Chapitre VI.
Verbes.
Les verbes romans peuvent être classés en trois conjugaisons:
AR, ER ou RE, IR ou IRE.
La langue romane a deux verbes auxiliaires:
AVER, avoir
ESSER ou ESTAR, être
L' auxiliaire AVER appartient à la seconde conjugaison. Des deux verbes ESSER et ESTAR, dont l' autre verbe auxiliaire se compose, ESTAR appartient à la première conjugaison, et ESSER est à-la-fois irrégulier et défectif.
Les tableaux des différentes conjugaisons contiennent les règles ordinaires.
Voulant, selon la méthode que j' ai adoptée, justifier par des exemples ce que j' ai à dire des règles relatives aux modes, aux temps, et aux personnes, j' indique sommairement, dans d' autres tableaux, ou par des notes, les citations répandues dans cette grammaire, où l' on trouve des exemples applicables aux différents modes, temps, et personnes, des verbes de chaque conjugaison.
A la suite de ces tableaux seront les observations générales relatives aux verbes (1), et les observations spéciales qui concernent et expliquent les exceptions, soit communes à plusieurs verbes, soit particulières à un seul.
(1) Dans les éléments de la grammaire de la langue romane avant l' an 1000, j' ai expliqué la formation des verbes romans; j' ajouterai à-présent une remarque qui alors eût été prématurée.
Les troisièmes personnes des temps au singulier et au pluriel étant terminées par un T dans la langue latine, ce T final ne disparut que tard des mêmes personnes de la langue romane.
On a vu, dans les serments de 842, Jurat, Conservat, etc. Lorsque la langue romane eut pris définitivement les formes qui la caractérisent, on retrancha ce T final; mais ce fut toutefois la forme latine qui resta le plus long-temps empreinte dans le nouvel idiôme; ce T se montra de temps à autre, selon les pays et les copistes, même dans les poésies des troubadours.
Les actes de 960, et autres titres d' une date postérieure, qui se trouvent dans les manuscrits de Colbert, offrent plus d' un exemple de troisièmes personnes qui ont encore ce T final.
Dans le poëme sur Boèce, le copiste semble avoir indifféremment retranché ou conservé ce T, en écrivant ANT ou AN, SUNT ou SUN.
Las mias musas qui ANT PERDUT lor cant...
Contra felnia SUNT fait de gran bontat...
Zo SUN bon omne qui AN redems lor peccat.
(1: Les miennes muses qui ont perdu leur chant...
Contre félonie sont faits de grande bonté...
Ce sont bons hommes qui ont racheté leur peché.)
Poëme sur Boece.
Un poëme sur Sainte Foi, imprimé par Catel dans son histoire des comtes de Tolose, offre plusieurs exemples, et entre autres:
Chi Ant la soa majestat...
Qui ERONT a Conquas presens.
(2: Qui ont la sienne majesté...
Qui étaient à Conques présents.)
Poëme sur Sainte Foi.
Je pourrais rapporter ici beaucoup d' exemples, mais je ne les crois pas nécessaires. Dans le manuscrit de la bibliothèque du Roi 7225, on lit autrement que dans les autres manuscrits:
Li cavalier ANT pretz...
Li un SONT bon guerrier. (1)
Arnaud de Marueil: Rasos es.
Les manuscrits 7614 et 7698 offrent aussi dans les poésies de Pierre d' Auvergne:
Adoncs vuoill novels mots lassar
D' un vers qu' ENTENDANT li meillor...
Que lop son tornat li pastor
Que DEGRANT las fedas gardar. (2)
Pierre d' Auvergne: Abans que.
(1) Les chevaliers ont prix...
Les uns sont bons guerriers.
(2) Maintenant veux nouveaux mots enlacer
D' un vers qu' entendent les meilleurs.
Que loups sont devenus les pasteurs
Qui devraient les brebis garder.
Ce T final disparut cependant des écrits en langue romane, mais il désigna encore long-temps la plupart des troisièmes personnes de l' ancien idiôme français, ainsi que j' aurai occasion de le faire remarquer, lorsque j' expliquerai l' origine des formes grammaticales de la langue française; il est resté à toutes les troisièmes personnes du pluriel, et à quelques-unes du singulier.
Je place d' abord l' infinitif, parce qu' il serait impossible de se rendre raison des temps composés, si l' on n' avait déja connaissance du participe passé.
Auxiliaire AVER, avoir.
Je commence par ce verbe, qui, n' empruntant rien des autres verbes, dont il devient l' auxiliaire, se suffit à lui-même pour les temps composés.
AVER avoir
Infinitif.
Présent. Aver avoir
Part. Prés. Avent ayant
Gérondif. Aven en ayant
Part. Passé. Agut eu
Prétérit. Aver agut avoir eu
Indicatif.
Présent Parfait composé.
Ai j' ai Ai agut j' ai eu
As tu as As tu as
A il a A il a
Avem nous avons Avem agut nous avons eu
Avetz vous avez Avetz vous avez
An ils ont An ils ont
Imparfait. Plus-que-parfait.
Avia j' avais Avia agut j' avais eu
Avias tu avais Avias tu avais
Avia il avait Avia il avait
Aviam nous avions Aviam agut nous avions eu
Aviatz vous aviez Aviatz vous aviez
Avian, avien, avion - ils avaient Avian ils avaient
Parfait simple. Futur.
Aic, agui j' eus Aurai j' aurai
Aguist, est tu eus Auras tu auras
Ac, aguet il eut Aura il aura
Aguem nous eûmes Aurem nous aurons
Aguetz vous eûtes Auretz vous aurez
Agueren, agueron – ils eurent Auran ils auront
Conditionnel. Subjonctif.
Présent. Présent.
Auria j' aurais Aia j' aye
Aurias tu aurais aias tu ayes
Auria il aurait aia il ait
Auriam nous aurions aiam nous ayons
Auriatz vous auriez aiatz vous ayez
Aurian, aurion ils auraient aian, aion ils ayent
Parfait. Imparfait.
Auria agut j' aurais eu agues j' eusse
Aurias tu aurais aguesses tu eusses
Auria il aurait agues il eût
Auriam agut nous aurions eu aguessem nous eussions
Auriatz vous auriez aguessetz vous eussiez
Aurian ils auraient aguessen, aguesson – ils eussent
Impératif. Parfait.
… … Aia agut j' aye eu
Aias aye Aias agut tu ayes eu
Aia qu' il ait etc. etc.
Aiam, aiem ayons Plus-que-parfait.
Aiatz ayez agues agut j' eusse eu
Aian, aion qu' ils aient etc. etc.
Le verbe AVER et plusieurs autres ont un double conditionnel présent:
Agra, agras, agra, agram, agratz, agran – agron.
Et, par analogie, un double conditionnel passé:
Agra agut, etc.
ESSER, ESTAR – être
Infinitif.
Présent. Esser Estar être
Part. Présent. Essent Estant êtant
Gérondif. Essen Estan en êtant
Part. Passé. Estat été
Prétérit. Aver estat avoir été
Indicatif.
Présent. Sui, soi, son estai, estau je suis
est, iest estas tu es
es esta, estai il est
em, sem estam nous sommes
etz estatz vous êtes
sun, son estan, eston ils sont
Imparfait. Era estava j' étais
eras estavas tu étais
era, er estava il était
eram estavam nous étions
eratz estavatz vous étiez
eran, eron estavan, estavon ils étaient
Parfait simple. Fui estei je fus
fust estest tu fus
fo, fon estet il fut
fom estem nous fûmes
fotz estetz vous fûtes
foren, foron esteren, esteron ils furent
Parfait Composé. Ai estat, etc. j' ai été
Plus-que-parfait. Avia estat, etc. j' avais été
Futur. Serai, Er estarai je serai
seras estaras tu seras
sera, Er estara il sera
serem estarem nous serons
seretz estaretz vous serez
seran estaran ils seront
Conditionnel.
Présent. Seria (*) estaria estera je serais
(* Ou Fora, foras, fora, foram, foratz, foran – foren - foron)
serias estarias esteras tu serais
seria estaria estera il serait
seriam estariam esteram nous serions
seriatz estariatz esteratz vous seriez
serian, serion estarian, estarion esteran ils seraient
Passé. Auria estat, etc. j' aurais éte
Impératif.
Présent. Sias esta sois
sia esta soit
siam estem soyons
siatz estatz soyez
sian, sion esten, eston soient
Subjonctif.
Présent. Sia este je sois
sias estes tu sois
sia este il soit
siam estem nous soyons
siatz estetz vous soyez
sian, sion esten, eston ils soient
Imparfait. Fos estes je fusse
fosses estesses tu fusses
fos estes il fût
fossem estessem nous fussions
fossetz estessetz vous fussiez
fossen, fosson estessen, estesson ils fussent
Parfait. Aia estat, etc. j' aye été
Plus-que-parfait. Agues estat, etc. j' eusse été
Ainsi que je l' ai annoncé, je rassemble en tableaux (*) les exemples pour ces verbes auxiliaires, et je les prends des différentes citations faites, dans le cours de cette grammaire, pour d' autres règles.
(* Indication des exemples relatifs aux verbes)
(N. E. los números de página corresponden a las del original, pdf, en este formato no coinciden.)
AVER ESTAR ESSER
Présent. Aver p. 144 estar p. 136 esser p. 139
Part. Prés. Avent p. 427 estans p. 144 essent p. 273
Gérondif.
Part. Passé. Agut p. 436 estat p. 128
Indicatif.
Présent. 1 ai 118 estai * 345 soi * 116
2 as 158 est 274
3 a 131 esta 242 es 159
1 avem 133 em 275
2 avetz 119 etz 154
3 an 116 estan 124 son 125
Imparfait. 1 avia 355 era 352
2
3 avia 176 estava 358 era 164
1
2 aviatz eratz 410
3 avian 167 estavan 365 eran ** 196
Parfait Simple. 1 agui * 193 fui 131
2 aguest 158 3 ac 127 estet 358 fon *** 110
1 aguem 329 estem 259 fom 367
2
3 foron 200
Parfait Composé. Ai estat 128
Futur . 1 aurai 219 estarai serai 131
2 auras 160 seras 112
3 aura 205 sera 196
1 aurem 196 estarem 414 serem 348
2 auretz 148 seretz 161
3 auran 144 seran 371
(*) Aic p. 253.
(**) Estau p. 278.
(*) Sui p. 130. (**) Eron p. 264. (***) Fo p. 259.
Conditionnel.
1 auria 342 fora 218
2
3 estaria 246 fora 247
1 foram 407
2 foratz 211
3 aurian 114 foren 245
Impératif.
2 sias 355
3 esta 201 sia 201
1 aiam 371
2 ayatz 247 siatz 145
3 sion 197
Subjonctif.
Présent. 1 aia 247 estia 392
2
3 aya 208 estia 329 sia 123
1 estiam 330 siam 206
2 siatz 124
3 aion 169 sian (* sion p. 113) 225
Imparfait. 1 agues 234 fos 156
2 fosses 341
3 agues 356 fos 129
1 fossem 330
2 aguessetz 381 estessetz 425 fossetz 410
3 acson 254 fosson 136
Second conditionnel.
1 agra 291
2
3 agra 149 seria 136
1 esteram 422
2
3 agron 422
Observations relatives au verbe AVER.
Il arrive, mais rarement, qu' au lieu d' AI, la première personne du présent de l' indicatif est en EI.
Que perdut EI pretz e valors. (1)
Gavaudan le Vieux: Crezens fis.
Et, par analogie, le futur AURAI devient AUREI. (2)
On conçoit que cet EI s' est facilement changé en E. (3)
Parfois, on trouve aussi dans l' imparfait du subjonctif, au lieu d' AGUESSETZ, d' AGUESSON, etc., ACSES, ACSON, etc.
Selon les localités, on prononce AURAI ou AVRAI. Dans quelques manuscrits, on rencontre l' H initial ou le B intérieur d' HABERE, primitif latin; et AVUT pour AGUT. Le verbe AVER est quelquefois employé impersonnellement:
Dona, loncx temps A qu' ieu consir. (4)
Arnaud de Marueil: Dona genser.
“Pero tres semmanas HA que nos em aissi.” (5) Philomena, fol. 8
Ben A cinq ans qu' anc d' un voler no s moc. (6)
Augier: Per vos belha.
(1) Que perdu ai prix et valeur.
(2) On lit NON AUREI, je n' aurai, dans un titre de 1015. Pr. de l' Histoire de Languedoc, t. II, col. 170.
(3) Un titre de 1034 offre NON AURE, je n' aurai. Pr. de l' Hist. de Languedoc, t. II, col. 192.
(4) Dame, long temps a que je pense.
(5) “Pourtant trois semaines a que nous sommes ici.”
(6) Bien a cinq ans qu' onc d' un vouloir ne se mut.
Observations sur le verbe ESSER.
Infinitif.
ESSENT, étant, quoique formé régulièrement du verbe ESSER,
est très rare.
“Car el meseime ESSENT la quarta bestia devant scripta per Daniel." (1)
Doctrine des Vaudois.
“ESSENT trop tenre e frevol non poc obtenir.” (2)
Doctrine des Vaudois.
Indicatif.
Présent. Pour la première personne du présent de l' indicatif on trouve presque indifféremment SOI ou SUI; la différence de l' O et de l' U provient de la prononciation locale ou des copistes.
Mais ce qu' il est essentiel de faire connaître, c'est que divers auteurs se sont servis de SON. (N. E. En Mallorca, islas Baleares, todavía se dice “jo som”, ieu son : ego sum)
Puois aissi SON encolpatz,
Quan fatz avols motz o 'ls fatz. (3)
Rambaud d' Orange: A mon vers.
Per aquest sen SON ieu sors. (4)
Pierre Rogiers: Al pareissen.
(1) "Car lui-même étant la quatrième bête auparavant décrite par Daniel."
(2) “Étant trop tendre et faible ne put obtenir."
(3) Puisque ainsi suis inculpé,
Quand je fais bas mots ou les faits.
(4) Pour ce sens suis je sourd.
Mas can se pot esdevenir
Qu' ieu vos vey, dona, ni us remir,
SON aisi que may res no m sen. (1)
Arnaud de Marueil: Dona genser.
SON encantatz, qu' el colp, que t don,
No pot ton elme entamenar. (2)
Roman de Jaufre.
Comtessa, yeu SON santa Fe. (3)
Poëme sur Sainte Foi.
Ans SON vostre trop mielz que no us sai dir. (4)
Giraud le Roux: Nulhs hom no saup.
Les secondes personnes EST, ETZ, reçoivent parfois l' I au-devant de l' E.
E tu, senher d' umilitat,
Tu IEST fort aut et ieu trop bas. (5)
Folquet de Marseille: Senher Dieu.
Qui us apellava paoruc,
Semblaria que vers non fos;
Car IEST grans e joves e ros. (6)
Bertrand de Born: Maitolin.
(1) Mais quand il peut arriver
Que je vous vois, dame, et vous regarde,
Suis ainsi que plus rien ne je sens.
(2) Je suis enchanté, de manière que le coup, que te donne,
Ne peut ton casque entamer.
(3) Comtesse, je suis Sainte Foi.
(4) Mais suis vôtre beaucoup mieux que ne vous sais dire.
(5) Et toi, seigneur d' humilité,
Tu es fort haut et moi très bas.
(6) Qui vous appelait peureux,
Semblerait que vrai ne fût;
Car êtes grand et jeune et roux.
Car IEST avols e semblas bos. (1)
Bertrand de Born: Maitolin.
La première personne du pluriel est EM ou SEM; l' un et l' autre sont rarement employés, sur-tout SEM.
Que si non EM amic andui,
D' altr' amor no m' es veiaire
Que jamais mos cor s' esclaire. (2)
Bernard de Ventadour: Lo rossignols.
E quant EM al novel temps clar. (3)
Rambaud d' Orange: Ab nov cor.
Vey que SEM aisi vengutz. (4)
Vidal de Bezaudun: Abrils issia. (N. E. Vidal de Besalú)
La seconde personne du pluriel ETZ se trouve ordinairement avec des sujets qui sont au singulier.
Quelquefois la prononciation locale, ou l' usage des copistes, a introduit ES au lieu d' ETZ ou d' EZ.
O filhas de Jherusalem,
De Nazareth, de Besleem,
Verges castas et espozadas,
Que de Dieu ES enamoradas. (5)
La Passio de Nostra Dona Sancta Maria.
(1) Car es lâche et sembles bon.
(2) Que si ne sommes amis tous deux,
D' autre amour ne m' est semblant
Que jamais mon coeur s' éclaire.
(3) Et quand sommes au nouveau temps clair.
(4) Vois que sommes ici venus.
(5) O filles de Jérusalem,
De Nazareth, de Bethléem,
Vierges chastes et épousées,
Qui de Dieu êtes amoureuses.
E escrida: Qui ES baros
Que d' aital ora us COMBATES?
Puis no us puesc vezer, RESPONDES. (1)
Roman de Jaufre.
Dans ces exemples, ES se rapportant à des sujets qui sont évidemment au pluriel, on ne peut former aucun doute sur l' exception que j' indique.
On trouve SIEST pour EST
et SES pour ES.
Ieu sai qui tu siest. (2)
Trad. du Nouv. Testament: Luc, c. 7, v. 48.
E vuoill saber, lo mieus bel amics gens,
Per que me SES tan fers ni tan salvatges. (3)
Comtesse de Die: A chantar.
J' ai cité ces vers p. 123. La version est différente de celle-ci, que je trouve dans le MS. de la Bibl. du Roi 7225.
On rencontre des futurs terminés en EI au lieu d' AI, conformément à la modification observée pour le présent de l' indicatif du verbe HAVER.
Tos temps SEREI tortre ses par. (4)
Gavaudan le Vieux: Crezens fis.
(1) Et crie: Qui êtes barons
Qui de telle heure vous combattez?
Puisque ne vous puis voir, répondez.
(2) Je sais qui tu es.
(3) Et veux savoir, le mien bel ami gentil,
Pourquoi me êtes tant cruel et tant sauvage.
(4) Tous temps serai tourtereau sans compagne.
(N. E. chap. tots temps, sempre, siré tórdola sense parella.)
Futur.
Le futur fut quelquefois emprunté d' ERO: ainsi on trouve à la première personne du singulier:
Com plus la prec, pus m' es dura;
Mas si 'n breu no si melhura,
Vengut ER al partimen. (1)
Bernard de Ventadour: Lo temps vai.
Il est plus souvent employé à la troisième personne du singulier.
Farai un vers de dreit nien;
Non ER de mi ni d' autra gen,
Non ER d' amor ni de joven. (2)
Comte de Poitiers: Farai un vers.
Car non es, ni ER, ni fo
Genser de neguna leg. (3)
Rambaud de Vaqueiras: Guerras ni platz.
Mas no l' ER, segon mon albir,
Apres me, nul amics tan sertz. (4)
Arnaud de Marueil: A guisa de fin.
(1) Comme plus la prie, plus m' est dure;
Mais si en bref ne se améliore,
Venu serai au partement.
(2) Ferai un vers de juste rien;
Ne sera de moi ni d' autre gent,
Ne sera d' amour ni de vaillance.
(3) Car ne est, ni sera, ni fut
Plus gente d' aucune loi.
(4) Mais ne lui sera, selon mon avis,
Après moi, nul ami autant certain.
Mas una res ER, se vos m' enjanatz;
MOS ER lo dans, e vostre ER lo peccat. (1)
Gaucelm Faidit: Tot autressi.
Le verbe ESSER prend quelquefois EN venant d' INDE, et signifiant de cela, de là..
Ailas! qu' EN ER, si no m secor? (2)
Arnaud de Marueil: A guisa de fin.
Cet EN se place au-devant du verbe, et avec tous les différents temps et modes.
Observations sur le verbe ESTAR.
Ce verbe offre quelques légères variétés.
1.° Au présent de l' Indicatif.
A la première personne du singulier, il fait ESTAI, ESTAU, ESTAUC:
Ab vos ESTAY on qu' ieu esteia. (3)
Arnaud de Marueil: Ab vos estay.
Perque m' ESTAU en bon esper. (4)
Bernard de Ventadour: Ges de chantar.
Et à la troisième, ESTA et ESTAI.
2.° Au présent du subjonctif, il fait, à la première et à la troisième personne du singulier, ESTIA et ESTEIA. Mais cette dernière désinence n' a peut-être été employée qu' à cause de la rime.
(1) Mais une chose sera, si vous me trompez:
Mien sera le dommage, et vôtre sera le péché.
(2) Hélas! qu' en sera, si ne me secourt?
(3) Avec vous suis où que je sois.
(4) C' est pourquoi je suis en bon espoir.
Conjugaisons des verbes réguliers en AR, ER ou RE, IR ou IRE.
Voici trois tableaux dont chacun offre l' une des trois conjugaisons auxquelles appartiennent les différents verbes de la langue romane.
Après ces tableaux, je présenterai les observations, soit générales, soit particulières, qu' exigent les temps, les modes, et les personnes de quelques verbes.
Ces tableaux n' offrent que les conjugaisons actives.
Quant aux conjugaisons que les grammairiens modernes appellent encore PASSIVES, comme la langue romane les forma en joignant le participe passé au verbe auxiliaire ESSER, il suffira d' en avertir, et de rapporter quelques exemples; les règles relatives à ces conjugaisons ne souffrent jamais d' exception.
La première conjugaison comprend les verbes en AR, qui sont les plus nombreux, et qui n' offrent jamais d' anomalies.
La seconde, les verbes en ER ou RE; ce sont ceux qui éprouvent le plus de modifications intérieures.
La troisième, les verbes en IR ou IRE; ces verbes ne sont pas nombreux, et ils offrent rarement des anomalies (1); et, ce qui en fait une classe à part, c'est que ces verbes n' ont jamais qu' un conditionnel, tandis que les verbes des autres conjugaisons en ont régulièrement deux.
(1) Les verbes en IR, qui ont leur parfait simple de l' indicatif en GUI, gardent GU en quelques autres temps et modes, comme le font les verbes en ER, qui ont aussi leur parfait simple en GUI.
Conjugaison en AR.
Actif.
AMAR aimer
Infinitif.
Présent. Amar aimer
Part. Présent. Amant aimant
Gérondif. Aman en aimant
Part. Passé. Amat aimé
Prétérit. Aver amat avoir aimé
Indicatif.
Présent. Parfait composé.
Am, ami j' aime ai amat j' ai aimé
amas, am tu aimes as tu as
ama il aime a il a
am nous aimons avem nous avons
amatz vous aimez avetz vous avez
aman, amon, amen ils aiment an ils ont
Imparfait. Plus-que-parfait.
Amava j' aimais avia amat j' avais
amavas tu aimais avias tu avais
amava il aimait avia il avait
amavam nous aimions aviam nous avions
amavatz vous aimiez aviatz vous aviez
amavan, amavon ils aimaient avian ils avaient
Parfait simple. Futur simple.
Amei, amiei j' aimai amarai j' aimerai
amest, amiest tu aimas amaras tu aimeras
amet il aima amara il aimera
amem nous aimâmes amarem nous aimerons
ametz vous aimâtes amaretz vous aimerez ameren, ameron ils aimèrent amaran ils aimeront
Indicatif. Subjonctif.
Futur composé. Présent.
Aurai amat j' aurai aimé ame que j' aime
auras tu auras ames tu aimes
aura il aura ame il aime
aurem nous aurons amem nous aimions
auretz vous aurez ametz vous aimiez
auran ils auront amen, amon ils aiment
Conditionnel.
Présent. Imparfait.
amaria, amera j' aimerais ames que j' aimasse
amarias, ameras tu aimerais amesses tu aimasses
amaria, amera il aimerait ames il aimât
amariam, ameram nous aimerions amessem nous aimassions
amariatz, ameratz vous aimeriez amessetz vous aimassiez
amarian (1), ameran (2) ils aimeraient amessen, son (3) - aimassent
Parfait. Parfait.
Auria amat j' aurais aimé aia amat j' aye aimé
aurias tu aurais aias tu ayes
auria il aurait aia il ait
auriam nous aurions aiam nous ayons
auriatz vous auriez aiatz vous ayez
aurian ils auraient aian ils aient
Impératif.
Présent ou futur. Plus-que-parfait.
--- agues amat j' eusse aimé
ama, am aime aguesses tu eusses
ama qu' il aime agues il eût
amem aimons aguessem nous eussions
amatz aimez aguessetz vous eussiez
amen, amon qu' ils aiment aguesson ils eussent
(1) Ou amarion.
(2) Ou amerion.
(3) Ou amessan.
Conjugaison en ER ou RE.
Actif.
TEMER CRAINDRE
Infinitif.
Présent. temer craindre
Part. Présent. tement craignant
Gérondif. temen en craignant
Part. Passé. temut, temsut craint
Prétérit. aver temut avoir craint
Indicatif.
Présent. Parfait composé.
Tem, temi je crains ai temut j' ai craint
temes tu crains as tu as
teme, tem il craint a il a
temem nous craignons avem nous avons
temetz vous craignez avetz vous avez
temen, temon ils craignent an ils ont
Imparfait. Plus-que-parfait.
Temia je craignais avia temut j' avais craint
temias tu craignais avias tu avais
temia il craignait avia il avait
temiam nous craignions aviam nous avions
temiatz vous craigniez aviatz vous aviez
temian ils craignaient avian ils avaient
Parfait simple (1). Futur simple.
Temi, temei je craignis temerai je craindrai
temist, temest tu craignis temeras tu craindras
temi, temet il craignit temera il craindra
temem, temim nous craignîmes temerem nous craindrons
temetz, temitz vous craignîtes temeretz vous craindrez
temeren, temeron (2); ils craignirent temeran ils craindront
(1) Des verbes en ER subissent une contraction: VEZ ER fait VI, VIM;
d' autres sont parfois modifiés intérieurement: PREND RE fait PRE SI, EM, ETZ, etc.; TEM ER peut faire TEM SI, etc.
(2) iren, iron (: temiren, temiron).
Indicatif. Subjonctif.
Futur composé. Présent.
Aurai temut j' aurai craint tema que je craigne
auras tu auras temas tu craignes
aura il aura tema il craigne
aurem nous aurons temam nous craignions
auretz vous aurez tematz vous craigniez
auran ils auront teman ils craignent
Conditionnel.
Présent. Imparfait.
temeria, temera je craindrais temes je craignisse
temerias, temeras tu craindrais temesses tu craignisses
temeria, temera il craindrait temes il craignît
temeriam, temeram nous craindrions temessem nous craignissions
temeriatz, temeratz vous craindriez temessetz vous craignissiez
temerian, temeran ils craindraient temessen ils craignissent
Parfait. Parfait.
Auria temut j' aurais craint aia temut j' aye craint
aurias tu aurais aias tu ayes
auria il aurait aia il ait
auriam nous aurions aiam nous ayons
auriatz vous auriez aiatz vous ayez
aurian ils auraient aian ils aient
Impératif.
Présent ou futur. Plus-que-parfait.
--- agues temut j' eusse craint
teme crains aguesses tu eusses
teme, tem qu' il craigne agues il eût
temem craignons aguessem nous eussions
temetz craignez aguessetz vous eussiez
temen, temon qu' ils craignent aguesson ils eussent
(1) Souvent, et sur-tout dans les verbes en ER et RE, la langue romane employe le présent du subjonctif pour l' impératif: SAPCHATZ, p. 146; VULHATZ, p. 339, etc. etc., forme qui vient du latin.
Conjugaison en IR et IRE.
Actif.
SENTIR. Sentir.
Infinitif. Sentir, sentire sentir
Part. Présent. Senten en sentant
Part. Passé. Sentit senti
Prétérit. aver sentit avoir senti
Indicatif.
Présent. Parfait composé.
Sent, senti je sens ai sentit j' ai senti
sentis tu sens as tu as
sent, senti il sent a il a
sentem nous sentons avem nous avons
sentetz vous sentez avetz vous avez
senten, senton ils sentent an ils ont
Imparfait. Plus-que-parfait.
Sentia je sentais avia sentit j' avais senti
sentias tu sentais avias tu avais
sentia il sentait avia il avait
sentiam nous sentions aviam nous avions
sentiatz vous sentiez aviatz vous aviez
sentian ils sentaient avian ils avaient
Parfait simple. Futur simple.
Senti je sentis sentirai je sentirai
sentist tu sentis sentiras tu sentiras
senti il sentit sentira il sentira
sentim nous sentîmes sentiram nous sentirons
sentitz vous sentîtes sentiratz vous sentirez
sentiren, sentiron ils sentirent sentiran ils sentiront
Indicatif. Subjonctif.
Futur composé. Présent.
Aurai sentit j' aurai senti senta (*) que je sente
auras tu auras sentas tu sentes
aura il aura senta il sente
aurem nous aurons sentam nous sentions
auretz vous aurez sentatz vous sentiez
auran ils auront sentan ils sentent
Conditionnel.
Présent. Imparfait.
Sentiria je sentirais sentis que je sentisse
sentirias tu sentirais sentisses tu sentisses
sentiria il sentirait sentis il sentît
sentiriam nous sentirions sentissem nous sentissions
sentiriatz vous sentiriez sentissetz vous sentissiez
sentirian ils sentiraient sentissen, sentisson; ils sentissent
Parfait. Parfait.
Auria sentit j' aurais senti aia sentit que j' aye senti
aurias tu aurais aias tu ayes
auria il aurait aia il ait
auriam nous aurions aiam nous ayons
auriatz vous auriez aiatz vous ayez
aurian ils auraient aian, aion ils aient
Impératif.
Présent ou Futur. Plus-que-parfait.
--- agues sentit j' eusse senti
senti, sent sens aguesses tu eusses
senti qu' il sente agues il eût
sentiam sentons aguessem nous eussions
sentetz sentez aguessetz vous eussiez
sentan, senton qu' ils sentent aguesson ils eussent
(*) Des verbes ont ce présent en IA, IAS, IA, IAM, IATZ, IAN-ION.
Dans les nombreuses citations que cette grammaire rassemble, il est aisé d' indiquer les exemples (*) qui peuvent justifier l' exactitude des tableaux des conjugaisons ordinaires des verbes réguliers.
(*) Exemples des verbes des trois conjugaisons en
AR ER ou RE IR ou IRE
Infinitif.
Présent. Amar p. 235 Temer p. 181 Partir p. 183
Part. Présent. Donant 167 temens 137
Gérondif. Aman 174 temen 232 durmen 183
Part. Passé. Amat 233 temut 425 partit 402
Indicatif.
Présent. 1 am 116 tem 188 part * 403
2 laissas 202
3 ama 172 ten 173 part 170
1 amam 259 sabem 253 partem 157
2 enduratz 124 tenetz 176 partetz 330
3 pregan (*) 216 paisson 124 venon 235
Imparfait. 1 trobava 246 vivia 128 sufria 383
2 volias 188
3 pregava 356 tenia 151 venia 383
1
2 deliuravatz 356 fasiatz 203
3 anavan ** 206 combatian 205 auzian 165
Parfait Simple. 1 amei 391 vi 175 jauzi 227
2 desiriest 200 vist 200 morist 159
3 amet 242 nasquet 164 parti 353 1 prezem 328 auzim 184
2 fezetz 363 sofritz 211 3 ameron 414 crezeron 370 auziron 375
Parf. Composé. Ai pensat 128 ai vist 184 (N. E lo lop, lo rainard...)
Futur 1 amarai 175 decebrai 159 dirai 233
2 amaras 203 sabras 432 iras 323
3 anara 113 veira 241 dira 381
1 vedarem 189 sabrem 237 irem 194
2 veiretz 243 auziretz 156
3 daran 119 veyran 165 iran 323
(*) Amon, p. 220. Amen p. 143.
(**) Costavon p. 136. Laudaven p. 357. (*) Parti p. 199.
Conditionnel.
1 amaria p. 128 rendria p. 178
2
3 amaria p. 428 poiria 406 cossentria p. 350 1 volriam 350
2
3 apenrion 216
Impératif. 2 retorna 195
3 guart 339
1 alberguem 165 digam 371
2 amatz 166 rendetz 191 auiatz 156
Subjonctif.
Présent. 1 auze 178 jassa 171 parta 160
2 vires 159 tengas 226 digas 226
3 intre 146 aprenda 159 sueffra * 178
1 ametz 316 entendatz 339
3 preguen 180 fasson 211 digon 200
Imparfait. 1 ames 290 plagues 382 partis 177
2 delivresses 416
3 celes 244 pogues 236 dormis 229
1
2 volguessetz 254 soffrissetz 136
3 coitesson 144 vezesson 153
Second conditionnel.
1 volgra 401
2
3 tornera 330 degra 123
1
2 degratz 228
3 sembleran 361 degran 265
(*) Aucia p. 211.
Passif des verbes romans.
Je ne m' arrêterai pas sur le passif des verbes romans. Il me suffira d' indiquer quelques exemples choisis parmi les citations répandues dans cette grammaire (*); ces exemples démontreront la règle invariable de ce passif: il se forme par le rapprochement des différents temps et modes du verbe ESSER avec le participe passé de chaque verbe.
La seule observation que je croie nécessaire, c'est que le présent d' ESSER avec le participe passé désigne quelquefois le passé plus voisin.
Estout ES se d' el LONJAT. (1: Estout est se de lui éloigné.)
(N. E. lonjat : loniat : lunyat, llunyat)
Roman de Jaufre.
FUI désigne un passé plus éloigné.
(*) Infinitif présent. Esser occaizonatz p. 234. Esser fach p. 223.
Indicatif présent. Es honratz 234. Son fachas 225.
Imparfait Era pausatz 164. Era elegit 164.
Parfait. Fo culhitz 226. Foron cavalguatz 245.
Plus-que-parfait.
Futur. Er adolzatz 139. Er servitz 139.
Conditionnel présent.
Conditionnel parfait.
Impératif.
Subjonctif présent. Sia destinatz 246. Sian fachas 225.
Imparfait. Fos saubutz 129. Fos visa 152.
Parfait.
Plus-que-parfait.
//
Me sui donat p. 210. Son remazut p. 216.
//
Observations sur les verbes romans.
A ces tableaux des conjugaisons régulières, je joins diverses observations sur les exceptions ou anomalies communes à plusieurs verbes romans; le dictionnaire offrira des détails plus nombreux et plus spéciaux, surtout à l' égard des anomalies particulières.
Les modifications subies par les verbes romans, en diverses personnes de leurs divers temps, consistent ou dans les changements des désinences, ou dans les changements, additions, soustractions, de lettres intérieures. Les terminaisons des verbes romans offrent peu d' anomalies en général, ces anomalies se trouvent:
Aux participes passés, Aux premières et aux troisièmes personnes du présent de l' indicatif, Aux premières et aux troisièmes personnes du prétérit simple du même mode.
Il n' est pas impossible de reconnaître et de rassembler les principes généraux, les causes analogiques, qui expliquent suffisamment la plupart de ces exceptions.
Les modifications intérieures s' appliquent ordinairement aux mêmes temps des mêmes modes. On peut aussi reconnaître un systême spécial dans la plupart de ces modifications. Je présenterai mes observations dans l' ordre des différents modes et de leurs différents temps; mais ce sera en rapprochant les exceptions relatives aux verbes de chaque
conjugaison, parce que plus d' une fois la même explication servira aux verbes de différentes conjugaisons.
Infinitifs.
Présent.
Dans quelques verbes romans en ER ou RE, en Ir ou IRE, le présent de l' infinitif a plus d' une terminaison. Ainsi:
Far et faire.
Querer et querre, et leurs composés.
Seguir et segre, et leurs composés.
Dir et dire. Etc. Etc.
Il suffira de présenter quelques exemples. (1)
Ben sapchatz, s' ieu tan non l' ames,
Ja non saupra FAR vers ni sos. (2)
Pierre d' Auvergne: Chantarai pus.
Dona, que cuiatz FAIRE
De mi que us am tan? (3)
Bernard de Ventadour: Can la doss' aura.
(1) Voyez: Far p. 138, 147, 149, 155, 167, 179, 247, 252.
Faire 182, 247. Querer 240. Querre. 228, 230. Dir 149, 173, 177, 185, 198. Dire 156, 173, 179, 188, 220, 236.
(2) Bien sachez, si je tant ne l' aimase,
Que jamais ne saurais faire ni sons.
(3) Dame, que croyez faire
De moi qui vous aime tant?
Ponha de sai los Moros CONQUERER. (1)
Rambaud de Vaqueiras: Aras pot hom.
De CONQUERRE fin pretz entier
Agra ieu talen e desir. (2)
Bernard de Ventadour: En aquest guai.
Ni ves on lo poirai SEGUIR. (3)
Roman de Jaufre.
De ben amar sai SEGR' el dreit viatge. (4)
Peyrols: Si anc nuls hom.
Sap mais qui vol ses ditz SEGRE
Que Salomos ni Marcols. (5)
Rambaud d' Orange: Apres mon vers.
D' EN Blacatz no m tuelh ni m vire,
Ni de son pretz enantir;
Que tan no puesc de ben DIR
Qu' ades mais no i truep a DIRE. (6)
Elias de Barjols: Car comprei.
Cette double terminaison qu'ont plusieurs verbes au présent de leur infinitif, n' embarrassera jamais les personnes qui étudieront les ouvrages écrits en langue romane; c'est pourquoi je m' abstiens de présenter d' autres citations et d' autres rapprochements qui appartiennent spécialement au dictionnaire.
(1) Entreprenne de çà les Maures conquérir.
(2) De conquérir pur prix entier
Aurais je volonté et desir.
(3) Ni vers où le pourrai suivre.
(4) De bien aimer sais suivre le droit chemin.
(5) Sait plus qui veut ses dits suivre
Que Salomon ni Marculfe.
(6) De Sire Blacas ne m' ôte ni me détourne,
Ni de son prix élever;
Vu que tant me puis de bien dire
Que toujours plus n' y trouve à dire.
Si je me suis arrêté sur cette circonstance très remarquable, c'est pour avoir le droit d' en tirer une conséquence que sans doute on ne me contestera point.
Sur ce fait reconnu de la double terminaison qu' offre le présent de l' infinitif de plusieurs verbes romans, j' établis la règle suivante:
Quand une anomalie s' expliquera par la conjecture très vraisemblable que les verbes, où elle se trouve, variaient primitivement la terminaison de leur infinitif, cette explication ne doit pas être rejetée.
FAR, FAIRE, faire, sont très vraisemblablement des modifications de l' infinitif primitif FAZER du latin FACERE; aussi FAR et FAIRE n' ont-ils qu' un même participe présent FAZENT, qu' un même gérondif FAZEN. (1)
(1) Les écrits des Vaudois qui remontent à l' an 1100, offrent de ces terminaisons d' infinitifs, qui ne sont plus dans les écrits postérieurs.
La ley velha comanda COMBATER li enemi e RENDER mal per mal.
Ma la novella di: non te volhas venjar (*). La Nobla Leyçon.
(*) La loi vieille commande combattre les ennemis et rendre mal pour mal. Mais la nouvelle dit: ne te veuille venger.
Et, dans l' hypothèse inverse, si des verbes romans, tels que VEZER, voir, PLAZER, plaire, etc. font au futur de l' indicatif VEIRAI, PLAIRAI, etc., n' admettrait-on pas que ces verbes ont eu une seconde terminaison au présent de leur infinitif, veire, plaire, quand même celle-ci ne se retrouverait pas dans les écrits qui nous sont parvenus?
Je pourrais donner à ces observations de nombreux développements que je réserve pour les circonstances qui me permettront d' en faire des applications particulières.
Participes présents, gérondifs, participes passés.
Les participes présents et passés n' étant que des adjectifs verbaux, furent ordinairement soumis à la règle générale, qui ôtait à chaque adjectif latin la désinence caractéristique de ses cas (1).
(1) Tous les participes présents dont la terminaison fut toujours ANT ou ENT, restèrent, comme adjectifs verbaux, soumis aux règles générales de l' S final, qui étaient imposées aux adjectifs ordinaires; on peut en remarquer diverses preuves dans les citations que j' ai déja faites.
Singulier sujet. Benestans p. 142 Conoissens p. 119
Doptans 253 Jauzenz 139
Parlans 142, 174 Plazens 139
Perdonans 170 Temens 137
Presans 159 Valens 149
Singulier régime Agradan 146 Plazen 140, 144 Viven 245
Pluriel sujet. Benestans 144 Conoissens 127, 144
Parlans 144 Plazens 127, 144
Les gérondifs romans, formés en supprimant DO, finale caractéristique des gérondifs latins, demeurèrent indéclinables dans la langue romane, comme ils l' étaient dans la langue latine. (1)
Les participes latins, soit présents, soit passés, adaptés à la langue romane par la suppression de la désinence qui caractérisait leurs cas, paraissent quelquefois manquer d' analogie avec le présent de l' infinitif, quand ce présent a subi la modification souvent imposée au présent de plusieurs autres verbes.
Ainsi, de CREDENTEM latin est venu le participe roman CREZENT; mais le présent de l' infinitif latin CREDERE ayant, par des modifications successives, produit le présent de l' infinitif roman CREIRE, on ne reconnaîtrait pas d' analogie entre les temps de l' infinitif:
CREIRE, présent de l' infinitif venant de CREDERE;
CREZEN, gérondif de CREDENDO;
CREZENT, participe présent de CREDENTEM;
CREZUT, participe passé de CREDITUM.
(1) AN ou EN fut la terminaison caractéristique de tous les gérondifs, qui, par leur nature, restèrent indéclinables. En voici des exemples:
AN. Aman p. 138, 174, 175. EN. Aprenden, p. 211, 248.
Bayzan 149 Disen 169
Cantan 143, 222 Durmen 183
Menan 244 Entenden 171
Merceyan 174 Queren 193, 236
Pensan 222 Rizen 162
Reptan 113 Seguen 127
Sejornan 124 Temen 232
Les participes passés présenteraient beaucoup de difficultés à celui qui rechercherait leurs rapports avec les présents des infinitifs, s' il n' avait la certitude que la plupart de ces participes sont venus directement dans la langue romane par la suppression de la désinence du participe latin, quoique cette modification ne fût pas conforme à la modification subie par le présent de l' infinitif.
En effet, on s' étonnerait avec raison que le présent de l' infinitif NASCER, naître, eût produit le participe passé NAT, né; mais on reconnaît facilement que NAT a été dérivé directement de NATUM, et que l' infinitif latin NASCI, entrant dans la langue romane qui donne à tous ses infinitifs la terminaison ER ou RE, a pris la terminaison ER, et a produit NASCER.
Un très grand nombre de verbes romans ont formé leurs infinitifs présents, leurs participes présents, leurs gérondifs, leurs participes passés, d' après des règles d' analogie aussi simples qu' invariables.
AR. Présent Part. Prés. Gérondif. Part. Passé.
Roman amar amant aman amat
Latin amare amantem amando amatum.
Les verbes en AR, qui sont les plus nombreux dans la langue romane, n' ont jamais d' anomalies.
Les verbes en ER et en RE sont ceux qui en présentent le plus souvent; du moins il est rare d' en trouver qui n' offrent quelque légère altération de la forme générale; la principale cause en est que la terminaison du participe passé en UT, terminaison qui caractérise presque tous les verbes de cette conjugaison, est très rare dans la langue latine.
ER, RE.
Roman. plazer plazent plazen plazut
Latin. placere placentem placendo placitum.
IR, RE.
Roman. auzir auzent auzen auzit.
Latin. audire audientem audiendo auditum. (1)
Comme la langue romane a un assez grand nombre de participes passés qui s' éloignent plus ou moins de cette forme ordinaire, je ferai quatre classes des différentes exceptions.
(1) Il serait inutile de donner ici des exemples de ces participes passés qui sont formés d' après l' analogie rigoureuse. Je me borne à indiquer les participes qui se trouvent dans les précédentes citations:
AT. Sing. Sujet acabatz p. 222 honratz p. 234
adolzatz 139 inculpatz 273
adoratz 154 iratz 139
alegratz 130 juratz 179
amatz 233 lauzatz 222
datz 255 moilleratz 164
donatz 210 occaisonatz 234
enamoratz 234 pauzatz 164
encantatz 274 renovellatz 209
forsatz 234 tardatz 194
Sing. rég. auzat 220 nafrat 135
forsat 254 pensat 140
Plur. Sujet. acabat 199 perdonat 171
jurat 259 tornat 265
Plur. Rég. mandatz 181 nafratz 255
moilleratz 211 visitatz 209
UT. perdut 264, 272 perduda 208
IT. auzit 118 issitz 151
La première comprendra les participes passés qui ont été conservés du latin, sans autre altération que la suppression de la désinence, quoique le présent de l' infinitif ait subi une altération plus ou moins considérable.
La seconde comprendra les participes passés romans qui ont subi quelque altération particulière, soit que le présent de l' infinitif ait été formé ou non d' après la règle générale.
La troisième, ceux qui ont été formés extraordinairement, soit pour les verbes venant de verbes latins privés de supin et de participe passé, soit parce que, la langue romane rejetant le supin ou le participe du verbe latin défectif, leur formation a été soumise aux règles de l' analogie.
Enfin, la quatrième classe indiquera les participes passés des verbes romans qui, empruntés du latin par la nouvelle langue, ont pris au présent de l' infinitif la terminaison en AR, et ont alors conformé leurs participes et leurs gérondifs aux règles générales qui ne varient jamais dans cette conjugaison en AR.
(1) Voici les exemples qui se rencontrent dans les citations précédentes:
AT. nat p. 152, 187
AUS. enclaus 258, enclausa 189.
ERT. cubert 113.
ORT. mort 158, 159, 169, 210, 211, 218, 255.
morta 135.
Je me bornerai au nombre d' exemples qui me paraîtra nécessaire pour expliquer en général ces différentes anomalies.
Première classe. J' indiquerai quelques-uns des participes romans dérivés d' un supin ou participe passé latin, sans aucune altération, quoique le présent de l' infinitif en ait subi une plus ou moins considérable.
Part. Rom. Inf. Rom. Part. Lat. Inf. Lat.
AT. irat (1) irascer iratum irasci
nat nascer natum nasci
ARS. ars ardre arsum ardere
AUS. claus clorre clausum claudere
ERT. ubert ubrir apertum aperire
IPT. escript escriure scriptum scribere
IS. auccis auccir occisum occidere
IT. fugit fugir fugitum fugere
ORS. cors corre cursum currere
ORT. mort morir mortuum moriri.
(1) La langue romane a aussi le participe régulier IRASCUT:
Sion entre lor irascut. (* : Soient entre eux irrités)
Deuxième classe. La seconde classe se compose des participes passés romans qui, dans leur formation, offrent des modifications remarquables; en voici quelques-uns:
AT. tronat tronar tonitrum tonare
ERS. aers aerdre adhaesum adhaere
ES. promes promettre promissum promittere
pres prendre prehensum prehendere
IST. quist querre quaesitum quaerere
vist vezer visum videre
IT. complit complir completum complere
salit salir saltum salire
seguit segre, seguir secutum sequi
trahit trahire traditum tradere
trait traire tractum trahere.
BUT. recebut recebre receptum recipere
CUT. viscut viure victum vivere
DUT. mordut mordre morsum mordere
GUT. begut beure bibitum bibere
PUT. romput rompre ruptum rumpere
ZUT. cazut cazer casum cadere. (1)
Troisième classe. La troisième classe offre les participes passés qui ont été formés par analogie avec les autres participes romans, ou avec le présent de l' infinitif, attendu que la langue latine n' avait pas un supin ou un participe d' où ils pussent être dérivés.
ERT. uffert uffrir offerre.
IT. florit florir florescere.
luzit luzer lucere.
OLT. tolt tolre tollere.
UT. batut batre batuere.
temut temer timere. (2)
(1) Les citations précédentes offrent les exemples suivants:
ES. conques p. 248, 254.
mes 124, 182 messa p. 152
pres 168, 188, 240, 256 presa 139
IT. destruit 169
elegit 164 faillit 158
forbitz 164 plevitz 179
IST. vist 184
UT. endevengut 171 estendut 165
fondut 256 pendutz 158, 259
saubut 129
remazut 216 vencut 168
vengut 277 volgut 184.
(2) Tolt p. 256. Tout p. 223. Touta p. 185.
Quatrième classe. Cette dernière classe comprend les participes passés en AT des verbes romans qui, changeant la terminaison latine, ont passé dans la conjugaison en AR, quoique originairement ils appartinssent à une autre conjugaison latine.
AT. adolzat adolzar dulcitum dulcescere
calfat calfar calefactum calefacere
cobeitat cobeitar cupitum cupere
oblidat oblidar oblitum oblivisci
tremblat tremblar tremere
usat usar usum uti. (1)
J' ai lieu de croire que ces différentes indications fourniront les moyens d' expliquer les rapports plus ou moins directs des participes passés romans soit avec les infinitifs des verbes romans, soit avec les participes passés et les supins ou avec les infinitifs de la langue latine.
Quelques participes passés romans, dérivés directement des supins ou des participes passés de la langue latine, ont subi parfois des modifications si peu importantes, et si faciles à reconnaître, que je n' ai pas cru nécessaire d' en faire une classe à part.
Roman. Latin.
Fach, fait de factum
Destruit de destructum
escrich, escrit de scriptum
junh, joinh de junctum. Etc. Etc.
(1) On a vu précédemment ADOLZATZ, p. 139.
(2) Il suffira de citer quelques exemples répandus dans les précédentes citations: je rapporterai, comme dans l' une des notes précédentes, les exemples masculins et féminins.
destruit p. 169
escritz 229 escrichas 220
ditas 177 dichas 220
fach 223 fait 130, 171, 201, 264
faichas 220 fachas 225
forfait 160
fraich, refrait 256 fraicha, desfraicha 254.
(1) Voyez: Conques p. 248. Conquis p. 260.
Elet 189. Elegit 164.
Que tot lo mon vos avia elegut. (* : Que tout le monde vous avait élu.)
L' euphonie, et même seulement l' orthographe ou la prononciation, ont pu produire ces légères altérations, ainsi:
CT, PT ont été facilement changés en C, CH ou T.
NCT, etc. en NH, etc.
Quant à l' introduction de l' I, elle est si commune dans les autres mots que la langue romane a dérivés de la langue latine, qu' il n' est pas nécessaire de donner une nouvelle explication à cet égard.
On ne sera pas surpris si quelques verbes romans ont plus d' un participe passé, comme:
Conques, conquist, de conquerre, conquerer.
Elet, elegit, elegut, de eleger. (1)
Pour expliquer ces variétés, je dirai que de ces participes, les uns ont été fournis directement par les participes latins, et que les autres ont été formés analogiquement d' après l' infinitif roman, ou d' après les infinitifs romans, quand le verbe en avait eu plus d' un.
Je terminerai mes observations sur les participes passés romans, par l' indication de la règle relative à leurs féminins.
La terminaison A au singulier, et la terminaison AS au pluriel, caractérisent ces adjectifs verbaux comme tous les autres, mais il est à observer que tous les participes qui au masculin se terminent en T précédé d' une voyelle, changent au féminin ce T final en D, qui reçoit l' A et l' AS caractéristiques du genre. (1)
Cette règle est sans exceptions.
AT, ADA. Amada us ai mais qu' Andrieus la reyna. (2)
Rambaud de Vaqueiras: Non puesc saber.
UT, UDA. No siats ges esperduda;
Ja per mi non er saubuda
L' amors, ben siatz segura. (3)
Bernard de Ventadour: Ai! quantas.
Qu' una 'n vuelh e n' ai VOLGUDA. (4)
Bernard de Ventadour: Lo temps vai.
(1) ADA. Sing. donada p. 185. Prezada p. 116
forsjutjada 145 sanada 202
Plur. Enamoradas 275 nombradas 203
espozadas 275 tornadas 203
IDA. abellida 150 auzida 196, 229
UDA. Perduda 208.
(2) Aimée vous ai plus qu' Andrieux la reine.
(3) Ne soyez aucunement éperdue;
Jamais par moi ne sera sue
L' amour, bien soyez assurée.
(4) Qu' une en veux et en ai voulue.
IT, IDA.
Dona GRAZIDA,
Quecs lauz' e crida
Vostra valor
Qu' es ABELIDA...
Quar, per genser,
Vos ai CHAUZIDA
De pretz COMPLIDA. (1)
Rambaud de Vaqueiras, Kalenda maya.
INDICATIFS.
Présent.
Les trois conjugaisons forment ordinairement la première personne du présent de l' indicatif, en supprimant la finale caractéristique de l' infinitif.
AMAR, TEMER, PARTIR. (AR, ER, IR)
Je rapprocherai les principales modifications que subit la règle générale.
Cette première personne ajoute quelquefois un I, et plus rarement un E. (2: Chanti p. 239 trembli p. 115 parti p. 199.
auze 178 azire 193 remembre 209.)
“E LAISSI mais a G. Peire davant dig, etc.”
(3: Et je laisse plus à G. Pierre devant dit.)
Testament de R. de Trancavel. Pr. de l' Hist. du Languedoc t. III, col. 115.
(1) Dame gracieuse,
Chacun loue et crie
Votre valeur
Qui est charmante...
Car, pour plus gente,
Vous ai choisie
De prix accomplie.
NADI contra suberna. (1)
Arnaud Daniel: Ab guay so.
Pens, e repens, e pueys sospir,
E pueys me LEVI en sezen;
Apres RETORNI m' en jazen,
E COLGUI me sobr' el bras destre,
E pueys me VIRE el senestre;
DESCOBRE me soptozamen,
Pueys me RECOBRE belamen. (2)
Arnaud de Marueil: Dona genser.
Il semble que parfois on ait employé indifféremment l' I ou l' E final, puisque nous trouvons I ou E, selon les manuscrits; et, pour en citer un exemple, je rapporterai ces vers de Pons de Capdueil:
De totz caitius sui ieu aisselh que plus
Ai gran dolor e SUEFRI greu turmen. (3)
SUEFRI, MS. de la Bibliothèque du Roi 3204 et 7225.
SUEFRE, MS. 7226 et 7614.
(1) Je nage contre le vent.
(2) Pense, et repense, et puis soupire.
Et puis me lève en m' asseyant;
Après retourne moi en m' étendant,
Et couche moi sur le bras droit,
Et puis me tourne au gauche;
Découvre moi subitement,
Puis me recouvre bellement.
(3) De tous chétifs suis je celui qui plus
Ai grand douleur et souffre grief tourment.
Quelques verbes en ER ou RE, retranchant la consonne qui reste, après la suppression de la finale ER ou RE de l' infinitif, y substituent la voyelle I; ainsi,
DEVER fait DEU et DEI.
SABER SAP et SAI. (1)
Per aisso DEY estar en bon esper. (2)
Arnaud de Marueil: En mon cor.
E mas de ben qu' ieu no vos SAP retraire. (3)
Bernard de Ventadour: Ben m' an perdut.
“Saber t' o farai, si o SAI.” (4)
Titre de 1059. Pr. de l' Hist. de Languedoc t. II, col. 231.
Lorsque, après la suppression de la finale caractéristique de l' infinitif, il restait deux consonnes, dont l' N était la pénultième, la dernière lettre fut ordinairement supprimée. (5)
AR. ER ou RE IR ou IRE
chantar (chan t ar) atendre (aten d re) blandir (blan d ir)
mandar (man d ar) rendre (ren d re) sentir (sen t ir)
(1) DEI p. 185.
SAI 114, 116, 123, 132, 138, etc. etc.
Je ne rapporte pas des exemples tels que CREI, qui vient de CREIRE, d' après la règle ordinaire, etc.
(2) Pour cela dois être en bon espoir.
(3) Et plus de bien que je ne vous sais retracer.
(4) Savoir te le ferai, si le sais.
(5) atendre, p. 114 chantar 180 demandar 188
esgardar 147 mandar 123 prendre 224
presentar 261 reblandir 178 rendre 162.
Quelques auteurs ont supprimé, mais très rarement, l' I final de la première personne du présent en EI, dans certains verbes tels que:
CREI, MESCREI, etc., ce qui a produit CRE, MESCRE, etc.. (1)
D' autres ont retranché la consonne finale placée après AU; et alors,
lauzar, etc. a produit LAU, etc.
auzir, etc. a produit AU, etc.
Deu en LAU e sanh Jolia. (2)
Comte de Poitiers: Ben vuelh.
Del rei d' Aragon consir
Que mantas gens l' AU lauzar. (3)
Rambaud de Vaqueiras: D' amor no.
Souvent on changea des consonnes finales:
B e P. trobar fit trop.
D en T. gardar fit gart.
ID en G. cuidar fit cug.
Z en G ou S. auzir fit aug, etc. (4)
Parfois des verbes conservèrent ou reprirent la consonne finale que fournissait le verbe latin, au lieu de celle qu' offrait le verbe roman:
Roman. Latin.
Prec de pregar precari. (5)
Sec de segre sequi, etc.
(1) Cre p. 174, 175. Mescre 180. Recre 130, 175, 187.
(2) Dieu en loue et saint Julien.
(3) Du roi d' Aragon je considère
Que maintes gens l' entends louer.
(4) Cug p. 175, 180. Aug 147. Aus 157, 181.
(5) Prec p. 164, 184, 190, 226, 227. Joc 183.
Il y eut d' autres transmutations de consonnes finales; on s' aperçoit facilement de ces légères variétés.
Quelques premières personnes du présent furent terminées en AUC. (1)
E ieu vauc m' en lai a celui
On tug peccador trobon fi. (2)
Comte de Poitiers: Pus de chantar.
D' autres verbes prirent parfois un C après la consonne finale, et SC après la voyelle. (3)
El reys de cui ieu TENC m' onor. (4)
Comte de Poitiers: Pus de chantar.
Ar non POSC plus soffrir lo fais. (5)
Comte de Poitiers: Pus de chantar.
ER FENISC mon no sai que es. (6)
Rambaud d' Orange: Escotatz.
Aissi GUERPISC joy e deport. (7)
Comte de Poitiers: Pus de chantar.
Quelques-uns eurent une terminaison en S, Z, TS, comme FAS, FAZ, FATZ, de FAR, FAIRE. (8)
(1) Fauc p. 232, 338.
(2) Et je vais m' en là à celui
Où tous pécheurs trouvent fin.
(3) Dic p. 179, 199, 236. Aussisc p. 171. Conosc 215.
(4) Le roi de qui je tiens ma dignité.
(5) Ores ne puis plus souffrir le faix.
(6) Ores finis mon ne sais quoi est.
(7) Ainsi j' abandonne joie et amusement.
(8) Fas p. 164, 174, 197, 210. Fatz 273.
L' euphonie ou la prononciation locale modifia souvent le son de l' O placé avant une consonne finale en UE, et parfois en EI, OI. (1)
trobar, trop fit truep.
soler, sol fit suelh.
tolre, tol fit tuelh.
voler, vol fit vuelh.
morir, mor fit muer.
Il me suffira d' indiquer de plus légères modifications, telles que VUOILL, VUEILL, pour VUELH, etc.
En général, c'est à la prononciation locale ou aux copistes qu' elles doivent être attribuées.
Assez souvent la première personne admet une modification intérieure, en recevant un I qui n' est point à l' infinitif.
De SEGRE ou SEGUIR vint SEG, et SEC qui a pris l' I intérieur.
E siec vos, quar m' es tan bo,
Quan remir vostra faisso. (2:
Et je suis vous, parce que m' est tant bon,
Quand je considère votre façon.)
Comte de Poitiers: En aissi.
(1)
Muer p. 193, 225. Muor 232.
Puesc 117, 169, 185. Posc 177.
Suelh 175, 180.
Truep 175, 230.
Tuelh 205.
Vuelh 129, 144, 177. Vueill 151.
Voill 123. Vuoill 144, 265.
De QUERRE ou QUERER vint QUIER.
Per qu' ieu vos QUIER de mantenen,
Si us platz, vostra mantenenza. (1)
Comtesse de Die: Ab joi.
Telles sont les principales exceptions qu' offrent parfois les premières personnes du présent de l' indicatif au singulier. Il y en a encore quelques autres; mais je craindrais de pousser trop loin l' exactitude grammaticale, si j' indiquais des variétés qui sont à-la-fois et rares, et faciles à reconnaître; je dois même dire que souvent, lorsqu' un manuscrit donne le mot avec l' une des légères modifications que j' indique, un autre manuscrit le donne conforme à la règle générale.
Les troisièmes personnes du présent au singulier étant ordinairement formées, comme les premières, par la suppression de la désinence caractéristique de l' infinitif, la plupart des exceptions des premières personnes s' appliquent aux troisièmes.
Ainsi on trouve à celles-ci les modifications suivantes:
E final: (2)
E er SUEFRE qu' Espanha se vai perden. (3)
Folquet de Marseille: Hueimais.
Finale en AI; (4)
(1) Pourquoi je vous demande de maintenant,
Si vous plaît, votre possession.
(2) Vire p. 125.
(3) Et maintenant il souffre qu' Espagne se va perdant.
(4) Vai p. 125. Plai 167, 176, 199. Desplay 167. Eschai 178.
Changement de la consonne finale rude en consonne plus douce; (1)
Suppression de consonne finale après la consonne N; (2)
Suppression de l' I final, comme dans VEI, et de la consonne finale après AU, comme dans AUZIR; (3)
Terminaisons en C, S, TZ; (4)
UE, OI, mis à la place de l' O dans l' intérieur du verbe, mais plus rarement qu' aux premières personnes: (5)
Qu' autra no m platz, e ilh mi desacuelh, (6)
Pons de Capdueil: Leials amics.
Que murrei s' ap se no m' acuelh. (7)
Pons de Capdueil: Ma dona.
I ajouté intérieurement: (8)
Vol qu' om la sierv' e ren non guazardona. (9)
Rambaud de Vaqueiras: D' amor no m lau.
(1) Art d' ardre p. 262. Gart de gardar 168, 248. Pert de perdre 223. Sec de segre 132. Prec de pregar 180.
(2) Atendre p. 238. Entendre 173. Espandir 132.
Chantar 174. Reprendre 241. Respondre 221.
Mentir 240. Sobreprendre 196. Sentir 117.
(3) Ve p. 161, 237, 239. Au 239.
(4) Dis 125. Ditz 176, 230. Faz 150. Notz 124. Platz 128, 172, 195, 211.
(5) Puesc 185. Cuelh 238.
(6) Qu' autre ne me plaît, et elle me désaccueille.
(7) Que je mourrai si avec soi ne m' accueille.
(8) Fier 224. Quier 245. Conquier 249.
(9) Veut qu'on la serve et rien ne récompense.
Une modification particulière à cette troisième personne, ce fut de prendre un S à la fin, soit en l' ajoutant, soit en le substituant à une autre consonne; mais cette modification n' a presque jamais lieu qu' aux verbes en IR. (1) Voici l' S ajouté:
Car vos ama de tan bon cor,
Que desiran LANGUIS e mor. (2)
Arnaud de Marueil: Cel que vos es.
Cel que per vos LANGUIS e mor. (3)
Arnaud de Marueil: Dona sel que.
Ben FENIS qui mal comensa. (4)
Folquet de Marseille: Grev feira.
E 'l dolz parlar que m' AFOLIS lo sen. (5)
Folquet de Marseille: Tan m' abellis.
Voici l' S mis à la place d' une autre consonne:
E vey qu' amors PARS e cauzis. (6)
Bernard de Ventadour: Pus mos coratges.
Per una promessa genta
Don mi SORS trebalhs e esglais. (7)
Bernard de Ventadour: Al dous.
(1) Abellis p. 138. Afortis 134. Enfoletis 186. Reverdezis 218.
(2) Car vous il aime de si bon coeur,
Que en desirant il languit et meurt.
(3) Celui qui pour vous languit et meurt.
(4) Bien finit qui mal commence.
(5) Et le doux parler qui m' afolle le sens.
(6) Et vois qu' amour partage et choisit.
(7) Pour une promesse agréable
Dont me surgit peine et effroi.
Cet S final s' attache à des troisièmes personnes de quelques verbes, qui l' ont rejeté de leurs premières, quoiqu' il pût y rester d' après la règle ordinaire. (1)
M' en NAIS orguelh e m CREIS humiltatz. (2)
Arnaud de Marueil: Aissi col peis.
Quelques verbes terminés en NHER, qui faisaient rarement ING à la première personne, eurent assez ordinairement la terminaison ING à la troisième. (3)
Tant fort me DESTREING e m venz
Vostr' amors que m' es plazenz. (4)!
Rambaud de Vaqueiras: Bella domna.
Joves deu far guerra e cavalaria;
E quant er veillz, TAING ben qu' en patz estia. (5)
Rambaud de Vaqueiras: Del rei d' Aragon.
(1) Creis p. 149, 195. Nais 151.
(2) M' en naît orgueil et me croît indulgence.
(3) Sofraing p. 252. Taing 163, 168, 178, 184, 248.
(4) Tant fortement me presse et me vainc
Votre amour qui m' est agréable.
(5) Jeune doit faire guerre et chevalerie;
Et quand sera vieux, convient bien qu' en paix soit.
Parfait simple.
Les exceptions à la règle générale sont rares pour les premières personnes; mais les troisièmes offrent souvent des anomalies.
La première personne du singulier de la conjugaison en AR, qui est ordinairement en EI, prend quelquefois un I intérieur, et est alors en IEI. (1) Et, par suite de cette modification, d' autres personnes que la première reçoivent aussi cet I intérieur. (2)
Il y a des exemples, mais très rares, de la terminaison en AI.
Que anc re non AMAI tan. (3)
Bernard de Ventadour: Amors que.
Les autres conjugaisons ont ordinairement la première personne de leur parfait simple en I au singulier, mais parfois l' S final y est joint. (4)
Et anc no VIS bellazor, mon escien. (5)
Comte de Poitiers: Companho farai.
Mas que lur DIS aital lati. (6)
Comte de Poitiers: En Alvernhe.
Parfois la première personne du parfait simple de la conjugaison en ER ou RE se termine en EI ou IEI au singulier.
On trouve des exemples de la terminaison en INC; comme dans RETENER, TENER, et VENIR, etc.:
Si m RETINC ieu tan de convenen. (7)
Comte de Poitiers: Companho farai.
(1) Amiei p. 155.
(2) Pogiest 199. Desiriest 200.
(3) Que onc chose ne aimai tant.
(4) Fis 161. Dis 173.
(5) Et oncques ne vis plus belle, à mon escient.
(6) Mais que leur dis tel latin.
(7) Si me retins je tant de convention.
Me TINC ab vos a ley de vassal bo...
En la batalha vos VINC en tal sazo
Que vos ferian pel pieitz e pel mento...
Pueys VINC ab vos guerreyar a bando. (1)
Rambaud de Vaqueiras: Senher marques.
(1) Me tins avec vous à loi de vassal bon...
En la bataille à vous vins en tel temps
Que vous frappaient par la poitrine et par le menton...
Puis vins avec vous guerroyer en bande.
Les troisièmes personnes du singulier des verbes en ER ou RE, IR ou IRE, offrent des modifications si nombreuses et si variées, que je crois nécessaire de rassembler les principales dans un ordre alphabétique.
3.e pers. pag. Infinitif. 3.e pers. pag. Infinitif.
AC. ac 127 haver plac 168 plazer
AIS. plais plazer trais traire
ARS. ars ardre
AUP. saup 156 saber
AUS. claus claurre
EC. cazec cader correc corre
sofrec sofrir
bec 209 beure sec sezer
dec 226 dever tec tener
EIS. teis tener neis nascer
esteis estendre peis penher
ENC. venc 186 venir sostenc sostener
ERS. ters terger
aers aerdre
ES. mes 119 metre pres prendre
ques querre
ET. escondet escondre sufret sufrir
EUP. receup 250 recebre.
IS. Dis 115 dire escris escriure
aucis 226 aucire fis 150 faire
enquis enquerre ris rire
OC. Moc mover noc nocer
ploc placer poc 273 poter
conoc conoscer
OIS. Ois oinher pois poinher
OLC. Dolc doler volc 157 volre (: voler)
ORS. Tors tordre
OS. apos aponre
escos escoter.
Quelques verbes ont à-la-fois différentes anomalies aux mêmes temps.
J' en rapporterai un seul exemple qui me dispensera d' autres détails semblables; voici diverses modifications de la troisième personne du passé du verbe FAZER, FAIRE, FAR, faire.
IS. Quar plus m' en sui abellida
No FIS Floris de Blancaflor. (1)
Comtesse de Die: Estat ai.
ES. Cel que FES l' air e cel, terra e mar. (2)
Rambaud de Vaqueiras: Coras pot hom.
ETZ. Fetz p. 168, 186.
ETS ou EZ. Fez 161.
E. Fe 116, 118, 138, 186.
(1) Car plus j' en suis charmée
Que ne fit Floris de Blanchefleur.
(2) Celui qui fit l' air et ciel, terre et mer.
On aura pu remarquer, dans les citations de plusieurs exemples, que, selon l' orthographe ou la prononciation, les auteurs avaient écrit EC final au lieu d' ET à la troisième personne. (1)
Il y a même des exemples d' IC. (2)
Je répète que la plupart des verbes romans, qui offraient ces exceptions à la règle commune, n' étaient pas anomaux, puisqu' ils formaient tour-à-tour leur prétérit ou d' après la règle commune, ou d' après l' exception particulière.
Futur.
Les futurs sont généralement restés conformes à la règle primitive de leur formation; les exceptions sont très rares, ou s' expliquent facilement.
Ainsi, quelques verbes ont subi des soustractions d' une voyelle intérieure.
De TENER est venu TENRAI; etc.. (3)
Et cette soustraction a eu lieu pour toutes les personnes du singulier et du pluriel. (4)
L' euphonie ou la prononciation locale a quelquefois changé le futur ARAI en ERAI.
Ja no m' ametz, totz temps vos AMERAI. (5)
Arnaud de Marueil: Aissi col peis.
(1) Anec p. 165. Donec 185. Fendec 165. Pausec 255.
(2) Partic 165.
(3) Tenrai de tener p. 160. Mantenrai de mantener 113.
Partrai de partir 149. Volrai de voler 208.
(4) Sabran de saber 260. Valra de valer 178.
(5) Quoique ne m' aimiez, tous temps vous aimerai.
E si no us platz mos enans e mos pros,
Volrai m' en mal, don', e AMERAI vos. (1)
Arnaud de Marueil: Us gais amoros.
J' ai eu occasion de faire remarquer de quelle manière avait été formé le futur de l' indicatif par l' adjonction du présent du verbe AVER à l' infinitif des autres verbes.
Quelquefois l' infinitif et le présent de ces verbes restèrent divisés:
“Et quant cobrat l' auran, TORNAR l' AN e so poder per fe e senes engan.” (2) Acte de 1139. MS. de Colbert. Titres de Foix.
E si li platz, ALBERGUAR m' a. (3)
Geoffroi Rudel: No sap chantar.
E pos mon cor non aus dir a rescos,
Pregar vos AI, s' en aus, en ma chansos. (4)
Arnaud de Marueil: La gran beutatz.
E s' a vos platz qu' en altra part me vire,
Ostatz de vos la beltat e 'l gen rire,
E 'l dolz parlar que m' afolis mon sen;
Pois PARTIR m' AI de vos, mon escien. (5)
Folquet de Marseille: Tan m' abellis.
(1) Et si ne vous plaît mon avancement et mon profit,
Voudrai m' en mal, dame, et aimerai vous.
(2) "Et quant recouvré l' auront, TOURNER le ONT en son pouvoir par foi et sans tromperie.”
(3) Et si lui plaît, auberger moi A.
(4) Et puisque mon desir je n' ose dire à cachette,
PRIER vous AI, si en ose, en ma chanson.
(5) Et si à vous plaît qu' en autre part me tourne,
Otez de vous la beauté et le gent rire,
Et le doux parler qui m' afolle mon sens;
Puis séparer me ai de vous, à mon escient.
Amarai? oc; si li platz ni l' es gen;
E si no 'l platz, AMAR l' AI eissamen. (1)
Elias de Barjols: Pus la belha.
Pus tan privada etz de mi,
DIR VOS EI mon privat cosselh. (2)
Gavaudan le Vieux: L' autre dia.
E DIR VOS AI perche. (3)
Rambaud d' Orange: Escotatz.
Les verbes AVER et ESSER, avec la préposition A devant l' infinitif d' un autre verbe, servirent aussi à exprimer le futur:
Pus sap qu' ab lieys AI A GUERIR. (4)
Comte de Poitiers: Mout jauzens.
"A l' advenement del qual tuit AN A RESSUSCITAR.” (5)
Doctrine des Vaudois.
Et si per mi no us venz
Merces e chausimenz,
Tem que m' ER A MORIR. (6)
Arnaud de Marueil: La franca captenensa.
(1) Aimerai-je? Oui; si lui plaît et lui est gent;
Et si ne lui plaît, AIMER la AI également.
(2) Puisque tant secrète êtes de moi,
DIRE vous AI mon secret avis.
(3) Et dire vous ai pourquoi.
(4) Puisque sais qu' avec elle ai à guérir.
(5) A l' avénement duquel tous ont à ressusciter.
(6) Et si pour moi ne vous vainc
Merci et préférence,
Crains que me sera à mourir.
Conditionnel.
Tous les verbes ont leur conditionnel en IA, IAS, IA, etc., ajoutés à l' infinitif.
Les verbes en AR ont un double conditionnel.
AMARIA, AMARIAS, AMARIA, etc. AMERA, AMERAS, AMERA, etc.
Plusieurs verbes en ER ou RE ont un second conditionnel en GRA, tels que:
Infinitif. Double conditionnel. Participe passé.
Pag. Pag.
aver avria 359 agra 149 agut
beure beuria begra begut
cogler colria colgra colgut
conoscer conoiria conogra conogut
dever devria 238 degra 123 degut
mover movria mogra mogut
nocer noceria nogra nogut
plazer plaseria 188 plagra 320 plagut
poter poiria 253 pogra pogut
segre seigria segra segut
tener tenria tengra tengut
valer valria valgra valgut
voler volria 149 volgra 173 volgut.
D' autres verbes, tels que VENIR, ont aussi ce double conditionnel:
venir venria vengra vengut.
Et d' autres, tels que SABER, ont A et IA: sapra, sapria.
Les soustractions subies par le futur ont aussi lieu pour le conditionnel.
Impératif et subjonctif.
Il y a peu d' observations à faire sur ces deux modes.
Le verbe SAPER, savoir, prend le CH intérieur, et fait sapchatz, sapchon, etc. (1)
Les verbes dont les prétérits simples ou les conditionnels ont été modifiés intérieurement par des soustractions ou par des additions, conservent, à l' imparfait du subjonctif, ces modifications; mais les différentes personnes gardent leurs désinences ordinaires.
Seulement quelques pays avaient adopté la désinence AN (2) à la troisième personne du pluriel; ce qui m' a autorisé à indiquer cette personne en essen, esson, essan.
Mais que m plagra fezessan acordansa
Dels reys que an guerr' e disacordansa,
Si c' otra mar passessan est autr' an. (3)
Bertrand Carbonel: Per espassar.
(1) Sapcha p. 128, 167, 181. Sapchatz p. 146, 161, 176, 252.
(2) Combatessan p. 194. Endreycesan p. 113. Paguesan p. 113.
(3) Mais que me plairait que fissent accord
Des rois qui ont guerre et brouillerie,
Tellement qu' outre mer passassent cet autre an.
J' avertis de nouveau que souvent les modifications intérieures, indiquées spécialement soit pour un temps, soit pour un mode, se reproduisent ou dans un autre temps ou dans un autre mode.
Ainsi, quand le verbe SABER fait au subjonctif saupesses, c'est qu' il a fait SAUP au prétérit simple de l' indicatif, et ainsi des autres.
Du verbe défectif et irrégulier ANAR.
Il n' entre point dans mon plan d' expliquer les anomalies qui se rencontrent dans les conjugaisons d' un petit nombre de verbes romans défectifs ou irréguliers: ces détails appartiennent au dictionnaire, qui réunira les explications et les exemples.
Mais je crois convenable de présenter mes observations sur le verbe défectif et irrégulier ANAR, aller.
Je le considérerai d' abord dans sa conjugaison;
Et ensuite dans son emploi assez fréquent d' auxiliaire.
Conjugaison du verbe ANAR.
La conjugaison de ce verbe est évidemment formée de trois verbes différents:
Anar.
Ir venant d' ire.
Vader venant de vadere.
La conjugaison d' ANAR, dans tous les temps et tous les modes que les monuments romans nous ont conservés, étant entièrement conforme aux règles générales des conjugaisons des verbes en AR, il suffit d' en faire l' observation; et je me borne à présenter le tableau de la conjugaison des temps connus des deux autres verbes.
Infinitif.
IR, aller.
Présent. Tan com los cavals podon IR. (1) Roman de Jaufre.
Indicatif.
Présent singulier. vau p. 113. vauc p. 124, je vais
vas tu vas
Sai est intratz; que vas queren? (2) Roman de Jaufre.
va 177. vai 164 il va
Pluriel. van 124, 208 ils vont
Futur singulier. irai 172. j' irai
Qui que reman, ieu IRAI volentos. (3)
Pons de Capdueil: So qu' hom.
iras tu iras
Tu t' en IRAS al leopart. (4) Bertrand de Born: Pois als baros.
ira il ira
Que ja non IRA ses batailla. (5)
Pluriel. irem 194 nous irons
iretz vous irez
“Vos iretz aissi col senhor Papa.” (6) Philomena, fol. 8.
(1) Tant comme les chevaux peuvent aller.
(2) Ici es entré; que vas cherchant?
(3) Qui qui reste, j' irai voulant.
(4) Tu t' en iras au léopard.
(5) Que jamais n' ira sans bataille.
(6) “Vous irez ainsi avec le seigneur Pape.”
Futur pluriel. iran ils iront
Perque n' iran trastug a perdemen. (1)
Pons de la Garde: D' un sirventes.
Conditionnel.
Singulier. iria irais
Que us iria contan. (2)
Peyrols: Un sonet vau.
Impératif.
Singulier. vai p. 116, 137, 159; vas, va
Chanso, tu m' iras otra mar;
E, per Dieu, VAI m' a mi dons dir
Que non es jorns qu' ieu no sospir. (3)
Bernard de Ventadour: En abril.
Bel Papiol, vas Savoia
Ten ton camin, e VAS branditz brochan. (4)
Bertrand de Born: Ara sai eu.
Quelquefois on a dit VA.
Chansoneta, VA de cors
A mi dons dire que t reteigna,
Pois mi retener no deigna. (5)
Peyrols: Del seu tort.
(1) C' est pourquoi en iront trèstous à damnation.
(2) Que vous irais contant.
(3) Chanson, tu m' iras outre mer;
Et, par dieu, va moi à ma dame dire
Que n' est jour que je ne soupire.
(4) Beau Papiol, vers Savoie
Tiens ton chemin, et va de bric et de broc.
(5) Chansonette, va de course
A ma dame dire que te retienne,
Puisque me retenir ne daigne.
Je ne dois pas omettre la forme remarquable de la jonction du pronom personnel TU, T, avec l' adverbe EN, ce qui produit VAI T EN.
Messagiers, VAI T EN, en via plana,
A mon romieu, lai ves Viana;
E digas li. (1) Bernard de Ventadour: Ja mos chantars.
Subjonctif.
Singulier. vaza j' aille
Ar es ben dretz, pus ieu n' ai dich blasmor,
Qu' el be qu' els fan laus' e vaza dizen. (2)
Bertrand Carbonel: Per espassar.
Pluriel. vazan aillent.
Ni d' autra part no VAZAN entenden
Qu' aisso diga per doptansa de lor. (3)
Bertrand Carbonel: Per espassar.
ANAR consideré comme auxiliaire.
Ce verbe est auxiliaire de deux manières:
La première, lorsque ANAR précède un autre verbe placé au gérondif, c'est-à-dire un participe indécliné.
Soven la VAU, entr' els meillors, BLASMAN. (4)
Bernard de Ventadour: Quan la fuelha.
(1) Messager, va-t-en, en chemin facile,
A mon pélerin, là vers Viane;
Et dis lui.
(2) Ores est bien juste, puisque j' en ai dit blâme,
Que le bien qu' ils font loue et aille disant.
(3) Ni d' autre part n' aillent entendant
Que ceci je dise par crainte d' eux.
(4) Souvent la vais, entre les meilleurs, blâmant.
Il VAN DISEN c' amors torna en biais...
La genser am, ja no i ANES DOPTAN. (1)
Bernard de Ventadour: Quan la fuelha.
De totz bos pretz vos ANATZ MEILLORAN. (2)
Arnaud de Marueil: Aissi com cel.
La seconde manière joint le verbe ANAR au présent de l' infinitif du verbe qu' il régit. (3)
“Qu' el VAI TRAIRE li caucz encontra son segnor.” (4)
La Nobla Leyçon.
“Quan l' ac pro escotada, elh li VA DIR que mal o disia.” (5)
Philomena, fol. 59.
“Karles ANEC DIR ad Helias que disxes tot so que s volria, et Helias VA COMENSAR sas paraulas.” (6) Philomena, fol 56.
On voit que cet auxiliaire, se confondant avec les infinitifs, leur communique le mode, le temps, et la personne, qui le modifient lui-même.
(1) Ils vont disant qu' amour tourne en travers...
La plus gente j' aime, jamais n' y allez doutant.
(2) De tout bon prix vous allez améliorant.
(3) Va li transmettre p. 185. Va li respondre p. 185. Va lor dir p. 187.
Va li dir 202. Va lur dir 225.
(4) Qu' il va tirer les attaques contre son seigneur.
(5) "Quand l' eut assez écoutée, il lui va dire que mal cela disait."
(6) "Charles alla dire à Hélias que dît tout ce qu' il voudrait, et Hélias va commencer ses paroles."
Emploi des verbes régis par des prépositions.
Les participes indéclinés, ou gérondifs, qui représentent les gérondifs latins, s' emploient sans préposition ou avec la préposition EN et même avec l' article.
D' aquest' amor sui cossiros,
vellan, e pueys somjan, dormen. (1)
Geoffroi Rudel: Quan lo rossignols.
Mas de so c' ai apres,
Demandan e auzen,
Escotan e vezen. (2)
Arnaud de Marueil: Rasos es.
Tant atendrai aman,
Tro morrai merceian,
Pus ilh vol qu' aissi sia. (3)
Blacas: Lo bels douz temps.
Aman viu e aman morrai. (4)
Pons de la Garde: Ben es dreitz.
En ploran serai chantaire. (5)
Rambaud d' Orange: Ar m' er.
(1) De cette amour je suis chagrin,
Veillant, et puis songeant, dormant.
(2) Mais de ce que j' ai appris,
Demandant et oyant,
Écoutant et voyant.
(3) Tant attendrai aimant,
Jusqu' à ce que mourrai implorant merci,
Puisqu' elle veut qu' ainsi soit.
(4) Aimant vis et aimant mourrai.
(5) En pleurant serai chanteur.
EN CHANTAN, m' aven a membrar
So qu' ieu cug chantan oblidar. (1)
Folquet de Marseille: En chantan.
Me vuelh EN CANTAN esbaudir. (2)
Bernard de Ventadour: En aquest guai.
Soven m' aven, la nueg quan soi colgat,
Que soi ab vos, per semblan, EN DURMEN. (3)
Arnaud de Marueil: Aissi com cel.
AL PAREISSEN de las flors. (4)
Pierre Rogiers: Al pareissen.
Présents des infinitifs employés avec des prépositions.
La plupart des prépositions peuvent être placées au-devant du présent de l' infinitif; je fournirai des exemples de l' emploi de quelques-unes.
E s' ieu EN AMAR mespren. (5)
Bernard de Ventadour: Conort era.
EN AGRADAR et EN VOLER
Es l' amors de dos fis amans. (6)
Bernard de Ventadour: Chantars no pot.
(1) En chantant, m' avient à remémorer
Ce que je crois chantant oublier.
(2) Me veux en chantant esbaudir.
(3) Souvent m' avient, la nuit quand suis couché,
Que suis avec vous, par semblant, en dormant.
(4) Au paraissant des fleurs.
(5) Et si je en aimer me méprends.
(6) En plaire et en vouloir
Est l' amour de deux purs amants.
Dels auzels qu' intran EN AMAR. (1)
Rambaud d' Orange: Ab nov cor.
Per cal razon avetz sen tan venal
En mains afars que no us tornon a pro,
Et EN TROBAR avetz saber e sen? (2)
Blacas: Peire Vidal.
Los joves faitz c' al prim prezem A FAR. (3)
Rambaud de Vaqueiras: Honrat marques.
Per qu' enseignarai AD AMAR
Los autres bos domneiadors. (4)
Rambaud d' Orange: Assatz sai.
Quar d' aqui mov cortezia e solatz,
Enseignamenz e franqueza e mesura,
E cor D' AMAR e esforz DE SERVIR. (5)
Arnaud de Marueil: A gran honor.
Il est même à remarquer que la préposition PER, précédant l' infinitif, a le même sens qu' avait en latin la préposition AD suivie du gérondif en DUM. (6)
(1) Des oisels qui entrent en aimer.
(2) Pour quelle raison avez sens tant vénal
En maintes affaires qui ne vous tournent à profit,
Et en trouver avez savoir et sens?
(3) Les vaillants faits que au commencement prîmes à faire.
(4) Pour quoi enseignerai à aimer
Les autres bons galants.
(5) Car de là meut courtoisie et plaisir,
Instruction et franchise et retenue,
Et volonté d' aimer et effort de servir.
(6) Per aucire p. 211. Per aver 220. Per emblar 237. Per far 149, 210. Per gandir 164. Per soffrir 142.
Car al savi cove
Que s' an' ades loinhan,
PER mielhs SAILLIR enan. (1)
Bernard de Ventadour: Pus mi preiatz.
Verbes employés impersonnellement.
L' emploi des verbes, sans leur donner un sujet apparent, est très familier à la langue romane. (2)
Le verbe employé impersonnellement est toujours à la troisième personne du singulier.
Respondez mi: Per cal razon
REMAN que non avetz chantat? (3)
Bernard de Ventadour: Peirols.
S' aguem paor, no us o cal demandar. (4)
Rambaud de Vaqueiras: Honrat marques.
Joves deu far guerra e cavalaria,
E, quant er veillz, TAING ben qu' en patz estia. (5)
Rambaud de Vaqueiras: Del rei.
(1) Car au sage convient
Qu' il s' aille présentement reculant,
Pour mieux sauter en avant.
(2) Aven p. 248. Cal 235, 236. Taing 248. Cove 146. Endevenc 182. Play 146.
(3) Répondez moi: Par quelle raison
Reste que n' avez chanté?
(4) Si eûmes peur, ne vous le chaut demander.
(5) Jeune doit faire guerre et chevalerie,
Et, quand il sera vieux, convient bien qu' en paix reste.
Que, si nos fossem loyal,
TORNERA ns ad honor gran. (1)
Folquet de Marseille: Chantar mi.
“Nos Cove qu' estiam saviament, e que nos guardem que no nos pusquan dessebre.” (2) Philomena, fol. 21.
Suppression des pronoms personnels sujets des verbes.
A l' imitation de la langue latine, il arriva souvent que la langue romane n' exprima point les pronoms personnels qui étaient les sujets des verbes.
El si... m partetz un juec d' amor,
… No sui tan fatz
… No sapcha triar lo melhor
Entr' els malvatz. (3)
Comte de Poitiers: Ben vuelh.
(1) Que, si nous fussions loyaux,
Tournerait à nous à honneur grand.
(2) "Nous convient que soyons sagement, et que nous gardions que ne nous puissent décevoir.”
(N. E. chap. trad. literal: Mos convé que estigam o estiguem saviamen, y que mos guardem que no mos puguen dessebre”.)
(3) Et si (vous) me départez un jeu d' amour,
(Je) ne suis tant fol
Que (je) ne sache trier le meilleur
Entre les mauvais.
Cette forme de la langue romane est si commune, qu' il suffira de renvoyer aux exemples qu' offrent les citations rapportées dans cette grammaire. J' en rassemble quelques-uns en les rangeant par personnes.
Premières personnes.
Singulier.
Tant … vos ai cor. Tant je vous ai coeur p. 130
Savis e fols … sui. Sage et fol je suis. 139
Per vos cui … ador. Par vous que j' adore. 130
E … vuoill saber. Et je veux savoir. 123
Per vostr' amor … chan. Pour votre amour je chante. 124
Plus … no us deman. Plus je ne vous demande. 131
E … conosc mals e bes. Et je connais maux et biens. 139
Totz temps … no trobava. Tous temps je ne trouvais. 246
Anc … non agui. Jamais je n' eus. 193
Estat … ai dos ans. Été j' ai deux ans. 128
Ni … no fui mieus. Ni je ne fus mien. 193
… Trobei la molher. Je trouvai la femme. 133
D' aquo qu' … amiey. De ce que j' aimai. 227
Car … comprei. Cher j' achetai. 145
Anc … no la vi. Oncques je ne la vis. 175
S' anc … li fi tort. Si oncques je lui fis tort. 167
… Li serai hom. Je lui serai homme. 137
… Cantarai d' aquest. Je chanterai de ces. 130
… Dirai un vers. Je dirai un vers. 140
Un sirventes … farai. Un sirvente je ferai. 140
E … mantenrai. Et je maintiendrai. 113
Totz temps … vos amaria. Tous temps je vous aimerais. 128
Quant de vos … volria. Quant de vous je voudrais. 149
A vos … volgra mostrar. A vous je voudrais montrer. 115
Jamais … no jassa be. Jamais je ne repose bien. 171
E s' … agues mais. Et si j' eusse davantage. 234
Qu' en vos … trobes. Qu' en vous je trouvasse. 247
De que … us fezes presen. De quoi je vous fisse présent. 234
Un baisar … li pogues tolre. Un baiser je lui pusse enlever. 178
(N. E. chap. Un beset li puguera robá.)
Pluriel.
Emperador … avem. Empereur nous avons. 148
Car si … non em. Car si nous ne sommes. 275
Qu' ... anam queren. Ce que nous allons cherchant. 236
Dos jorns … estem. Deux jorns nous fumes. 259
Trobat … avem. Trouvé nous avons. 133
Ni … vedarem. Ni nous défendrons. 189
E … sabrem quan. Et nous saurons quand. 237
Secondes personnes.
Singulier.
Aras … laissas. Maintenant tu laisses. 202
Sanada … iest. Guérie tu es. 202
Can … vist l' aigua. Quand tu vis l' eau. 200
Quant … l' auras. Quand tu l' auras. 201
… Amaras ton senhor. Tu aimeras ton seigneur. 203
Pluriel.
Si … voletz al segle plazer. Si vous voulez au siècle plaire. 145
Per so … devetz. Pour cela vous devez. 170
S' … aucizetz selui. Si vous tuez celui. 240
Menassas que … fasiatz. Menaces que vous faisiez. 203
So don … m' avetz dit. Ce dont vous m' avez dit. 148
Qu' … en veiretz. Ce que vous en verrez. 183
Quan … m' auretz dat. Quand vous m' aurez donné. 148
Domna, be … degratz. Dame, bien vous devriez. 228
Que que … m comandetz. Quoi que vous me commandiez. 182
Que … m prendatz. Que vous me preniez. 131
Que … m fezessetz. Que vous me fissiez. 138
Troisièmes personnes.
Singulier.
Pus blanca .. es. Plus blanche elle est. 148
Meillers que … non es. Meilleur qu' il n' est. 149
Car so … m veda. Car cela elle me défend. 174
… No fai semblan. Elle ne fait semblant. 174
Don … mi det. Dont elle me donna. 174
Quan … venc. Quand il vint. 186
Quan … l' ac pres. Quand il l' eut pris. 168
Quan … l' aura joguat. Quand il l' aura joué. 237
… Non er de mi. Il ne sera de moi. 277
Que … sapcha far. Qu' il sache faire. 167
Pluriel.
Quan … ajoston. Quand ils amassent. 172
… Comenson a lo lapidar. Ils commencent à le lapider. 169
Passatge qu' … an si mes. Passage qu' ils ont ainsi mis. 124
Avol vida … auran. Lâche vie ils auront. 144
Cobrat … l' auran. Recouvré ils l' auront. 317
Que … non aion. Qu' ils n' aient. 169
D' autra part … no vazan. D' autre part ils n' aillent. 171
Présent de l' infinitif faisant la fonction de l' impératif.
Quelquefois le présent de l' infinitif remplaça la seconde personne de l' impératif, sur-tout quand le verbe était précédé d' une négation; mais cette forme se rencontre rarement.
Enamps li dis: Non temer, Maria;
Car lo sant sperit es en ta conpagnia. (1)
La Nobla Leyçon.
(1) Aussitôt lui dit: Non craindre, Marie;
Car le saint esprit est en ta compagnie.
La belha cui non aus preyar,
Tan tem falhir al seu voler!
Per qu' ie 'n planc e 'n sospire:
Ai! amors, NO M' AUCIRE. (1)
Peyrols: Tot mon engienh. (N. E. enginy; ingenio)
Secondes personnes du pluriel a la place des secondes personnes du singulier.
On a vu précédemment que VOS était presque toujours employé au lieu de TU; par suite de cette règle, les verbes devant lesquels VOS se trouve placé, quoique ne désignant qu' une seule personne, prennent le pluriel.
Cependant les adjectifs qui se rapportent au pronom restent au singulier.
Je choisis pour exemple ces vers qui s' adressent évidemment à une seule personne:
Peirols, com AVETZ tan estat
Que non FEZEST vers ni chanson?
RESPONDEZ mi: Per cal razon
Reman que non AVETZ chantat? (2)
Bernard de Ventadour: Peirols com avetz.
(1) La belle que n' ose prier,
Tant crains faillir à son vouloir!
Pourquoi j' en plains et en soupire.
Ah! amour, ne me tuer.
(2) Peirols, comment avez tant été
Que ne fites vers ni chanson?
Répondez moi: Par quelle raison
Reste que n' avez chanté?
Il y a même peu d' exemples de l' emploi de la seconde personne du singulier soit dans les poésies des troubadours, soit dans les autres écrits.
Verbes au singulier, quoiqu' ils aient plusieurs sujets.
C' est un caractère particulier à la langue romane que de mettre assez souvent au singulier le verbe auquel s' attachent plusieurs sujets.
Per que PREZ, e CORTESIA,
E SOLAZ TORNA en non chaler. (1)
Bernard de Ventadour: Ges de chantar.
Lo bels douz TEMPS mi PLATZ,
E la gaya SAZOS
E 'l CHANS dels auzelos. (2)
Blacas: Lo bels douz temps.
Dieus sal vos, en cui ES assis
MOS JOYS, mos DESPORTZ e mos RIS. (3)
Arnaud de Marueil: Dona sel que.
Per la bona comensansa
Mi VEN JOIS et ALEGRANSA. (4)
Bernard de Ventadour: Ab joi mov.
(1) Pour quoi prix, et courtoisie,
Et plaisir tourne en non chaloir.
(2) Le beau doux temps me plaît,
Et la gaie saison
Et le chant des oiselets.
(3) Dieu me sauve vous, en qui est placé
Ma joie, mon contentement et mon rire!
(4) Par le bon commencement
Me vient joie et alégresse (allégresse).
Tal y a qui an mais d' orguelh,
Can grans JOIS ni grans BES lor VE. (1)
Bernard de Ventadour: Quan par la flors.
Verbes au pluriel, quand un nom collectif est le sujet.
On trouve parfois au pluriel non seulement les verbes dont un nom collectif est le sujet, mais encore les pronoms personnels qui se rapportent à un nom collectif.
Amor BLASMON, per non saber,
Fola GENS, mais lei non es dans. (2)
Bernard de Ventadour: Chantars no pot.
La forme suivante est remarquable: AB, avec, est considéré comme conjonction:
E pueis lo REIS, AB SOS BAROS,
PUEION, e lor spazas ceinzon. (3)
Roman de Jaufre.
Voici un exemple de pronoms personnels au pluriel, lorsqu' ils se rapportent à un nom collectif:
Ieu o dic per chastiamen
Al rei Johan, que pert sa GEN,
Que no LOR secor pres ni loing. (4)
Bertrand de Born: Quan vei lo temps.
(1) Tels y a qui ont plus d' orgueil,
Quand grande joie et grand bien leur vient.
(2) Amour blâment, par non savoir,
Folle gent, mais à lui n' est dommage.
(3) Et puis le roi, avec ses barons,
Montent, et leurs épées ceignent.
(4) Je le dis pour enseignement
Au roi Jean, que perd sa gent
Vû que ne leur aide près ni loin.
Du QUE conjonctif entre les verbes.
Je terminerai mes différentes observations sur les verbes, en parlant du QUE conjonctif.
Pour exprimer l' effet de l' action d' un verbe sur l' autre, souvent la langue latine plaçait à l' infinitif le verbe sur lequel cette action était transmise, et alors le sujet de ce dernier verbe ne pouvait être qu' à l' accusatif.
D' autres fois la langue latine transmettait cette action par le moyen des particules UT et NE, etc., QUOD et QUIA, etc.; et le verbe soumis à l' action devait ordinairement être au subjonctif.
Pour ces différentes opérations grammaticales, la langue romane adopta QUE, pronom conjonctif indéclinable. Ce QUE, permettant aux sujets du second verbe de conserver le signe qui les caractérisait, ôta toute amphibologie, et laissa ce second verbe au mode indiqué par la forme ordinaire du discours.
Ce QUE conjonctif indéclinable servit donc à transmettre l' action d' un verbe sur l' autre.
Employé par la langue romane, et par les autres langues de l' Europe latine, il remplaça à-la-fois et la forme grammaticale, que les modernes ont appelée la règle du QUE RETRANCHÉ, et les nombreuses particules qui, dans la langue latine, étaient le lien de communication d' un verbe à un autre.
Cette forme de la langue romane est, à certains égards, préférable à l' emploi que les Latins faisaient de leur infinitif. Elle ajoute à la clarté, elle sert à indiquer plus précisément différentes modifications de la pensée et du discours. En effet, les temps de l' infinitif latin n' offraient pas assez de nuances, pour rendre exactement quelques-unes des modifications qu' a exprimées la langue romane, modifications qui, dans les divers modes, distinguent si heureusement le présent, de l' imparfait; le prétérit simple, du prétérit composé; le prétérit, du plus-que-parfait; etc. Quelquefois le QUE conjonctif roman est sous-entendu.
QUE conjonctif roman remplaçant le QUE retranché latin. (1)
E sai QUE fauc faillensa,
Quar non am per mesura. (2)
Bernard de Ventadour: Quan lo dous temps.
E conosc be QUE ai dic gran follatge. (3)
Bernard de Ventadour: Quan vei la flor.
Ans vey qu' ades creis ma dolors. (4)
Arnaud de Marueil: Ab pauc ieu.
Mais aisso no us esta be
QUE m fassatz tot jorn maltraire. (5)
Bernard de Ventadour: Amors que.
(1) Sai que … p. 114. Crei que … 242. Afermi que … 187.
Sabem que... 253. Conoscatz que … 246. Es vers que … 219
(2) Et sais que fais faute,
Parce que n' aime par mesure.
(3) Et connais bien que ai dit grande folie.
(4) Ains vois que toujours croît ma douleur.
(5) Mais ceci ne vous est bien
Que me fassiez tout jour maltraiter.
Ma costum' es que fols tos temps folleia. (1)
Bernard de Ventadour: Quan vei la flor.
QUE conjonctif dans le sens d' UT, NE, etc. (2)
Per merce us prec QUE us playa
Qu' ieu vos am ses cor vayre;
No vulhatz QU' ieu dechaya. (3)
Bernard de Ventadour: Si la belha.
Meillz qu' eu no dic, vos prec QUE m' entendatz. (4)
Arnaud de Marueil: Aissi com cel.
E selh que de mi l' apenra
Guart si que res no mi cambi. (5)
Geoffroi Rudel: No sap chantar.
QUE conjonctif dans le sens d' EO QUOD, QUIA, ETC.
Alberguem lo tot plan e gen,
QUE ben es mutz. (6)
Comte de Poitiers: En Alvernhe.
(1) Mais coutume est que fol tous temps folâtre.
(2) Prec que p. 190. Prezicon que 169. Taing que 163. Preiatz qu' ieu 155. Soffrissetz que 136. Maritz soi que 246. Ai paor que 131. Li plai que 197. Endevenir que 274.
(3) Par merci vous prie que vous plaise
Que je vous aime sans coeur changeant;
Ne veuillez que je déchoie.
(4) Mieux que je ne dis, vous prie que m' entendiez.
(5) Et celui qui de moi l' apprendra
Garde soi que rien ne me change.
(6) Aubergeons le tout simplement et gentement,
Vû que bien est muet.
Ni contra mi malvat conselh non creia,
Qu' eu sui sos hom liges on que m' esteia. (1)
Bernard de Ventadour: Quan vei la flor.
Tristans, ges non aurez de me,
Qu' ieu m' en vau marritz, no sai on. (2)
Bernard de Ventadour: Quan vei la laudeta.
Maritz, que marit fai sofren,
Deu tastar d' altretal sabor,
QUE car deu comprar qui car ven. (3)
Pierre d' Auvergne: Bella m' es la flors.
Gardatz s' ieu l' am ses tot cor trichador,
Qu' el mon non ai tan mortal enemic,
S' ieu 'l n' aug ben dir, no 'l n' aya per senhor. (4)
Pons de Capdueil: Astrucs.
E si us fols li ditz mal per foilia,
Jes per aisso no i s tenga per blasmatz;
Enanz s' en deu tener per ben lausatz,
QUE blasmes es del fol al pro lauzors. (5)
Cadenet: De nuilla ren.
Souvent des manuscrits offrent la variante de QUAR, CAR, au lieu de ce QUE.
(1) Ni contre moi mauvais conseil ne croie,
Vû que je suis son homme-lige où que je sois.
(2) Tristan, aucunement n' aurez de moi,
Vû que je m' en vais marri, ne sais où.
(3) Mari, qui marit fait souffrant,
Doit tâter de telle saveur,
Vû que cher doit acheter qui cher vend.
(4) Regardez si je l' aime sans tout coeur tricheur,
Vû qu' au monde n' ai tant mortel ennemi,
Si je lui en ouis bien dire, que ne l' en aie pour seigneur.
(5) Et si un fol lui dit mal par folie,
Aucunement pour ceci n' y se tienne pour blâmé;
Au contraire s' en doit tenir pour bien loué,
Vû que blâme est du fou au preux louange.
QUE sous-entendu en la langue romane.
Ben sapchatz ... s' ieu tan non l' ames,
Ja no saupra far vers ni sos. (1)
Peyrols: Chantarai pus.
Non cug... digua que anc auzis
Meillors motz trobatz luenh ni prop. (2)
Pierre d' Auvergne: Cui bon vers.
Tuit sels que m pregan qu' ieu chan,
Volgra ... 'n saubesson lo ver. (3)
Bernard de Ventadour: Tuit sels que.
Non estarai … mon chantar non esparja. (4)
Bertrand de Born: Non estarai.
Miels fora ... fosses campios. (5)
Bertrand de Born: Maitolin.
Ben volgra ... mi dons sabes
Mon cor, aisi com eu 'l sai. (6)
Pierre Rogiers: Ben volgra.
Ni no sembla ... sia corals amics. (7)
Bernard de Ventadour: Belh Monruelh.
(1) Bien sachez QUE, si tant ne l' aimasse,
Jamais ne saurais faire vers ni sons.
(2) Ne pense que dise que oncques ouïtes
Meilleurs mots trouvés loin ni près.
(3) Tous ceux qui me prient que je chante,
Voudrais qu' en sussent le vrai.
(4) Ne resterai que mon chanter ne répande.
(5) Mieux serait que fusses champion.
(6) Bien voudrais que ma dame sût
Mon coeur, ainsi comme je le sais.
(7) Ni ne semble que soit cordial ami.
Ans tem de lieys... m' aya per ergulhos. (1)
Giraud le Roux: Auiatz la.
E no vuelh... sia grazitz
Mos sirventes entr' els flax nualhos,
Paubres de cor e d' aver poderos. (2)
Bernard de Rovenac: Ja no vuelh.
Sapchatz... gran talent n' auria
Que us tengues en loc de marit. (3)
Comtesse de Die: Estat ai.
L' emperaires volgr'... agues la crots preza,
E qu' a son filh l' emperis remazes. (4)
Austorc d' Arlac: Ai! Dieus per.
J' aurai bientôt occasion de parler du QUE placé après les conjonctions, ou employé comme adverbe de temps. Je déclare de nouveau qu' il m' eût été facile d' indiquer d' autres légères modifications, soit accidentelles, soit ordinaires, qu'on rencontre parfois en quelques modes, en quelques temps, et en quelques personnes d' un petit nombre de verbes.
Mais j' ai rejeté des détails trop minutieux.
(1) Mais crains d' elle que m' ait pour orgueilleux.
(2) Et ne veux que soit agrée
Mon sirvente parmi les lâches non vaillants,
Pauvres de coeur et d' avoir puissants.
(3) Sachez que grand desir en aurais
Que vous tinsse en lieu de mari.
(4) L' empereur voudrais qu' eût la croix prise,
Et qu' à son fils l' empire restât.
Chapitre 7 - Adverbes, Prépositions, Conjonctions