'ai déshérité, Dieu peut te donner héritage; et si tu as grand chagrin, Dieu peut te réjouir; et si tu as perdu, Dieu peut te le réparer; si tu vas en ténèbres, Dieu peut t'éclairer; et puisque Dieu a pouvoir d' ôter et de donner, veuilles ne désespérer de Dieu en aucune chose. Si Dieu me laisse vivre, de manière que je puisse régner justement, tant je ferai ton droit monter et dominer, qu'en rien tu ne pourras inculper Dieu ni moi. Et je te dis, touchant les traîtres qui veulent m' accuser, qu' il ne tardera guères que tu m' en verras venger. Puisses-tu t'en retourner en telle fortune que, si tu as bon droit, Dieu t'aide et te préserve! Et tu me laisseras ton fils, vu que je voudrai me consulter en combien de manières je pourrai lui donner héritage...”

Le pape le bénit en donnant le congé, et le comte de Foix demeure pour demander ses droits. Et le pape lui ordonne de recouvrer son château. Alors le père et le fils se prennent à soupirer: le fils à cause du demeurer, et le père à cause de l' aller. Et le comte sort de Rome, quand vint au jour clair.

Après une attente de quarante jours, le jeune Raimond, dans une dernière entrevue, ayant reçu du pape l' investiture de tous les domaines paternels qu' il pourra reconquérir, se rend à Marseille:

Mas can venc al cart jorn, veus venir un mesatge;

E saludec lo comte, e dig e son lengatge:

“Senher coms, al mati, no fassatz lonc estatge,

Car lo mielhs d' Avinho vos aten al ribatge...”

Lo mati, el e 'l filhs se meto el viatge...

E troba 'ls a genolhs...

E lo coms los receub, e ilh, ab alegratge...

El coms joves tramet cartas e sageletz,

Que tuit siei amics vengan, celadament e quetz,

Al seti de Belcaire.

Al seti de Belcaire venc lo coms natural,

Per meg la condamina, dretamen als portals...

Li lhivreron las portas, e'lh renderon las claus...

Sempre van las novellas dreit al comte Simo

Qu'el a perdut Belcaire... 

E cant au las novelas, adonc li saub tan bo

Com si hom l' agues mort N Amaldric o 'N Guio.


Mais quand vint au quatrième jour, voici venir un message; et il salua le comte, et dit en son langage: “Seigneur comte, au matin, ne faites point long séjour, car le mieux d' Avignon vous attend au rivage...” Le matin, lui et le fils se mettent en marche... et il les trouve à genoux... et le comte les reçut, et eux (le reçurent) avec joie...

Le comte jeune transmet chartes et petits sceaux, afin que tous ses amis viennent, secrètement et sans bruit, au siége de Beaucaire.

Au siége de Beaucaire vint le comte naturel, parmi la condamine, directement aux portails... Ils lui livrèrent les portes, et lui rendirent les clefs...

Immédiatement les nouvelles vont droit au comte Simon qu' il a perdu Beaucaire... et quand il apprend les nouvelles, alors il lui sut aussi bon comme si on lui eut tué le seigneur Amauri ou le seigneur Gui.

Toutefois, le château étant resté entre les mains de ses partisans, Simon se hâte de courir à leur défense; mais il tente vainement de reprendre la ville; après plusieurs combats très meurtriers, tout ce qu' il peut obtenir, c'est une capitulation pour la garnison du fort, qui sortira sans armes ni bagage. Cet échec l' irrite, il s' éloigne en méditant de sinistres projets, et se dirige sur Toulouse:

Mas, per tota la vila, veus venir I resso...

Qu'el coms demanda ostatges, e vol c'om los li do...

Mas mentre s' acosselhan, per la vila, ilh baro,

La mainada del comte, sirvent et donzelo,

Lor debrizen las archas, e l' aver se prendo...

Per las carreiras, ploran donas e efanso; 

Mas, per tota la vila, escridan en un so:

“Baros, prendam las armas, car vezem la sazo

Que nos er a defendre del fer e del leo...”

Per trastota la vila, an tal defensio

Que lo crit e la noiza e las trompas, qu' i son,

Fan retendre e braire la carreira e 'l tro.

Monfort! lor escridan Frances e Bergonho; 

Cels de lains: Tholosa, Belcaire e Avinho!... 

Tant duret la batalha tro se pres a escurzir;

E lo coms s' en repaira ab ira e ab cossir

El castel Narbones, on a 'n fait mant sospir.

Mais, par toute la ville, voici venir un bruit... que le comte demande des otages, et veut qu'on les lui donne... Mais, pendant que, par la ville, les barons délibèrent, la suite du comte, sergents et damoiselets, leur brisent les coffres, et s' emparent de l' avoir... dans les rues, pleurent dames et petits enfants; mais, par toute la ville, ils crient tout d' une voix: “Barons, prenons les armes, car nous voyons la saison qu' il nous sera à défendre du fer et du lion...”

Par toute la ville, ils ont telle défense que le cri et le vacarme et les trompes, qui y sont, font retentir et résonner la rue et le ciel. Montfort! leur crient les Français et les Bourguignons; ceux de là-dedans: Toulouse, Beaucaire et Avignon!... Tant dura la bataille jusqu'à ce qu' il se prit à faire obscur; et le comte se retire avec chagrin et avec souci au château Narbonnais, où il en a fait maint soupir.

Cependant l' évêque Folquet, à l' aide de sa perfide adresse, a calmé les habitants; mais le comte n' en est pas moins irrité. Il prend des otages, se fait remettre toutes les armes, exige une énorme somme d' argent, rase les murs de la ville, et délibère même s' il la livrera au pillage et à l' incendie. Il se retire toutefois en Gascogne, sans avoir accompli ce dernier projet, y marie son fils, et se rend ensuite en Dauphiné.

Sur ces entrefaites, le vieux Raimond revient à Toulouse:


Lo coms receubt Tolosa, car n' a gran desirier;

Mas no i a tor, ni sala, ni amban, ni soler,

Ni aut mur, ni bertresca, ni dentelh batalhier,

Ni portal, ni clauzura, ni gaita, ni portier,

Ausberc, ni armadura, ni garniment entier.


Le comte reçut Toulouse, car il en a grand désir; mais il n' y a tour, ni salle, ni retranchement, ni plate-forme, ni haut mur, ni bretêche, ni dentelure de défense, ni portail, ni clôture, ni gaite, ni portier, haubert, ni armure, ni garniment entier.

Une réaction a lieu: les croisés sont obligés de se retirer dans le château Narbonnais. La comtesse de Montfort, qui s' y trouve, envoie un message à son mari pour l' instruire de ce qui se passe. Simon marche sur Toulouse.


E 'l baro de la vila son ben aparelhat

De ferir e d' atendre, ab ferma volontat.


Et les barons de la ville sont bien apprêtés de frapper et d' atteindre, avec ferme volonté.

Toutes les tentatives de Simon, pour s' emparer de la ville, sont sans succès. Des renforts arrivent aux Toulousains, qui ne négligent rien afin de résister à leur ennemi.


E parec ben a l' obra e als autres mestiers,

Que dedins e defora ac aitans dels obriers

Que garniron la vila e 'ls portals e 'ls terriers

E 'ls murs e las bertrescas e 'ls cadafalcs dobliers

E 'ls fossatz e las lissas e 'ls pons e 'ls escaliers...

E li Frances, ensemble, son ins el camp salhit...


Et il parut bien à l' œuvre et aux autres travaux, vu que dedans et dehors il y eut autant d' ouvriers qu' ils garnirent la ville et les portails et les terrassements et les murs et les bretêches et les doubles échafauds et les fossés et les palissades et les ponts et les escaliers...

Et les Français, ensemble, sont sortis dans le champ...


D'entr'ambas las partidas, se son tant referit,

Qu'el castel e la vila e lo camps retendit...

De totas partz lai vengon (1) Frances e Bergonhos,

Qu'els baros de Tholosa s' entorneron coitos...

Ab tant ilh de la vila, del issir talentos,

En auta votz escridan: “Baros, segudam (2) los! ...”

E lai on s' encontreron, leva s la contensos,

E fo cridatz Belcaire, Tholosa e Avinhos.

Li bran e las gazarmas, li cairel e 'ls brandos,

Las lansas e las massas, las peiras e 'ls cairos,

E li dart e las apchas, las picas e 'ls bastos

E las sagetas doblas e 'ls caireletz dels tos

De tantas partz lai vengon a present e a rescos;

Non i es tan malignes, que no sia doptos...

E lo coms s' en repaira trist e fel e iros...

E 'ls baros de la vila s' en repairan joios...


(1) Voyez plus haut, page 273.  

(2) (sic) Lisez segundam. 


D'entre les deux partis, ils se sont si fortement abordés, que le château et la ville et le champ retentissent... De toutes parts là vinrent Français et Bourguignons, en sorte que les barons de Toulouse s' en retournèrent empressés... En même temps ceux de la ville, désireux de sortir, crient à haute voix: “Barons, secourons-les!...” Et là où ils se rencontrèrent, se lève la contestation, et il fut crié Beaucaire, Toulouse et Avignon. 

Les glaives et les guisarmes, les carreaux et les brandons, les lances et les masses, les pierres et les quartiers, et les dards et les haches, les piques et les bâtons et les sagettes doubles et les petits traits des enfants vinrent là de tant de côtés visiblement et en cachette; il n' y a pas si malin, qui ne soit hésitant... Et le comte se retire triste et indigné et irrité... et les barons de la ville se retirent joyeux...

Cependant rien n' est décidé. De grands renforts surviennent aux croisés, qui tentent inutilement de nouveaux efforts. Les Toulousains, de leur côté, reçoivent des troupes fraîches, et le jeune Raimond lui-même vient se réunir à eux. Alors tout se dispose pour une affaire décisive.


Lo coms de Montfort manda: “Mei amic, sai vindretz,

E anc, en milhor ora, no m valguetz, ni m valdretz;

Ar empenhetz la gata, que Tolosa prendretz...”

N Arnaut de Vilamur, car es mals e guerriers,

E fe garnir e emprendre los milhors cavaliers...

E can foro essems, es aitals l' acordiers

Dels baros de la vila e de los capdaliers,

Que de la gata prendre sian cominalers.

En Br. de Casnac, qu' es bos e bels parlers,

Lor mostra, e 'ls esenha, e ditz:... 

“Baros, vos de Tholosa, veus vostre frontaliers,

Que us an mortz filhs e fraires, e dat mans cossiriers...

Yeu conosc las costumas dels Frances bobanciers,

Qu'ilh an garnitz los corses finament a dobliers,

E de jos, en las cambas, non an mas los cauciers;

E si 'ls datz a las garras..."

E ab aitant salhiro fora, pels escaliers... 

E escridon: “Tholoza! Er alumpna 'l braziers!

A la mort, a la mort! qu' esser no pot estiers.”

E de lai los recebo Frances et Berruyers:


Le comte de Montfort commande: “Mes amis, vous viendrez ici, et oncques, en meilleure heure, vous ne me valûtes, ni me vaudrez; maintenant mettez la chatte en mouvement, vu que vous prendrez Toulouse...”

prendre la chatte

Le seigneur Arnaud de Vilamur, car il est terrible et guerrier, et il fit garnir et apprêter les meilleurs chevaliers... Et quand ils furent ensemble, l' accord des barons de la ville et de leurs chefs est tel qu' ils soient d' un commun (empressement) pour prendre la chatte. Le seigneur Br. de Casnac, qui est bon et beau parleur, leur montre, et les instruit, et dit:... “Barons, vous (qui êtes) de Toulouse, voilà vos adversaires, qui vous ont tué fils et frères, et donné maints soucis... Je connais les usages des Français présomptueux, vu qu' ils ont garni les corps convenablement avec doubliers, et dessous, aux jambes, ils n' ont que les chausses; et ainsi frappez-les aux cuisses...” Et en même temps ils sortirent dehors, par les escaliers... et ils crient: “Toulouse! Maintenant allume le brasier! A la mort, à la mort! vu qu' il ne peut être autrement.” 


Et de l' autre côté les Français et les Berrichons les reçoivent:

“Montfort, Montfort! escridan, ar seretz mensongiers.”

E lai, on s' encontreron, es lo chaples pleniers...

Ab tant venc, vas lo comte, cridans us escuders:

“Senher, coms de Montfort...

Huei prendretz gran dampnagte... (dampnatge)

Qu'els omes de Tholoza an mortz los cavalers...”

El coms trembla e sospira, e devenc trist e ners,

E ditz: “A i sacrifizi! Jhesu Crist dreiturers,

Huei me datz mort en terra, o que sia sobrers!...”

D'entr'ambas las partidas, es aitals lo flamers

Que sembla vens o ploia o perils rabiners.

Mas del amban senestre, dessara us arquiers

E feric Gui lo comte, sus el cap del destriers,

Que dins la cervela es lo cairels meitaders,

E cant lo cavals vira, us autres balestiers...

… Feric si En Gui els giros senestriers,

Que dedins la carn nuda l' es remazutz l' acers,

Que del sanc es vermelhs lo costatz e 'l braguers;

E 'l coms venc a so fraire, que lh'era plazentiers...

Mentr' En Guis se razona...

Ac dins una peireira, que fec us carpenters;

Qu'es de sant Cerni traita la peira... 

E venc tot dreit la peira lai on era mestiers,

E feric si lo comte sobre l' elm, qu' es d' acers,

Qu'els olhs e las cervelas e 'ls caichals estremiers

E 'l front e las maichelas li partic a cartiers; 

E 'l coms cazec en terra mortz e sagnens e niers.


“Montfort, Montfort! s' écrient-ils, maintenant vous serez menteurs.” 

Et là où ils se rencontrèrent, le carnage est complet... En même temps un écuyer vint vers le comte en criant: “Seigneur, comte de Montfort... vous prendrez aujourd'hui grand dommage... vu que les hommes de Toulouse ont tué les chevaliers.” Le comte frémit et soupire, et il devint triste et noir, et dit: “Il y a sacrifice! Jésus-Christ juste, aujourd'hui donnez-moi mort sur terre, ou que je sois vainqueur!...” Entre les deux partis, l' ardeur est telle que ce semble vent ou pluie ou péril de ravine. Mais du retranchement gauche, un archer tire et frappe sur la tête du destrier du comte Gui, en sorte que le trait traverse la cervelle, et quand le cheval tourne, un autre arbalêtrier... frappa ainsi le seigneur Gui au giron gauche, que l' acier lui est demeuré dans la chair nue, tellement que le côté et les braies sont vermeils par le sanc; et le comte vint à son frère, qui lui était cher... Pendant que le seigneur Gui parle... il y eut dedans un pierrier, que fit un charpentier; vu que la pierre est lancée de saint Cernin... et la pierre vint tout droit là où il était besoin, et frappa ainsi le comte sur l' heaume, qui est d' acier, qu' elle lui mit en pièces les yeux et les cervelles et les grosses dents extrêmes et le front et les mâchoires; et le comte tomba à terre mort et saignant et noir.

Cet événement, qu'on avait d' abord voulu cacher, porte l' alarme parmi les croisés, qui se retirent bientôt du combat. Cependant ils ne lèvent pas encore le siége. Amaury de Montfort est proclamé comte. La désunion se met parmi les assiégeants; enfin l' armée se retire sur Carcassonne, où on ensevelit le corps de Simon, que les prêtres avaient voulu faire canoniser:

Tot dreit a Carcassona l' enportan sebelhir,

E 'l moster S. Nazari celebrar e ufrir.

E ditz el epictafi, cel qui 'l sab ben legir,

Qu'el es sans e es martirs, e que deu resperir,

E dins el gaug mirable heretar e florir,

E portar la corona e el regne sezir.

E ieu, ai auzit dire c'aisi s deu avenir:

Si per homes aucire, ni per sanc espandir,

Ni per esperitz perdre, ni per mortz cosentir,

E per malhs cosselhs creire, e per foc abrandir,

E per baros destruire, e per paratge aunir,

E per las terras tolre, e per orgol suffrir,

E per los mals escendre, e pel bes escantir,

E per donas aucire, e per efans delir,

Pot hom, en aquest segle, Jhesu Crist comquerir,

El deu portar corona e el cel resplandir!

Tout droit à Carcassonne ils l' emportent ensevelir, et au moustier Saint-Nizaire célébrer et offrir. Et dit l' épitaphe, pour celui qui sait bien la lire, qu'il est saint et est martyr, et qu'il doit ressusciter, et hériter et fleurir dans la merveilleuse joie, et porter la couronne et siéger au royaume (des deux). Et moi, j' ai entendu dire qu' ainsi il doit advenir: si pour tuer des hommes, et pour répandre du sang, et pour perdre des âmes, et pour autoriser massacres, et pour croire mauvais conseils, et pour attiser incendie, et pour détruire barons, et pour honnir noblesse, et pour voler les terres, et pour supporter l' orgueil, et pour allumer les maux, et pour éteindre le bien, et pour tuer les femmes, et pour détruire les enfants, on peut, en ce monde, conquérir Jésus-Christ, il doit porter couronne et resplendir au ciel!

Peu de temps après, dans une assemblée générale des croisés, Amaury de Montfort réclame leur aide pour venger la mort de son père. Au printemps suivant la guerre recommence. La majeure partie de la campagne se passe en expéditions partielles et sans résultat important, bien que les croisés soient battus dans presque toutes les rencontres.

Apres venc a Tholoza lo valens coms joves,

Per defendre la terra e per cobrar l' eres;

E le coms N Amaldrics s' en vai en Agenes...

S'es lo coms N Amaldrics denant Marmanda asses...


Après vint à Toulouse le vaillant comte jeune, pour défendre la terre et pour recouvrer l' héritage; et le comte seigneur Amaury s' en va en Agenois... Le comte seigneur Amaury s' est établi devant Marmande...

Pendant qu' il s' occupe du siége de Marmande, Amaury apprend que le jeune Raymond, qui avait rejoint le comte de Foix dans le Lauragais, a battu un gros corps d' armée de croisés, commandé par Foucault de Brézi.


Al seti de Marmanda, es mesatgiers vengutz,

Que lo valens coms joves a los Frances vencutz,

E 'N Folcaus e 'N Joans e 'N Thibaut retengutz,

E los autres son mortz e dampnatz e destrutz; 

E lo coms N Amaldrics s' en es tant irascutz,

Que, per aiga e per terra, los a ben combatutz;

E'lh baro de la vila son aisi defendutz...


Au siége de Marmande, un messager est venu, (annonçant) que le vaillant comte jeune a vaincu les Français, et le seigneur Foucault et lo seigneur Jean et le seigneur Thibaut retenus, et (que) les autres sont morts et perdus et détruits; et le comte seigneur Amaury s' en est tant irrité, que, par eau et par terre, il les a bien combattus (ceux de la ville); et les barons de la ville se sont ainsi défendus... 

La résistance eût été couronnée du succès, si des renforts ne fussent survenus aux croisés.

Apres no tarzet gaire qu' es lo temps avengutz

C' ardimens e folatges los a totz deceubutz;

Qu'el filhs del rei de Fransa lor es aparegutz; 

E a en sa companha XXV milia escutz...

Après ne tarda guère que le temps est advenu que hardiesse et joie les ont tous déçus; vu que le fils du roi de France leur est apparu; et il a en sa compagnie vingt-cinq mille écus...

L' arrivée de ce prince jette le découragement parmi les assiégés, qui ne tardent pas à capituler; leur soumission, toutefois, ne les sauve pas du malheur qui les menaçait: ils sont abandonnés à la discrétion des croisés, qui les font massacrer:

No i remas hom, ni femma, ni joves, ni canutz,

Ni nulha creatura, si no s' es rescondutz.

La vila es destruita, e lo focs escendutz;

Apres no tarzet gaire que lo reis es mogutz

Per venir a Tholoza.


Il n' y demeura homme, ni femme, ni jeune, ni blanchi, ni aucune créature, si elle ne s' est cachée. La ville est détruite, et le feu allumé; après ne tarda guère que le Roi (le fils du Roi) s' est mis en mouvement pour venir à Toulouse. 

En apprenant cette nouvelle, les Toulousains sont effrayés:

E 'ls cossuls de la vila coitos e viassiers,

Trameton los messatges, ben coitos e marviers,

Als baros de la terras e a totz los guerriers:

Que nulhs hom no i remanga, ni sirvens, ni arquiers...

Per la vila socorrer vengron M cavalers...

La vila es establida dels baros finamens...

Car lo Filhs de la Verge, qu' es clars e resplandens...

Gart razo e dreitura, e'lh prenga cauzimens...

Qu'el filhs del rei de Fransa ve orgulhozamens

Ab XXXIIII comtes et ab aitantas gens,

Que non es, en est setgle, negus hom, tant sabens,

Que puesca azesmar los miliers ni los cens,

Qu'el cardenals de Roma prezicans e ligens

Que la mortz e lo glazis an tot primeiramens,

Aissi que dins Tholoza ni'ls apertenemens;

Negus hom no i remanga, ni nulha res vivens,

Ni dona, ni donzela, ni nulha femma prens,

Ni autra creatura, ni nulhs efans latens;

Que tuit prengan martiri en las flamas ardens.

Mas la Verges Maria lor en sira guirens,

Que, segon la dreitura, repren los falhimens...

Car Sent Cernis los guida, que non sian temens,

Que Dieus e dreitz e forsa e 'l coms joves e sens

Lor defendra Tholoza. Amen.


Et les consuls de la ville, empressés et prompts, transmettent des messagers, bien empressés et rapides, aux barons des terres et à tous les guerriers: qu'aucun homme n' y demeure, ni sergent, ni archer... Pour secourir la ville vinrent mille chevaliers... La ville est convenablement placée (sous la protection) des barons... Parce que le Fils de la Vierge, qui est brillant et resplendissant... garde raison et droiture, et qu' il prenne égard... Vu que le fils du roi de France vient orgueilleusement avec trente-quatre comtes et avec de si nombreuses gens, qu' il n' est, dans ce monde, aucun homme, si savant, qu' il puisse estimer les milliers et les cents, auxquels le cardinal de Rome (est) prêchant et lisant, que la mort et le glaive aillent tout premièrement, ainsi que dans Toulouse et dans les appartenances; qu'aucun homme n' y demeure, ni aucune chose vivante, ni dame, ni damoiselle, ni aucune femme enceinte, ni autre créature, ni aucun enfant têtant; que tous prennent le martyre dans les flammes ardentes. Mais la Vierge Marie leur en sera protectrice, vu que, selon la justice, elle reprend les fautes... Parce que Saint Cernin les guide, qu' ils ne soient craignants, vu que Dieu et droit et force et le comte jeune et intelligence leur défendront Toulouse. Amen.